Extrait d’un exposé historique d’Yves de Lassus, président de l’AFS :
Il y a 70 ans, en 1949, à Saint-Étienne, au cours de son premier congrès, le Centre d’Études Critiques et de Synthèse (CECS) changeait de nom et devenait La Cité catholique d’où naîtra, 26 ans plus tard, l’Action Familiale et Scolaire (AFS). Il est important de connaître cette histoire et de savoir ce que ceux qui nous ont précédés nous ont légué, afin d’en conserver l’esprit pour à notre tour pouvoir le transmettre.
- UN LONG HÉRITAGE CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE
La naissance de La Cité catholique, puis de l’AFS n’est pas le fruit du hasard. Si La Cité catholique a pu voir le jour en France peu après la deuxième guerre mondiale, c’est qu’elle y a trouvé un terreau particulièrement favorable : l’école contre-révolutionnaire.
C’est en effet en France que ce courant de pensée est né et s’est développé. Car, pendant plus de deux siècles, les catholiques français ont eu à subir plusieurs assauts particulièrement violents qui les ont conduits à développer une capacité de résistance tout à fait exceptionnelle. Si la France est encore aujourd’hui en pointe dans la résistance à la révolution religieuse et politique, c’est parce que, trop souvent hélas, la France a été le laboratoire de cette révolution.
Il n’est pas possible ici de rapporter l’histoire de l’école contre-révolutionnaire en France. Toutefois, pour bien comprendre la génèse de La Cité catholique, il est nécessaire d’en brosser un rapide tableau.
- Les crises françaises
Depuis la fin du XVIIIe siècle, la France fut confrontée à une série de crises qui lui donnèrent l’occasion de développer une solide doctrine contre-révolutionnaire. La première à laquelle elle dut faire face fut particulièrement grave : la Révolution, dite “française”, avec l’abolition de la monarchie.
Puis au siècle suivant, après l’échec de la Restauration, la France connut trois révolutions : la révolution de Juillet en 1830, la révolution de 1848, puis la Commune de Paris en 1871, avec l’avènement de la troisième République. Cette dernière crise fut aggravée en 1883 par le décès sans descendance du comte de Chambord, dernier héritier direct de Louis XIV, ce qui posa de façon aigüe la question de la succession au trône et divisa le monde royaliste.
Ensuite, à la fin du XIXe siècle, survint une crise encore plus grave : par l’encyclique Au milieu des sollicitudes (1892), le pape Léon XIII incitait les catholiques français, dans leur grande majorité monarchistes, à collaborer loyalement avec les institutions républicaines pourvu que soient sauvegardés certains principes fondamentaux en matière, notamment, de liberté d’éducation. Cette crise qui avait pour origine le pape lui-même, eut pour conséquence de créer une division supplémentaire parmi les catholiques les plus fidèles au pape. Car une partie refusa de suivre la demande papale ; par exemple, René de La Tour du Pin refusa le Ralliement alors qu’Albert de Mun l’accepta.
Contrairement à ce qu’espérait Léon XIII, le Ralliement accéléra la dérive laïciste et anticléricale, et certains catholiques passèrent de l’acceptation du système républicain à celui des principes inspirateurs de la Révolution française, comme Marc Sangnier (1873-1950) par exemple.
Au début du XXe siècle, la France souffrait ainsi d’une triple fracture : entre catholiques royalistes et républicains, entre légitimistes et orléanistes, enfin entre l’obéissance ou non au pape. C’est alors qu’intervint une nouvelle crise : la séparation de l’Église et de l’État, véritable machine de guerre contre les catholiques.
Quelques années plus tard, une nouvelle crise grave survint : les sanctions prises par le Vatican contre L’Action française, crise d’autant plus grave que pour la deuxième fois, le coup venait du Saint-Siège et divisa encore une fois les catholiques fidèles à Rome.
Soit sept crises majeures en moins de 150 ans : une tous les 20 ans en moyenne ! On comprend que, confrontés à la nécessité constante de se battre, de prendre en mains la défense de leurs propres affaires et d’assumer l’entretien de leurs prêtres, de leurs églises et chapelles, de leurs écoles, cette série de crises engendra chez les catholiques une réaction vigoureuse conduisant à l’élaboration avec le temps d’un corpus doctrinal exceptionnel.
- Les réactions
Les premiers à réagir furent Joseph de Maistre (1753-1821) et son correspondant et ami Louis de Bonald (1754-1840). Joseph de Maistre peut être qualifié de fondateur de l’école contre-révolutionnaire. Car il fut le premier à désigner le caractère propre de la révolution :
Il y a dans la Révolution française un caractère satanique qui la distingue de tout ce qu’on a vu et peut-être de tout ce qu’on verra.
