Lu dans Minute :
"[…] Le gouvernement de la France compte trois ministres binationaux franco-marocains et nul ne s’en émeut. Ni à gauche, où le camp des patriotes s’est réduit comme peau de chagrin depuis que l’idéologie de la fondation Terra Nova mélangée à la culture des années SOS Racisme a imbibé les esprits, remplaçant le vieux fonds patriotique hérité de la « levée en masse », ni à droite, où il reste quelques hommes politiques qui n’en pensent pas moins mais vivent dans la terreur d’être cloués au pilori médiatique et, par voie de conséquence, d’être bannis de la famille qui assure leur carrière, ni ailleurs, où l’on a peur qu’un propos malheureux, choquant, impropre, mal interprété – rayez la mention inutile – ne vienne ruiner les beaux efforts de la « dédiabolisation ». […]
Si l’on veut bien examiner la question avec un minimum de hauteur, on avouera donc que cela pose un vrai problème et même un sérieux problème quand le binational en question est ministre de la France. Or ce problème, plutôt que d’être débattu – mais il est vrai qu’un débat présente le risque d’être tranché, et pas forcément dans un sens jugé convenable –, est, comme tant d’autres, en train de devenir tabou, au point que les binationaux, qui sont si fiers de la richesse qu’ils apportent à la France par leur double culture, etc., répugnent eux-mêmes à avouer leur double nationalité. Aussi faut-il lire entre les lignes de leurs hagiographies ou bien la presse de leur autre pays pour avoir la certitude de leur binationalité. Une fois arrivé aux affaires, le binational franco-marocain est en effet revendiqué comme français chez lui… et comme marocain chez son autre chez lui !
Avec parfois d’étranges détours, qui sentent bon la diplomatie. Ainsi la nomination d’Audrey Azoulay comme ministre de la Culture a-t-elle été saluée par un média marocain qui se veut « la voix des Marocains à l’étranger » en ces termes d’une rare duplicité : « Avec cette nomination, Audrey Azoulay est la troisième citoyenne française d’origine maro- caine à assumer un portefeuille ministériel dans le gouvernement de Manuel Valls, après Najat Belkacem et Myriam El Khomri. » Le lecteur français comprendra que les trois dames sont simplement « d’origine marocaine », tandis que lecteur marocain comprendra, lui, qu’à l’instar de Belkacem et El Khomri, Azoulay a elle aussi la nationalité maro- caine, « l’origine » marocaine indiquant une nationalité de naissance qui, selon le droit marocain, est quasiment inaliénable. Autrement dit : marocain un jour, marocain toujours.
De la même façon, dans le portrait que l’excellente journaliste Ariane Chemin dresse, dans « Le Monde », d’Audrey Azoulay, n’est-il jamais écrit qu’elle est détentrice des deux nationalités, tandis que la binationalité de Najat Vallaud-Belkacem et de Myriam El Khomri, désormais connue, y est mentionnée. Il ne faut pas alimenter la polémique, ne pas flatter « les bas instincts », ne pas raviver les « querelles identitaires » – […].
Etre ministre, ce n’est pas simplement être responsable du domaine précis qui vous a été attribué lors de votre nomination, la Culture pour l’une, l’Emploi pour l’autre, l’Education pour la troisième, ce qui serait déjà considérable. L’article 20 de la Constitution dispose que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation », la politique tout entière de la nation, dans tous les domaines, pour laquelle il « dispose de l’administration et de la force armée ».
Les rédacteurs de la Constitution de 1958, n’imaginant sans doute pas que le cas de figure se présenterait, n’ont pas pensé à mentionner dans la Constitution de la Ve République que l’appartenance à un gouvernement – ni même la candidature à la présidence de la République ou la désignation comme premier ministre – exigeait que l’intéressé soit de nationalité française exclusive. La seule condition de nationalité porte sur le droit de vote, et encore n’envisage-t-elle pas la binationalité (« Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques »). S’il est une réforme constitutionnelle qui s’impose, c’est bien celle–là, qui est de prévoir que ne puissent prétendre aux plus hautes fonctions de la République française que les détenteurs de la seule nationalité française, de cette unique « obligation de fidélité et d’obéissance qui incombe à une personne envers la nation à laquelle elle appartient et le souverain dont elle est sujette »."