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Science

Découverte de la trisomie 21 : retour sur une polémique

Découverte de la trisomie 21 : retour sur une polémique

L’anniversaire des 30 ans de la mort de Jérôme Lejeune est l’occasion de revenir sur la découverte de la trisomie 21 et sur une polémique infondée qui a entaché la réputation de celui qui n’avait d’autre ambition que d’améliorer la vie de ses patients. Que s’est-il passé, en 1958, dans le service de l’hôpital Trousseau dirigé par le professeur Raymond Turpin ? Pour Marthe Gautier, qui revendique depuis quelques années la découverte, l’histoire est simple : « J’ai gagné mon pari, celui de réussir seule avec mes laborantines une technique et surtout de mettre en évidence une anomalie ». Pour attester la présence du 47ᵉ chromosome qu’elle aurait trouvé toute seule, Gautier « confie les lames à Jérôme Lejeune qui fait faire les photos ». Celui-ci, qu’elle présente comme un jeune stagiaire désoeuvré, conserve les clichés, part quatre mois aux États-Unis puis publie un article à son retour en France. « Je suis consciente de ce qui se dessine sournoisement » ajoute-t-elle dans un article publié en 2009, 15 ans après la mort de Jérôme Lejeune et 50 ans après les faits.

Or son récit, marqué d’incohérences, ne résiste pas à la confrontation avec les documents et témoignages d’époque. Carnet d’analyse du laboratoire, courrier du Pr Turpin, correspondance entre Lejeune et Gautier, témoignages de collaborateurs : toutes les sources sont documentées. L’étude de ces archives ne laisse subsister aucun doute : c’est bien Lejeune qui analyse, hypothèse, vérifie, compte les chromosomes, rédige et insiste auprès de Turpin pour qu’il accepte la publication de cette observation tellement originale. L’article est publié le 26 janvier 1959. Cette publication dans le compte-rendu hebdomadaire des séances de l’Académie des Sciences marque la découverte de la trisomie 21. Jérôme Lejeune en est le premier signataire. Marthe Gautier signe en second. Elle a rapporté des États-Unis une nouvelle technique de culture des tissus, qu’elle n’a pas inventée, et sur laquelle Lejeune et elle travailleront pendant deux ans pour parvenir à colorer les chromosomes et faciliter le décompte. Enfin, Raymond Turpin, chef de service, signe en dernier. L’ordre des signatures relève de la démarche de publication. Il reflète le travail d’équipe et le rôle que chacun y a joué.

À partir de 1952, à la demande du Pr Turpin, Jérôme Lejeune consacre ses recherches aux causes du « mongolisme ». Entre 1953 et 1955, il cosigne avec le Pr Turpin sept articles sur le sujet, en signe six seul en 1955, puis quatorze nouveaux entre 1956 et 1957. Dans ces articles, Jérôme Lejeune démontre, grâce à ses observations cliniques et ses analyses, que l’origine du mongolisme est chromosomique. Turpin l’avait suggéré dès 1937, sans le démontrer. Dans son Carnet de laboratoire, Lejeune indique à la date du 22 mai 1958 qu’il décompte pour la première fois 47 chromosomes. Puis il part quatre mois aux États-Unis donner des cours de génétique, période pendant laquelle Gautier ne compte toujours que 46 chromosomes, comme l’atteste un courrier du Pr Turpin. A son retour, il identifie deux nouveaux caryotypes à 47 chromosomes. Ce sont ces trois caryotypes qui vont permettre la publication du 26 janvier 1959 à l’Académie des Sciences

Carnet d’analyse de Jérôme Lejeune. On lit, à la date du 22 mai 1958 : « 1 chr. surnuméraire » Archives du Pr Jérôme Lejeune – Fondation Jérôme Lejeune

Par ailleurs, Jérôme Lejeune n’est pas un “stagiaire inutile” à l’époque de la découverte, comme Marthe Gautier l’a affirmé, mais déjà expert en radiations atomiques à l’ONU et repéré par les Américains comme le plus prometteur des généticiens français. S’il était ce stagiaire inutile et si c’était Gautier qui faisait tout, pourquoi ne publie-t-elle pas pendant son absence ? Il lui suffisait de trouver d’autres caryotypes, rédiger la publication et la présenter au patron Turpin. Gautier dit aussi que sans la photo du premier caryotype, elle ne pouvait pas publier. Mais d’une part, il fallait au moins trois cas pour publier, d’autre part, pourquoi n’a-t-elle pas refait de photos en l’absence de Lejeune ? Enfin la publication princeps ne comporte aucune photo, la photo n’était donc pas nécessaire. La thèse de Marthe Gautier est donc “démentie par les archives”, comme l’affirme un long article publié le 3 avril dernier dans le Figaro : “Il n’est pas exagéré de supposer que la controverse sur la découverte de la trisomie 21 doit aussi beaucoup aux antagonismes éthiques ou idéologiques entre Marthe Gautier et Jérôme Lejeune.