Et il émit les premiers éléments pour réagir :
Le rétablissement de la monarchie, que l’on appelle contre-révolution, ne sera point une révolution contraire, mais le contraire de la révolution. (Ibid. p. 216)
Dans L’enjeu, Jean Ousset cite une autre phrase de Joseph de Maistre, malheureusement sans donner la référence :
Elle [la contre-Révolution] doit être le contraire de la Révolution, non une révolution contraire. C’est-à-dire qu’il faut renouer les liens sociaux au lieu de les briser, qu’elle doit exercer une action coordinatrice en sens inverse de l’action désorganisatrice de la Révolution.
Au début du siècle suivant, apparaît une deuxième génération de penseurs contre-révolutionnaires avec en particulier Antoine Blanc de Saint-Bonnet (1815-1880) et surtout le célèbre journaliste Louis Veuillot (1813-1883). Il faut également mentionner le précurseur des catholiques sociaux, Frédéric Le Play (1806-1882). Parmi eux, figurent également des ecclésiastiques : le père Nicolas Deschamps (sj., 1797-1873), Mgr Jean-Joseph Gaume (1802-1879), le cardinal Louis-Édouard Pie (1815-1880), Mgr Charles-Émile Freppel (1827-1891). On pourrait aussi mentionner dom Prosper Guéranger (1805-1875), père abbé du monastère de Solesmes.
Ensuite viennent des disciples de Frédéric Le Play qui tiennent largement compte des thèses contre-révolutionnaires, notamment René de La Tour du Pin (1834-1924) et Albert de Mun (1841-1914). Mais ce ne sont pas les seuls ; on pourrait aussi citer Montalembert, Léon Harmel, … Avec eux, on trouve également des ecclésiastiques, en particulier Mgr Henri Delassus(1836-1921), Mgr Ernest Jouin (1844-1932), le père Paul Benoit (1850-1915), l’abbé Emmanuel Barbier (1851-1925), etc.Mentionnons aussi Charles Maurras (1868-1952) qui, s’il avait perdu la foi, fut malgré tout appelé par St Pie X « un beau défenseur de la foi ».
De leur côté, les papes appuyèrent ce courant de pensée en publiant des encycliques remarquables, tout particulièrement Pie IX(Quanta cura et son annexe le Syllabus…), Léon XIII (Libertas, Immortale Dei, Rerum novarum…), saint Pie X (E suppremi apostolatus, Vehementer, Lettre sur le Sillon…) et Pie XI (Quas primas, Quadragesimo anno…).
Bien sûr, il n’y eut pas que des Français à réagir. On peut citer Edmond Burke (1729-1797) en Angleterre, Juan Donoso Cortès (1809-1853) en Espagne ou Mgr Leo Meurin (sj., 1825-1895) en Allemagne. Mais les Français furent les plus nombreux à réagir.
Voilà donc l’environnement dans lequel baignèrent les fondateurs de la Cité catholique durant leur adolescence.
- JEAN OUSSET ET LA CITÉ CATHOLIQUE
- La jeunesse
Jean Ousset naquit à Porto, au Portugal, le 28 juillet 1914, dans une famille catholique et monarchiste qui soutenait L’Action Française. Ses parents ayant été obligés d’aller travailler à Paris, et estimant l’air de la capitale peu propice à un garçon de santé fragile, ils confièrent l’éducation de leur fils unique à ses grands-parents maternels, également catholiques et monarchistes convaincus, des paysans vivant au village de Montalzat, dans le Quercy. De cette éducation, Ousset gardera toujours un amour de la culture rurale et de la France profonde.
Il fit ses études secondaires au collège St-Elme des dominicains d’Arcachon où il fit la connaissance de Jean Masson (1910-1965), futur fondateur avec lui de La Cité catholique. En 1934, tous deux créèrent un petit groupe de travail à Montalzat sous la tutelle de l’abbé Jean Choulot, curé du village, fervent partisan de L’Action Française, lui aussi, et qui avait réuni dans son presbytère une importante documentation sur l’école contre-révolutionnaire.
À cette époque, le père de Jean Ousset lui trouva un travail dans l’artisanat (fabrication de chapeaux), travail qu’il abandonna bientôt pour se consacrer à sa passion : l’art. Il partit pour Bordeaux suivre des cours de peinture et de sculpture. Puis il fit trois ans de service militaire au sein du 9e bataillon de chasseurs alpins.
- Le groupe Montalzat
Après le service militaire, il reprit contact avec son ami Jean Masson et l’abbé Choulot. Le Groupe de Montalzat, créé en 1934, fut reconstitué. L’abbé Choulot prit en charge la formation doctrinale du groupe, permettant aux discussions de prendre une direction moins anarchique. Le charisme et la fougue du jeune abbé vont orienter le combat des pionniers de La Cité catholique et seront à l’origine des initiatives ultérieures d’Ousset.
