Puisque l’Église catholique vient de changer la traduction française d’une des demandes du Notre Père, changement qui ne m’enthousiasme guère car j’aurais préféré revenir au « ne nous laisse pas succomber à la tentation », je pense tout naturellement à cette belle prière pour, comme prêtre, vous adresser mes vœux pour l’année qui va commencer. Rassurez-vous, je ne vais pas proposer une nouvelle traduction pour une autre demande, mais simplement une pensée pour aider à l’efficacité du combat qu’est toujours la prière. Dans celle du Notre Père, après l’évocation de la tentation, Jésus dit « Mais délivre nous du Mal », et plus précisément du « Mauvais ».
Cette fin d’année 2018, particulièrement inquiétante, nous oblige pour cette dernière demande de la prière du Seigneur, sinon à dire à voix haute dans la liturgie, du moins à penser très fortement à ce que nous appelons mal, ou le Mauvais. Si depuis des siècles son origine demeure bien évidemment la même, sa manifestation principale varie selon les époques. En cette fin 2018, il apparaît clairement, ce me semble, que le mal qui ronge notre pays est en particulier un système politique qui arrive en fin de course, peut-être plus rapidement que prévu. Celui-ci est issu d’un mensonge malheureusement incorporé à « l’histoire sainte » de la France moderne : celui de la Révolution française, ayant transformé la Fille aînée de l’Église en Patrie des droits de l’homme, sans devoirs énoncés et sans référence à Dieu. On a fait croire aux Français qu’ils avaient eu à leur tête un roi au pouvoir absolu, qui ne pouvait être qu’ennemi du peuple et de sa volonté, assimilée à la volonté générale. On a fait croire aux Français que des représentants élus constitueraient la meilleure garantie de l’expression de cette volonté générale, ce qui établirait la liberté et l’égalité dans le pays. On a fait croire aux Français que l’institution d’un système politique serait la clé de leur bonheur et même celle du salut de la « Nation ».
On voulut donc construire un monde d’autant plus civilisé qu’il ne comporterait plus ni Dieu, ni roi, ni patrie, permettant ainsi aux hommes de se sentir davantage frères par la seule conscience de leurs droits. Et l’énormité d’un pareil mensonge ne put être présentée comme vérité qu’au moyen de mensonges supplémentaires : c’est le peuple, par le truchement de ses représentants, qui exercerait désormais l’autorité nécessaire à toute vie en société, autorité devant s’opposer à ce qu’on appelle le « despotisme » de l’Ancien régime, sorte de croquemitaine agité comme une figure du mal absolu. Le peuple soi-disant souverain conféra en fait sa souveraineté à ses représentants et en les élisant, il les sacra souverains à sa place et à la place du roi. Ils devinrent ainsi les « législateurs » chers à Rousseau, des personnages sacrés se substituant au vrai sacré. Ce ne furent pas 746 députés qui furent choisis en 1791 pour l’assemblée législative (749 pour la Convention en 1792) mais 746 surhommes, des sortes de demi-dieux qui purent tout exiger au nom de l’égalité et du salut de la Nation, détruisant au nom de la liberté tous les pouvoirs intermédiaires, toutes les barrières mises en place contre leur hubris par la patiente construction de l’Ancien régime. Et comme le seul fondement de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 pour justifier les distinctions sociales était le critère de l’utilité commune, les règles de la vie humaine furent ravalées à celles de l’offre et de la demande, qui devinrent la loi du marché, la loi de l’argent, plaçant de fait les hommes et les marchandises, au même niveau. Au final, n’était ce pas la seule égalité à laquelle pouvait prétendre un système matérialiste ? Quant aux hommes n’obéissant pas à ce critère, les inutiles, les proscrits, les ennemis de la liberté, de la « Révolution », de la « Nation » ou de la République, les gêneurs et les opposants, le principe même de cette déclaration des droits voulut qu’ils n’en aient aucun. Ils ne furent plus « distingués » comme hommes et citoyens, comme participant de l’humanité, à l’exemple de ceux qui ne voulurent pas de ce nouveau contrat social et de ses fausses promesses de bonheur. Le bien commun exigeait qu’on les neutralisât… ou pire encore ! Le fœtus avorté et incinéré comme un déchet subit ainsi la même loi que le Vendéen désigné comme brigand et brûlé vif dans son église. Une société nouvelle émergea, construite sur la seule quête d’un plaisir et d’un bonheur matériel par nature évanescents, légiférant pour en garantir la recherche perpétuelle, se débarrassant de ce qui entravait sa marche « en avant », et baptisant cela du nom de « Progrès ».
