Grégor Puppinck publie un essai sur l'objection de conscience aux éditions du CNRS : L’Objection de conscience et les droits de l’homme. Il est interrogé par Zénit :
Vous venez de publier aux éditions du CNRS une étude approfondie sur l’objection de conscience. Pouvez-vous rappeler ce qu’est l’objection de conscience?
L’objection de conscience est toujours un refus, le refus opposé par une personne à l’exécution d’un ordre qu’elle juge incompatible avec une conviction formée par sa conscience à la lumière de la morale et, le cas échéant, de ses croyances religieuses. L’objection de conscience ne se limite donc pas au domaine du service militaire, mais peut s’opposer à toute action jugée contraire à la morale ou à une prescription religieuse. Sous l’angle des droits de l’homme, l’objection de conscience est une modalité d’exercice de la liberté de conscience. En effet, la liberté de conscience garantit, sous certaines conditions, à la fois la liberté positive de manifester ses convictions en agissant conformément à elles, mais aussi la liberté négative de ne pas être contraint d’agir contre ses convictions. Le régime juridique de la liberté positive de manifester ses convictions est bien connu, mais celui de la liberté négative de ne pas être contraint d’agir contre ses convictions est en revanche plus délicat et porte sur la question suivante : Dans quelle mesure est-il légitime de contraindre une personne à prendre part à une action incompatible avec ses convictions morales ou religieuses, ou de la sanctionner en raison de son refus de collaborer à cette action ? […]
Toutes les « objections » ne sont pas sur le même plan éthique: quels seraient les critères de discernement?
C’est là l’objet de l’étude : proposer des critères d’appréciation. Elle s’y emploie en mettant en évidence la rationalité de la notion d’objection de conscience, ce qui suppose de se départir d’un excès tant de subjectivisme que de positivisme qui accordent trop, ou trop peu de légitimité à la conscience individuelle. Après avoir clarifié certains concepts composant la notion d’objection de conscience, tels la conscience, les convictions, l’objection, le for interne et externe, cette étude identifie des cas d’objection de conscience reconnus par le droit positif, tant sous l’angle du devoir que du droit d’objection. Sur cette base, elle dégage ensuite des distinctions permettant de différencier plusieurs types d’objections, et ainsi d’identifier des critères d’appréciation du respect que mérite chacun de ces types d’objection. Ces critères visent à distinguer :
– selon que la situation met en cause la liberté positive ou la liberté négative de conscience et de religion ;
– selon que l’objection est le fait d’une personne ou d’une institution ;
– selon que l’objection trouve son origine dans de simples convenances personnelles ou dans une prescription de la conscience ;
– selon que l’objection de conscience obéit à des prescriptions de nature morales ou bien religieuses ;
– selon la proximité existant entre l’acte auquel il est objecté et le contenu de la conviction.
Enfin, sur la base de ces critères, elle indique quels sont les droits et obligations de l’État face aux différents types d’objections. L’un des principaux apports de cette étude est de souligner la distinction entre foi et raison,« fides et ratio », et par suite entre religion et morale, entre les objections, selon qu’elles sont fondées sur une conviction de nature religieuse ou morale. En tout état de cause, si une objection, qu’elle soit morale ou religieuse, constitue toujours une objection de conscience, la différence entre objection morale et religieuse consiste en ce que la première peut prétendre être objectivement juste : sa revendication porte sur la justice. Une objection juste devrait être de droit et aucune sanction ni contrainte ne devrait pouvoir légitimement s’y opposer. À l’inverse, une objection religieuse (ou cultuelle) ne peut prétendre être, en soi, juste, et sa revendication porte alors sur la liberté de la personne à se conformer au jugement de sa conscience quant à l’application en l’espèce des préceptes de sa religion. Il s’ensuit que la reconnaissance de l’objection religieuse par l’autorité publique pourra dépendre des circonstances particulières, notamment de sa volonté de respecter la liberté religieuse et de tolérer les minorités religieuses. Différemment, les autorités doivent reconnaître un véritable droit à l’objection de conscience lorsque celle-ci est fondée sur la seule morale et s’oppose à commettre un mal ou une injustice.