Parallèlement, pour gagner sa vie, Jean Ousset travaillait comme ouvrier dans une usine et va découvrir à cette occasion les méthodes de fonctionnement du Parti communiste, sa “dialectique” et son influence sur les ouvriers.
Le 7 mai 1939, au congrès des étudiants d’Action Française de Bordeaux, alors qu’il n’avait que 25 ans, il lut devant un auditoire, où figurait Maurras, un texte sur le thème L’Action Française, école de vérité. Le lendemain, dans le quotidien de L’Action Française, Maurras exprima son enthousiasme pour les qualités du jeune orateur. Ce dernier alla alors voir Maurras à Paris et lui soumit un projet d’école doctrinale pour L’Action Française. Maurras lui répondit que, comme l’indiquait son nom, L’Action Française partait de l’action, non des idées, ajoutant : « Toutefois si vous cherchez une doctrine, soyez certain qu’il n’y a de doctrine vraie que catholique. Si donc vous êtes catholique, ne le soyez pas à moitié ! »
C’est alors qu’avec Jean Masson il décida de consacrer sa vie à l’établissement de la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ, par un vœu solennel qu’il prononça avec un groupe d’amis devant une statue de la Vierge, à Montalzat, le 15 août suivant. C’était il y a 80 ans.
La guerre dispersa ce premier embryon d’association. Brillant sous-officier, Ousset fut décoré de la croix de guerre, puis fut fait prisonnier en 1940 alors qu’il combattait devant la maison natale de sainte Jeanne d’Arc à Domrémy. Durant sa détention, il fut frappé par l’efficacité des prisonniers communistes pour argumenter et convaincre. Fervent anticommuniste, Ousset en conclut que si la droite et les catholiques disposaient d’une supériorité incontestable sur le plan des idées, les communistes étaient plus efficaces sur le plan de la propagande et de l’action.
Après plusieurs tentatives d’évasion, il fut libéré en 1942 et retourna en France. Ousset adhéra alors au régime du maréchal Philippe Pétain et devint le chef du bureau d’étude du mouvement de jeunesse Jeune légion, structure liée à la Légion française des combattants de Xavier Vallat, un des bras armés du régime de Vichy. À l’époque, il eut pour collègue … François Mitterrand ! Il devint ainsi le principal animateur des journaux du mouvement : Jeune Légion (1942-1943), puis Bastions(1943-1944) où furent publiées les premières ébauches des études diffusées plus tard par la Cité Catholique. Il publia également deux ouvrages politiques : Histoire et génie de la France (1943) et Fondement d’une doctrine (1944).
- La découverte des exercices spirituels
En 1944, grâce une fois de plus à son ami Masson, il fit une rencontre décisive, celle du père François de Paule Vallet (1884-1947), fondateur des Coopérateurs Paroissiaux du Christ-Roi (CPCR), infatigable prêcheur des Exercices Spirituels de saint Ignace de Loyola, qu’il avait ramenés de 30 à 5 jours pour mieux répondre aux exigences des laïcs du XXe siècle.
Le père Vallet était installé depuis 1933 à Chabeuil, dans la Drôme (d’où le nom de “Pères de Chabeuil” souvent donné à sa congrégation). L’une des idées directrices de son œuvre était de rendre au laïcat, par la pratique des exercices spirituels, le sens de ses responsabilités civiques et de l’engager dans l’œuvre d’une restauration de la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ. Pour cela, il s’inspirait ouvertement de l’école contre-révolutionnaire.
Après cette rencontre providentielle, Jean Ousset comprit qu’il fallait réaliser « une action civique catholique non seulement par la doctrine professée (intelligence), mais encore par le recours aux sources inépuisables de la force divine (volonté) », autrement dit une réforme intellectuelle et morale. L’œuvre à fonder apporterait la partie intellectuelle et les exercices spirituels du père Vallet la partie spirituelle et morale.
- La création de La Cité catholique
Sous l’impulsion du père Vallet, qui leur avait mieux fait comprendre l’importance de la référence au Christ-Roi, Jean Ousset et Jean Masson reprirent, avec des convictions renforcées, les initiatives amorcées avant la guerre. Après avoir vérifié que rien de semblable n’avait été mis sur pied, ils créèrent une œuvre d’action civique qu’ils appelèrent Centre d’Études Critiques et de Synthèse. Pour Jean Masson, le CECS devait se placer clairement sur « le plan (…) de la contre-Révolution catholique ». La volonté des deux amis était de créer un organisme de laïcs agissant sous leur responsabilité civique à l’avènement d’un ordre social chrétien, grâce au droit reconnu par l’Église à tout catholique de prendre des positions politiques particulières. Il ne s’agissait pas de représenter l’Église mais de s’en faire l’écho « au plan de ces affaires sociales, civiques ou politiques que le naturalisme et le laïcisme révolutionnaire ne cessent de pénétrer ».
