De Mathieu Parbot (article précédent : ici et là):
"Aux obsèques de Mgr Henri Brincard, évêque du Puy-en-Velay décédé le 14 novembre 2014, trois cents prêtres étaient présents. Cent seulement étaient issus de son diocèse. L’énorme proportion de ceux qui venaient d’ailleurs, les deux-tiers, révélaient la fécondité apostolique du prélat défunt. Son rayonnement discret venait de sa bonté, spécialement envers ceux qui avaient reçu l’imposition des mains. A l’origine, son intense dévotion mariale. Juxta crucem cum Maria telle était sa devise. Auprès de la Croix avec Marie.
Celui qui avait été l’élève du Cardinal Journet n’ignorait pas que le sacerdoce est un don, et comme tout don, il continue ici-bas l’amour de Dieu pour les hommes. Le prêtre est l’homme du don, de l’amour, du temps perdu. La sollicitude de Mgr Henri Brincard pour les prêtres lui avait un jour inspiré une belle intuition qui n’a, hélas, jamais pu voir le jour : ouvrir une maison résidentielle pour prêtres ayant connu de grandes difficultés. Les récentes affaires ayant secoué le diocèse de Lyon révèlent que le problème de la pédophilie, de l’homosexualité dans le clergé, ont un retentissement considérable sur la société.
Homme pour les autres, donné à tous, le prêtre ne s’appartient plus. Cette désappropriation est d’origine évangélique et renvoie directement au Christ. « Il s’est anéanti, exinanivit, prenant la condition de serviteur ». (Ph 2, 7) Le don est la marque des authentiques chrétiens. Dans le sacerdoce (comme dans le mariage mais sur un autre mode), il s’agit de se livrer totalement « sans retard, sans réserve, sans retour, par amour » comme l’a si bien dit saint Michel Garicoïts. Aussi, lorsqu’éclatent au grand jour des affaires atroces qui blessent terriblement des enfants innocents ou font connaître les frasques contre-nature de quelques prêtres, le scandale est affreux. Car si le plus bel acte d’amour est de donner sa vie pour ses amis, la chose la plus laide consiste à faire l’exact inverse. Là où le don gratuit provoque ici-bas l’irruption du sacré, le sacrifice, la violence captatrice d’une pulsion perverse constitue une profanation insoutenable.
Que faire, que dire, face à l’horreur ? Pour ceux qui peuvent l’entendre malgré la blessure, il y a le pardon. Mais pas seulement. Le pardon n’est pas l’oubli, du côté de la victime comme de l’agresseur. Se pencher sur les victimes, les accompagner est un devoir prioritaire pour l’Eglise. Dans la prise en compte de ces graves déviances, l’Eglise a une longueur d’avance considérable sur son temps. Elle est, une fois encore, à la pointe de tout ce qui touche à la dignité humaine. Pour autant, les agresseurs repentis ont le droit d’être eux aussi accompagnés, non seulement pour ne pas rechuter, mais encore pour grandir dans la redécouverte du véritable amour et mieux dépasser leurs graves déviances.
Le bienheureux Alain de Solminiac, évêque de Cahors au XVIIème siècle, s’était attaché à réformer son clergé en prenant lui-même en main chaque cas difficile. Son exigence était à la hauteur de son amour pour les plus petits, de sa conviction que la vérité évangélique, la foi de l’Eglise, est la seule parole qui guérit. Le prêtre n’est pas seulement christophoros, porteur du Christ, il est le Christ, alter Christus. Il peut dire alors sans mentir « ceci est mon corps » « ceci est mon sang ». Ainsi il est vraiment. En effet, c’est seulement quand l’homme devient ce qu’il est appelé à être qu’il est vraiment heureux. Pour le prêtre, l’identification au Christ doit être toute sa vie : mis à part, il est l’oint in aeternum.
Au regard de ces éléments, pourquoi ne pas imaginer la création d’un centre destiné à accompagner les prêtres affectés par les déviances évoquées précédemment ? Comme les communautés du Cenacolo, fondées par Sœur Elvira, aident tous ceux qu’une grave addiction affecte, on pourrait envisager un institut doté d’un encadrement expert en la matière, où la spiritualité serait à la fois centrée sur l’adoration du Corps Eucharistique de Jésus-Christ et la consécration à Notre-Dame, la Sainte Vierge, Mère et patronne des prêtres. Juxta crucem cum Maria.
Déplacer les prêtres ayant dévié ne peut être une solution, ce peut même être pire car, dans la solitude de cette nouvelle bouture, la branche fragile pourrait bien produire de mauvais fruits. L’autre solution qui consiste à assigner à résidence en abbaye est de plus en plus difficile à mettre en pratique : les communautés n’ont pas nécessairement les forces vives ni les compétences pour accompagner efficacement de tels hôtes. Le grand Saint Augustin avait résolu de cadrer son clergé lui donnant de vivre sous une règle pour mieux vivre le don du sacerdoce. Si ce grand docteur avait perçu la justesse de telles dispositions envers les prêtres de son temps, il pourrait être heureux de considérer à frais nouveaux la gestion et l'accompagnement des consacrés, religieux et prêtres en difficulté. Là où l’évêque d’Hippone n’avait pas craint d’imposer à tous les membres de son presbyterium une nouvelle manière de vivre, nous ne devrions pas craindre de le faire pour ceux qui auraient besoin d'une aide bien précise.
Quelle forme pour une telle structure ? Le nouvel institut pourrait fonctionner en s’appuyant sur quatre points cardinaux : prière, travail manuel, sport et ascèse, le tout dans un esprit de silence et de redécouverte d’une authentique vie fraternelle. Une attention pourrait être portée au fait que les pensionnaires ne doivent pas être pointés comme des moutons noirs mais accompagnés sur le chemin de guérison et de conversion qui est le leur. Dans le cas précis, une telle maison pourrait en pratique être ouverte à tous ceux qui ont besoin d’être aidés. Aux Etats-Unis et au Brésil, il existe déjà de tels centres dont les fruits sont plus que positifs. Parmi les pensionnaires de passage, on rencontre des personnes traitées pour dépression sérieuse, alcoolisme, problème de mœurs… La paternité responsable de l’évêque serait alors visible d’une autre manière. Un tel projet, au-delà des mots et des communiqués, pourrait être un acte prophétique."