Chacun comprendra donc que ce que je veux adjoindre au « délivre nous du mal » est un « délivre nous de ce système ».
Pour aller directement au cœur du problème, c’est la manière dont s’exerce la représentativité du peuple qui est en cause. Depuis de très nombreuses années les Français ressentent confusément et de plus en plus qu’on se moque d’eux. Entre le référendum à deux questions n’exigeant qu’une seule réponse, le référendum que l’on devrait organiser et qu’on n’organise pas, et celui dont on bafoue les résultats, quelle confiance peut-on accorder encore aux responsables politiques ? Si l’on ajoute à cela le rôle de l’argent dans les campagnes électorales, la présidentielle surtout, à cause du suffrage universel direct où l’on vend un candidat comme une marque de lessive, où l’on confère aux médias un pouvoir indu et exorbitant, où l’on recourt à tous les coups tordus pour éliminer ses adversaires, les citoyens ont de plus en plus le sentiment qu’il ne sert à rien de voter parce que de toutes façons, ils ne seront pas représentés. Ils en viennent à penser que l’élu n’attend que son élection pour les ignorer et obéir en fait à ceux qui ont permis et financé sa campagne. Les connaisseurs de l’histoire de leur pays, la vraie, pas l’histoire sainte de la République, le savent bien et savent que c’est même pire encore. En effet, c’est aussi parce que l’élu est élu qu’il ne les écoute pas. Il en est devenu lui-même le peuple, le « peuple idéologique », parce que l’élu se croit éclairé par la connaissance des véritables problèmes que la masse ignore, par exemple celle des rouages secrets des obscurs mécanismes bancaires qui entourent la monnaie européenne, ou celle qui permet à la puissance publique de prélever quasiment la moitié de la richesse du pays tout en tolérant que les maîtres ploutocrates, grandes sociétés et grosses fortunes ne s’acquittent pas toujours de tous leurs devoirs fiscaux, (ce qui ne signifie pas que je sois pour le retour de l’ISF, impôt autant inutile que nuisible). Du haut de son élection, fort de sa toute-puissance, sacré par la République, l’élu en devient sourd aux demandes du vrai peuple, à ses besoins et problèmes réels. Même Louis XIV n’eut jamais tant de pouvoirs, et se montrait très attentif à son peuple, aux mouvements de foules, comme ses ancêtres et successeurs.
Voyez comment on ignora le peuple de la « Manif pour tous », comment des casseurs se retrouvèrent, comme par hasard, mêlés aux gilets jaunes, permettant à certains la fausse facilité, très momentanée, d’un amalgame vicieux. Considérez enfin ce que signifie, en profondeur, la demande d’un référendum d’initiative civique ou populaire, cette demande de démocratie cyniquement repoussée par les puissants au nom de la lutte contre le fascisme. C’est le désaveu total du système représentatif actuel, et l’aveu implicite du fiasco de la décentralisation, laquelle a coûté beaucoup d’argent pour n’aboutir qu’à reproduire les tares du système politique national dans la sacralisation des échelons locaux du pouvoir. Et puisque nous évoquons cette question d’argent, n’est-il pas naturel que des gens qui travaillent, mais aussi des chômeurs, voyant augmenter les ponctions et diminuer les prestations se posent des questions sur certains abus, par exemple, le versement de très grosses allocations familiales ou les utilisations frauduleuses de l’aide médicale ? Et de craindre par voie de conséquence le coût d’une immigration intarissable ? Ce n’est pas en traitant les gilets jaunes de racistes ou autres noms d’oiseaux issus du vocabulaire incantatoire des réquisitoires officiels du politiquement correct qu’on règlera la question. Bien au contraire, car, ce faisant, on laisse alors le peuple livré à lui-même et aux exploiteurs qu’on lui a fait élire. La crise est devenue telle qu’il n’y a plus rien à un attendre d’un homme providentiel : dans de semblables conditions, il ne s’agit plus, premièrement, d’une question d’hommes mais de principes politiques.