Le 29 juillet 1946, ils consacrèrent leur œuvre au Christ-Roi à la basilique de Montmartre, puis à la Sainte Vierge à la chapelle Notre-Dame de la Médaille miraculeuse, rue du Bac. La petite équipe s’installa d’abord à Salon-de-Provence où la famille de Masson possèdait une imprimerie. Ils y éditèrent un bulletin qui, au troisième numéro, prit le titre de Verbe, avec unecouverture jaune et blanche, et pour sous-titre Organe de formation civique pour la contre-révolution.
- Les premières années
Au cours des années suivantes et ce jusqu’en 1963, Jean Ousset et son équipe furent toujours très attachés aux retraites de Chabeuil. Car les CPCR diffusaient une doctrine et une spiritualité solidement catholiques et contre-révolutionnaires. Et, tout naturellement, ils encouragaient leurs retraitants à s’affilier à La Cité catholique, seule organisation franchement contre-révolutionnaire de laïcs catholiques en France à l’époque. Les dirigeants de la Cité catholique prirent donc l’habitude de faire des retraites à Chabeuil, et incitaient fortement leurs militants à faire de même. L’œuvre de Jean Ousset et Jean Masson et celle du père Vallet s’appuyaient ainsi l’une sur l’autre, La Cité catholique envoyant des retraitants à Chabeuil, Chabeuil donnant à ces retraitants de meilleures assises surnaturelles et une volonté mieux affermie de se consacrer à la restauration chrétienne de la cité. Ce fut une collaboration exemplaire : chacun restait dans son domaine, les clercs s’abstenant de toute forme de cléricalisme, les laïcs évitant d’”endosser le surplis”.
En 1949, le CECS organisa à Saint-Étienne son premier congrès, au cours duquel il changea de nom pour devenir La Cité catholique. Ce premier congrès ne réunit que 17 participants, mais les suivants connaîtront une progression régulière : 60 à Bordeaux en 1950, 100 à Marseille en 1951, 150 à Dijon en 1953 (le congrès de Nantes en 1952 dut être annulé à cause de l’opposition de l’évêque du lieu), 300 à Angers en 1954, 700 à Poitiers en 1957, entre 1000 et 1500 à Issy-les-Moulinaux en 1960, … avec à chaque fois le soutien de plusieurs évêques français.
À partir de 1952, commença une action particulièrement importante : la publication dans Verbe (du n° 50 – février 1953 au n° 88 – décembre 1957) d’une série d’articles intitulés Pour qu’Il règne sur nous. L’ensemble de ces articles fut ensuite publié en deux tomes intitulés Pour qu’Il règne sur nous… au combat pour la cité catholique. Dossier I (432 pages en 1957) et Dossier II (444 pages en 1958) ; puis en 1959 une version revue et augmentée en un seul tome vit le jour, avec une couverture rouge et intitulé Pour qu’Il règne. Plusieurs autres éditions suivront, notamment en 1970 et 1975, avec à chaque fois une composition légèrement différente.
Outre la publication de Verbe, La Cité catholique agissait également selon un nouveau type d’organisation : les “cellules”, petits cercles d’amis pour étudier la doctrine de l’Église et dont l’idée remontait à l’époque du Groupe de Montalzat.
Par sa revue Verbe, écrit Jean Madiran, par son “cour des cadres”, par ses ouvrages et par ses “congrès”, Jean Ousset a été, pour les générations catholiques d’après-guerre, à la fois un instituteur, un maître à penser, un guide spirituel : au milieu des ténèbres et des contradictions, il fut le gardien de ses frères en Jésus-Christ.
En 1955, Ousset décida de transférer La Cité catholique à Paris, et l’équipe s’installa rue Copernic. Deux ans plus tard, en désaccord sur différents points, Ousset et Masson se séparèrent tout en restant amis, Ousset resta ainsi le seul dirigeant-fondateur aux commandes.
En juillet 1964, La Cité catholique déménagea pour s’installer rue des Renaudes. Ce fut à cette époque que trois des futurs piliers de l’AFS y furent intégrés : Arnaud de Lassus en 1961, Ennemond Beth en 1968 et, un peu plus tard, Louis d’Anselme en 1972.