Ce dernier a échoué de peu à l’obtention du Prix Nobel – plusieurs membres du comité ont reconnu ensuite que ses positions sur l’IVG avaient joué contre lui. Or comme c’est chaque fois le cas lorsqu’une découverte majeure est nobélisée, le Pr Lejeune n’aurait probablement pas reçu le Nobel tout seul : Raymond Turpin et Marthe Gautier auraient été primés avec lui. Cette dernière conserve ainsi un grief important contre son ancien collègue. Mais pour la biographe* du Pr Lejeune, Aude Dugast, membre de la Fondation Lejeune et postulatrice auprès du Vatican de la cause de canonisation du défunt professeur, cette animosité est apparue de nombreuses années plus tard. «Marthe Gautier a attendu la mort du Pr Lejeune et du Pr Turpin pour s’exprimer, alors qu’elle a entretenu au moins jusqu’en 1962, donc trois ans après la découverte, une relation amicale avec Jérôme Lejeune», affirme-t-elle. En effet, alors que Marthe Gautier assurait ne pas connaître le Pr Lejeune avant 1958, les lettres qu’elle lui adressait un an plus tôt débutaient déjà en ces termes : «cher ami» ; plus tard en écrivant à sa femme, le Pr Lejeune la décrit encore comme «absolument charmante» avec lui. Surtout, concernant la découverte elle-même, elle apparaît nettement dans le carnet d’analyse du Pr Lejeune dès mai 1958, réfutant l’idée selon laquelle la découverte aurait été d’abord faite par Marthe Gautier avant que Jérôme Lejeune y soit associé. Il avait lui-même appris à colorer les chromosomes pour les mettre en valeur sur les photographies prises au microscope. La correspondance du Pr Turpin au Pr Lejeune en octobre 1958 montre en outre que c’est bien à lui que le Pr Turpin attribue la découverte.

Lettre de Raymond Turpin à Jérôme Lejeune, du 27 octobre 1958 : «Mlle Gautier et Mme Massé en sont toujours à 46». Archives du Pr Jérôme Lejeune – Fondation Jérôme Lejeune

Tout le temps que dure le voyage du Pr Lejeune en Amérique, Marthe Gautier seule ne parvient pas à retrouver un 47e chromosome, ce que fait à plusieurs reprises le Pr Lejeune à son retour, permettant ainsi de publier un premier article malgré les scrupules que lui inspire à l’époque sa peur de commettre une erreur en s’empressant de communiquer ses résultats. Enfin, six ans plus tard, lors d’une leçon inaugurale en 1965 pour sa nomination comme professeur de génétique fondamentale, Jérôme Lejeune loue sans détour «l’habileté» et la «ténacité» de Marthe Gautier, sans laquelle la découverte n’aurait pas été possible. Difficile dès lors de maintenir que Jérôme Lejeune aurait «invisibilisé» sa collègue. L’hypothèse selon laquelle le Pr Lejeune aurait joué un rôle majeur dans cette découverte demeure de loin la plus plausible aux yeux de l’historien et archiviste Bruno Galland, directeur des archives du Rhône et professeur à la Sorbonne, qui a trié les archives de Jérôme Lejeune après sa mort . «Les carnets du Pr Lejeune, et la correspondance privée qu’il entretenait avec son épouse Birthe Lejeune, montrent clairement le rôle primordial qu’il a joué. Ces documents sont d’autant moins susceptibles d’avoir été falsifiés intentionnellement qu’ils n’avaient pas vocation à être rendus publics : ils dévoilent le for interne de Jérôme Lejeune à cette époque», note-t-il.” Il ne fait donc aucun doute que l’acteur principal de la découverte est Lejeune. Il n’y a eu ni « vol » de la découverte de la trisomie 21, ni « spoliation » puisque les trois personnes qui y ont participé signent la publication et que Lejeune remercie toujours Turpin et Gautier pour leur contribution. Lejeune demeure le père de la génétique moderne et une personnalité visionnaire pour des milliers de patients. Comme l’écrit sa fille Clara Gaymard dans une tribune publiée le 8 avril dans l’Opinion, “la négation de son rôle primordial dans l’avancée de la médecine moderne est une insulte à la vérité.”

Guillaume de Thieulloy (propos recueillis auprès de la Fondation Jérôme Lejeune)

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2 commentaires

  1. Arte a choisi de présenter cette affaire sous l’angle du conflit des sexes, avec Marthe Gauthier en victime féminine :
    https://www.arte.tv/fr/videos/090626-027-A/cherchez-la-femme/

    Un jour, on nous sortira peut-être un film en ce sens. L’époque y est propice.

    La Fondation Lejeune a publié en 2018 un document sur le sujet sous forme de questions-réponses : https://www.fondationlejeune.org/wp-content/uploads/2018/09/Dossier-J%C3%A9r%C3%B4me-Lejeune.pdf

  2. Le Professeur Lejeune était un défenseur de la vie, la “gauche” cherche donc tous les moyens, même mensongers, pour salir sa mémoire. C’est hélas d’une affligeante banalité.

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