La France doit en tout premier lieu rendre sa place à Dieu dans la société, le Dieu de la Bible seul garant de la liberté (y compris la liberté religieuse), ainsi que des véritables égalité et fraternité. C’est avant tout l’affaire des chrétiens et non celle de l’État. De toutes façons, tant que son chef – celui de l’État – s’inscrira dans le même jeu politique que celui des représentants siégeant dans les deux chambres, son autorité ne saurait être d’une autre nature, et en aucun cas plus légitime, que la leur. Car il est, dans ce cas, condamné à n’être que l’homme d’une faction et non le chef de tous les Français. A défaut d’une monarchie héréditaire, l’élection du président de la République par le Congrès était une solution sage. Car c’est seulement dans ces deux cas de figure que le chef de l’Etat peut agir à la fois comme chef du pouvoir exécutif, assisté d’un premier ministre issu de la majorité parlementaire, et comme arbitre, recours, sage et digne de confiance, qu’il soit roi ou président, je le répète. Et dans ces deux cas son premier ministre dispose d’un réel pouvoir lié à la légitimité du parlement.
Le système du quinquennat a tout perverti, ravalant le premier ministre au rôle de fondé de pouvoir ou de fusible, réduisant les députés au rôle de gentils accompagnateurs du Grand Chef élu. Aux élections législatives qui suivent une élection présidentielle, on ne songe ainsi qu’à donner une majorité au président élu. Si l’on y réfléchit bien, le pouvoir est alors confisqué pendant cinq ans. On ne peut véritablement le contester que par les réseaux sociaux et dans la rue. C’est pourquoi la gravité de la situation me rend plus que perplexe sur l’utilité d’un grand débat national dans nos mairies. Quels ont été les résultats concrets du grand débat organisé en 2009 sur l’identité nationale ? Pas grand-chose en vérité. Qu’attendre alors de celui qu’on nous propose ? Aura t’on même le temps de l’organiser ? Les problèmes ont empiré depuis 2009, et le nombre de gens qui, à tort ou à raison, pensent qu’ils n’ont plus rien à perdre ne fait qu’augmenter. Pareille situation est toujours dangereuse, surtout, circonstance aggravante, quand les gouvernants n’inspirent plus confiance. Pour conduire des changements, il faut des pouvoirs politiques crédibles. Mais, aujourd’hui, parce que ce qui est légal n’est plus perçu comme légitime, je crains que le pouvoir politique français n’ait perdu toute crédibilité et que la majorité de nos concitoyens n’en attende plus rien.
Je ne doute pas qu’il y ait des hommes politiques sincères parmi ceux qui nous gouvernent et qui aient envie d’être délivrés du mal, en mettant fin à ce système qui paralyse la France. La seule voie paisible, évitant des agitations toujours mauvaises, est la voie légale, autrement dit dans le cas présent, a minima celle d’élections législatives organisées dans la plus grande clarté. Sinon il faudra plus rapidement qu’on ne le croit rajouter une ou deux fêtes nationales au calendrier, en plus du 14 juillet : le 9 novembre (18 Brumaire de l’an VIII), et le 25 août (la Saint Louis). Comme jours chômés supplémentaires, elles feront toujours l’unanimité, ce sera déjà cela. Et si elles sont mises en place dans les circonstances que j’imagine, hé bien, c’est que les vœux que je forme pour cette nouvelle année auront été exaucés et que nous aurons été délivrés du Mauvais, au moins de celui-là.