- Une transformation contestée
À la fin des années 1950, La Cité catholique était en plein essor. Mais arriva alors la crise de la guerre d’Algérie, puis, très vite après, la grande démolition conciliaire et post-conciliaire. Dès 1962, un changement d’orientation se dessina à Chabeuil. Peu à peu, dans les retraites, on vit s’atténuer l’insistance sur la royauté sociale de Notre Seigneur et sur les devoirs civiques des laïcs. Certaines des intuitions fondamentales du père Vallet furent négligées. Et l’extraordinaire efficacité résultant de la collaboration sans confusion entre la Cité catholique et les coopérateurs paroissiaux du Christ-Roi alla en s’amoindrissant au fil des années. Parallèlement, les évêques français se montrèrent de plus en plus ouvertement hostiles à La Cité catholique.
En 1963, Jean Ousset, devant ce constat et reprochant en outre à son œuvre d’être devenue un véritable mouvement, ce qu’il ne voulait pas qu’elle soit, prit la décision d’en modifier les structures jugées trop centralisées, et d’en changer le nom : La Cité catholique devint l’Office international des œuvres de formation civique et d’action doctrinale selon le droit naturel et chrétien, en abrégé L’Office. Ce nom, très long, selon R. de Neuville « se voulait délibérément imprononçable, même par le jeu des initiales, pour que l’on ne puisse plus se ranger derrière une étiquette ».
Cinq ans plus tard, en 1967, le nom fut légèrement modifié : “action doctrinale” fit place à “action culturelle”. Parallèlement, le nom de la revue fut également changé et Verbe devint Permanences. Ces changements furent loin de faire l’unanimité ; notamment Arnaud de Lassus les jugea toujours regrettables, et le recul du temps le conforta dans ce jugement.
- Le développement de l’Office et la création de l’AFS
L’Office poursuivit, sous une étiquette différente, les tâches de La Cité catholique, luttant contre l’esprit de chapelle et jouant un rôle de rassembleur. Voulant que son œuvre ressemble à une association d’associations, Jean Ousset suscita la création de groupes auxiliaires, appelés “satellites”, dont plusieurs sont encore en activité aujourd’hui : Centre d’Études des Entreprises (CEE), Centre d’Études et de Recherches des Cadres (CERC), Secrétariat d’Information et d’Études Familiales (SIDEF), Secrétariat d’Information pour les Collectivités Locales Et Régionales (SICLER), etc.
C’est ainsi que l’Action Familiale et Scolaire (AFS) vit le jour le 1er octobre 1975, par fusion de deux satellites : l’Action Scolaire et le SIDEF, créés respectivement en 1966 et 1967 par Michel Creuzet et Michel de Penfentenyo.
L’équipe de L’Office continua à organiser des congrès en Suisse avec un succès croissant : à Sion en 1964, puis à Lausanne de 1965 à 1977, avec la participation d’orateurs de renom : Gustave Thibon, Jean Madiran, Louis Salleron, les frères Charlier, … 2500 à 4000 personnes se retrouvaient durant trois jours, donnant l’occasion à des animateurs d’œuvres très variées d’harmoniser et de concerter leurs actions. En 1977, un journaliste du quotidien Le Monde constatait : « Trois jours durant, le palais Beaulieu de Lausanne a sans doute renfermé la documentation contre-révolutionnaire la plus importante d’Europe. »
Ces douze années des congrès de Lausanne furent des années de grand rayonnement : nombreux sont ceux qui trouvèrent dans les cellules de L’Office et à Lausanne une formation et une impulsion qui furent décisives pour leur vie ; beaucoup d’œuvres naquirent, soit des cellules, soit des rencontres faites à Lausanne ; et des concertations internationales purent s’opérer au cours de ces congrès qui réunissaient collaborateurs et amis venant d’une quinzaine de pays.
Malheureusement, après le concile Vatican II, L’Office et les groupes d’amis menant le même combat trouvèrent de moins en moins d’appui dans le monde ecclésiastique. Et les difficultés d’ordre religieux, nées du concile Vatican II, allaient être la cause de multiples divisions, en particulier, la promulgation du Novus Ordo Missae, Ousset n’ayant pas voulu prendre position.
- L’essai du “sociabilisme”
Au début des années 1970, Jean Ousset se remit à douter de l’efficacité de son œuvre, jugeant sévèrement d’une part les congrès dont l’organisation prenait, selon lui, trop de temps au détriment du travail de fond, d’autre part les satellites qu’il trouvait trop spécialisés et perdant le sens du combat général.
En 1974, il disparut brusquement : il quitta L’Office, sa famille, ses amis et, sous une fausse identité, il sillonna la France, fit la queue dans les bureaux de placement et accepta divers d’emplois très humbles pour lui permettre, disait-il de « rencontrer, parler, interroger, savoir de près, en direct, où en est le peuple de France ».
Deux ans plus tard, il réapparut et proposa une nouvelle évolution : le sociabilisme, qu’il définissait ainsi :
« Le sociabilisme, n’est pas une manière de convertir les gens à quelque autre système que ce soit. Il a pour but spécifique (très limité) de permettre à des gens de vivre ensemble, même si ces gens ne veulent changer en rien. »
Plusieurs dirigeants de L’Office, notamment Arnaud de Lassus, n’accrochèrent pas avec cette proposition de sociabilisme. Le terme ressemblait trop à ‘socialisme’. Et bien qu’Ousset se soit efforcé d’expliquer qu’il s’agissait d’une action préliminaire, rendue nécessaire par les désastres de l’après-1968, la tentative n’eut guère de succès et s’arrêta au bout de quelques années. Cette époque vit également la fin des grands congrès de Lausanne, le dernier ayant eu lieu en 1977.
III. LA SÉPARATION
Peu après, Ousset et certains dirigeants de L’Office souhaitèrent un remaniement profond de son organisation, lequel créa un climat de tension, au point qu’à la fin de 1979, il fut demandé à trois permanents de démissionner : Michel de Penfentenyo (responsable du SICLER), Ennemond Beth (responsable de l’AFS) et Arnaud de Lassus (responsable des réseaux). Désapprouvant cette mesure, Louis d’Anselme, secrétaire général de L’Office, démissionna lui aussi.
Michel de Penfentenyo décida de poursuivre l’action du SICLER en travaillant chez lui au Chesnay. Les trois autres, ne pouvant plus se rendre rue des Renaudes, prirent l’habitude d’aller dans les locaux du CEE situés avenue Niel, à une cinquantaine de mètres de la rue des Renaudes et essayèrent tant bien que mal de maintenir les activités de l’AFS qui avait à peine quatre ans d’existence. Providentiellement, un mois plus tard, en janvier 1980, le CEE déménagea rue de Logelbach, laissant libre les locaux de l’avenue Niel. L’Action Familiale et Scolaire s’y installa donc définitivement. Alors que jusqu’à présent, elle ne reposait que sur Ennemond Beth, elle se vit dotée du jour au lendemain de bureaux et de trois permanents à temps plein !
De son côté, L’Office poursuivit sa tâche de formation et d’action civiques et culturelles, mais demanda à tous les satellites d’agir désormais en autonomie complète. En 1981, il changea une fois de plus de nom, devenant ICTUS (Institut Culturel et Technique d’Utilité Sociale), puis une autre fois en 1997 pour devenir Centre de formation à l’action civique et culturelle selon le droit naturel et chrétien, pour finalement revenir en 2006 au nom d’ICHTUS, écrit cette fois avec un “h” pour coller à l’orthographe du mot “poisson” en grec.
Petit à petit, les orientations doctrinales et les modes d’action se différencièrent, Ichtus se réfèrant de plus en plus à l’enseignement conciliaire ou post-conciliaire, l’AFS restant indéfectiblement attachée aux enseignements des papes d’avant le concile.
Jean Ousset mourut à Paris dans la nuit du 19 au 20 avril 1994.
IV. LE DÉVELOPPEMENT DE L’AFS
Ainsi, janvier 1980 vit un changement complet dans le fonctionnement de l’AFS : l’organisme devint totalement autonome, disposant de locaux propres et fort de l’appui de trois permanents : Ennemond Beth, Louis d’Anselme et Arnaud de Lassus. De là date l’essor que nous lui connaissons.
- Le développement des activités
L’AFS développa ses activités dans huit secteurs : la formation civique générale, la défense de la famille, de l’école et de la vie, les catéchismes, la crise dans l’Église, les actions à l’étranger, enfin les stages et sessions de formation. Pour conduire toutes ces actions, l’équipe dut se renforcer. C’est ainsi qu’arrivèrent François Desjars en 1987, Michel Berger en 1989, Michel Desclos le Peley en 1996, André Frament en 1999… La revue s’étoffa et publia de nombreuses brochures, dont la série Connaissance élémentaire.
À ce jour, outre les 267 numéros de la revue, le fond documentaire de l’AFS contient plus de 400 brochures sur des sujets très variés, classés dans une soixantaine de rubriques autour de sept grands thèmes :
- philosophie (métaphysique, idéologie, évolutionnisme, …) ;
- bioéthique (culture de mort, avortement, euthanasie, …) ;
- religion (doctrine sociale, liturgie, histoire de l’Église, modernisme, …) ;
- famille ;
- éducation (autorité, adolescence, enseignement, …) ;
- histoire ;
- politique (doctrine, démocratie, laïcité, FM, mondialisme, …).
Importante source documentaire donc, que de nombreux amis nous demandent de faire vivre.
- L’affaire des catéchismes
Peu après la séparation entre l’AFS et L’Office, éclata en France l’affaire des catéchismes Pierres vivantes, officiellement publiés le 15 avril 1981. S’agissant de l’éducation à la foi, l’AFS était directement concernée et très vite des articles parurent dans la revue remettant fermement en question le bien fondé de cette réforme. Et à partir d’août 1981, pratiquement tous les numéros de la revue abordèrent la question, parfois de façon succincte, mais souvent avec des dossiers de plusieurs pages. Ainsi, dès sa naissance pourrait-on dire, l’AFS eut à combattre très concrètement sur un sujet d’une importance vitale pour la foi, ayant souvent à lutter contre des ecclésiastiques.
L’année suivante, Ennemond Beth et Arnaud de Lassus se rendirent à Rome pour rencontrer le cardinal Oddi, préfet de la Congrégation pour le clergé, et lui remettre un important dossier sur la question. Le cardinal se montra très intéressé, ce d’autant que Mgr Gilson et Mgr Boffet étaient venus lui présenter le projet à l’automne 1980, et qu’il avait demandé d’effectuer plusieurs corrections. Le cardinal, devant l’intérêt du dossier de l’AFS, s’arrangea pour organiser dès le lendemain une entrevue avec le cardinal Ratzinger, qui venait d’être nommé préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Le cardinal Ratzinger se montra lui aussi très intéressé et demanda un dossier complémentaire. Deux semaines plus tard, Ennemond Beth retournait à Rome pour remettre ce dossier au cardinal Ratzinger. Anecdote amusante : dans le compartiment-couchette qu’il occupa, se trouvait également Mgr Boffet qui, cette nuit-là, voyagea sans le savoir avec un de ses principaux détracteurs !
Apparemment la démarche auprès de Rome porta ses fruits, car le cardinal Ratzinger se rendit à Lyon, puis à Paris, les 15 et 16 janvier 1983, pour donner une conférence au cours de laquelle il critiqua sévèrement le nouveau catéchisme des évêques de France, déclarant : « Ce fut une première et grave faute de supprimer le catéchisme et de déclarer “dépassé” le genre même du catéchisme. » Il reprocha le fait « qu’on n’a plus le courage de présenter la foi comme un tout organique en soi, mais seulement comme des reflets choisis d’expériences anthropologiques partielles ».
Pendant les premières années de ce combat, l’AFS eut la chance de bénéficier des lumières d’un personnage exceptionnel : le père Joseph de Sainte Marie, fils de Louis Salleron. Jusqu’à sa mort survenue en 1985, il éclaira les membres de l’AFS non seulement sur les catéchismes en signalant et expliquant les nombreuses erreurs doctrinales qu’ils contenaient, mais aussi sur la nouvelle messe. Plus généralement, il leur fit comprendre la gravité de la crise dans l’Église, et tout spécialement l’étendue de la pénétration du libéralisme dans l’enseignement du Magistère.
- Les développements récents ou en cours
S’il faut transmettre ce que nous avons reçu, il convient aussi d’y apporter notre propre contribution, conformément à l’enseignement de la parabole des talents. C’est pourquoi plusieurs éléments nouveaux ou changements sont apparus récemment. Tout d’abord, grâce au dévouement d’un nouveau collaborateur, la présentation de la revue a été améliorée. Élément nouveau le plus visible, il n’est cependant pas le seul.
3.1. Le rapprochement avec le MCF
Depuis juin 2018, l’AFS et le Mouvement Catholique des Familles (MCF) se partagent les locaux de l’avenue Niel que l’AFS occupait seule depuis 38 ans. En effet, les charges devenaient lourdes à supporter et il convenait de trouver un partenaire pour les partager, ce d’autant plus qu’avec le départ de certains permanents, certains bureaux étaient peu occupés. Mais surtout, les activités des deux organismes concourant chacun à aider les familles, l’un sur le plan financier, l’autre sur le plan intellectuel, se complétaient parfaitement.
3.2. La création du fonds de dotation Frédéric Le Play
Suite à ce rapprochement, les deux présidents de l’AFS et du MCF ont souhaité donner plus de poids aux actions au profit de la famille en créant un fonds de dotation avec pour objectif d’avoir à terme une fondation pour la famille, à l’instar de la fondation pour l’école. Agréé par la préfecture de Paris en mars 2018 sous le nom de Fonds de dotation Frédéric Le Play (FFLP), le fond met en place petit à petit les actions qu’il juge utile pour défendre la famille aujourd’hui : information, soutien juridique, intervention auprès de personnalités, etc.
3.3. La mise en place d’un nouveau site internet
L’important fond documentaire de l’AFS étant jugé sous-employé, il a été décidé de le rendre plus accessible. Pour cela, un nouveau site internet a été mis en place au mois de mai 2019 et propose soit sous forme papier, soit sous forme numérique tous les numéros de la revue et une grande partie des brochures. Actuellement, le quart des brochures est accessible. Petit à petit, les autres brochures sont intégrées au site. À terme, l’essentiel du fond documentaire sera accessible depuis le site.
Outre ces actions, d’autres sont envisagées et pourront voir le jour en fonction des ressources que l’AFS pourra trouver pour les conduire : cours de philosophie par internet à destination des parents pour leurs enfants en Première et Terminale, reprise des relations nouées avec le Canada par Arnaud de Lassus de 1990 à 2005, etc.
V. CONCLUSION : L’AFS AUJOURD’HUI
Quelles conclusions tirer de cette histoire ? Essentiellement trois.
Tout d’abord, une grande humilité. Les actuels dirigeants de l’AFS sont convaincus que « nous ne sommes que des nains juchés sur des épaules de géants ». Ils essayent de faire avec les moyens qu’ils ont, conscients que ceux qui les ont précédés restent des modèles difficiles à égaler. De plus, l’équipe actuelle est peu nombreuse, alors que le travail à faire reste toujours important. Mais Dieu aime les petits nombres et se plaît à aider les faibles.
Ensuite, un dévouement sans faille à l’établissement du règne du Christ-Roi. Ceci conduit à dénoncer les erreurs, rappeler la vérité enseignée par l’Église, et plus concrètement, défendre la Cité, à savoir, pour ce qui concerne l’AFS, défendre la famille et l’école.
Enfin, le souci constant de transmettre fidèlement. L’AFS est l’héritière d’une lignée d’acteurs contre-révolutionnaires et se doit de transmettre leur héritage sans le déformer, en l’adaptant simplement aux conditions de notre époque, plus particulièrement dans ses domaines de prédilection que sont la famille et l’école. Il lui faut donc rester fidèle à l’enseignement de l’Église, notamment des papes de Pie IX à Pie XII. Cet esprit de fidélité a été très bien résumé par Bossuet, dans un texte de référence cher à Arnaud de Lassus :
Lorsqu’il s’agit d’expliquer les principes de la morale chrétienne et les dogmes essentiels de l’Église, tout ce qui ne paraît point dans la tradition de tous les siècles et principalement dans l’antiquité, est dès là non seulement suspect, mais mauvais et condamnable ; et c’est le principal fondement sur lequel tous les saints Pères – et les papes plus que les autres – ont condamné les fausses doctrines, n’y ayant jamais eu rien de plus odieux à l’Église romaine que les nouveautés. Quant aux doctrines nouvelles dont on ne s’est jamais avisé, et qui par conséquent n’ont pas été combattues par les Anciens, il n’y a rien de plus nécessaire que de les rejeter, précisément comme nouvelles et inouïes, la Vérité ne pouvant jamais l’être dans l’Église.
C’est pourquoi, dans chaque brochure ou numéro de la revue, pour présenter les fondements sur lesquels l’AFS s’appuie, il est indiqué : « L’AFS se réfère à l’enseignement CONSTANT de l’Église catholique romaine et se soumet à son autorité légitime. » Et pour que nul n’en ignore, le mot “constant” a été mis en lettres capitales. Ainsi l’AFS espère-t-elle maintenir l’esprit qui avait présidé à la fondation du SIDEF et qui se définissait ainsi en 1966 :
1) Former une élite nouvelle décidée à payer le prix nécessaire à sa propre formation et à l’éducation de son entourage.
2) Organiser une concertation d’ami à ami, de foyer à foyer, pour opposer à la “Machine” un jeu de forces solides, multiformes fondé sur la force même de Celui qui a dit : “Ne craignez rien… j’ai vaincu le monde”.
Le monde sombre dans la folie parce qu’il s’est détourné de Dieu. La corruption des mœurs et des esprits gagne à proportion de la laïcisation de la vie sociale. C’est pourquoi tout espoir de salut doit commencer par un enseignement méthodique des principes. C’est la première condition d’un combat efficace contre les systèmes qui ruinent l’ordre humain et dissolvent, par là-même, la famille.
Nous ne pouvons atteindre “la masse” si nous n’atteignons pas d’abord les cadres naturels de la masse. C’est pourquoi notre intention, dans les débuts, est de toucher surtout ceux qui n’attendent que d’être aidés pour se mettre courageusement au travail.
Semper idem !
Yves de Lassus