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L'Eglise : L'Eglise en France

Des mesquineries administratives à la paix liturgique

Des mesquineries administratives à la paix liturgique

On parle beaucoup, ces derniers temps, de la lettre signée de Mgr Jordy et cosignée de Mgr Lebrun, véritable déclaration de guerre administrative contre le pèlerinage de Chrétienté, adressée à l’ensemble des évêques de France. Comme beaucoup, j’en avais pris connaissance voici deux semaines environ et j’avais été effaré du décalage entre la mesquinerie paperassière de la lettre et l’enthousiasme communicatif des jeunes pèlerins. Naturellement, je l’avais fait suivre à des cadres de Notre Dame de Chrétienté (qui n’avaient pas eu besoin de moi pour être au courant !). Mais, très sagement, ils n’avaient pas souhaité réagir d’autant que la lettre était, à ce moment, encore confidentielle. Depuis, la lettre a été publiée par plusieurs médias ; elle est même devenue un événement international (voir par exemple ici ou ). Et elle appelle un certain nombre de remarques.

Je précise que je ne suis qu’un laïc du bout du banc. Je ne prétends à aucune autorité ni magistérielle, ni liturgique (cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant). Je précise aussi que je parle d’autant plus librement que je ne suis rien dans l’organisation du pèlerinage de Chartres et que je ne suis pas un « tradi » de stricte observance (j’ai découvert, voici quelques années, dans la presse que j’étais un « tradismatique » – espèce dont j’ignorais l’existence avant de découvrir que j’en étais un archétype) : en quelques mots, je préfère la messe traditionnelle qui me semble exprimer plus clairement que la nouvelle la foi eucharistique de l’Eglise catholique mais j’assiste à peu près aussi souvent à la messe de Paul VI. De façon générale, si je suis « catholique d’abord », je suis, comme la plupart des fidèles laïcs, engagé principalement dans des combats temporels et je me bats pour que tous les catholiques de conviction puissent discuter et agir ensemble pour le bien commun (je n’ose pas dire, comme le cher Hervé Pinoteau le disait souvent, que je suis « oecuménique et dialoguant », mais le coeur y est…).

C’est parce que Traditionis Custodes détruisait la paix liturgique fragilement restaurée par Benoît XVI que je m’y suis opposé. Et c’est pour la même raison que je trouve cette lettre épiscopale extrêmement mal venue.

Bien sûr, tout le monde sera d’accord avec les principes généraux. Nous savons bien que l’évêque a seul autorité sur la liturgie dans son diocèse et qu’une organisation laïque n’a, au contraire, aucune autorité en matière liturgique.

Mais l’on ne voit pas très bien le rapport avec le pèlerinage de Chartres.

L’association Notre-Dame de Chrétienté n’a jamais prétendu édicter de règles liturgiques. Elle affirme simplement son attachement à la liturgie traditionnelle. C’est son droit. Je sais bien que, depuis des décennies, le droit est piétiné dans l’Eglise au nom d’idées fumeuses mais cela ne peut pas empêcher le droit d’exister. Et rien ni personne (pas même les évêques, pas même le Pape) ne pourra faire qu’une liturgie de quinze siècles soit interdite. A vrai dire, il y a ici quelque chose qui m’importe peut-être plus encore que le droit des fidèles : cette messe traditionnelle, qui remonte pour l’essentiel à saint Grégoire le grand, a pour ainsi dire des droits sur nous. Même ceux qui n’y assistent jamais devraient avoir pour elle la plus grande vénération (tout comme nous qui n’assistons à peu près jamais à la messe de saint Jean Chrysostome avons le plus grand respect pour elle puisqu’elle nous « connecte » aux sources de notre foi).

J’ajoute qu’il est bien joli de rappeler l’autorité de l’évêque diocésain en matière liturgique mais qui n’a jamais assisté à des messes violant manifestement les règles liturgiques et ne suscitant pourtant jamais la plus petite réserve épiscopale ? Tout se passe comme si la seule chose interdite dans l’Eglise contemporaine était de prier comme nos aïeux. Comment voulez-vous que cela ne sape pas l’idée même de Tradition et l’idée même d’autorité ? Nos évêques devraient y prendre garde : si l’Eglise s’est trompée si massivement pendant quinze siècles, comment pourrions-nous lui faire confiance aujourd’hui ?

Pour le reste, les règles édictées dans cette lettre me paraissent tout simplement loufoques. Faudra-t-il que chaque prêtre participant au pèlerinage demande à chaque évêque de chaque diocèse traversé une autorisation spéciale pour célébrer la messe ? C’est absurde. Personne ne l’a jamais fait pour aucun pèlerinage.

Quant à l’affaire de la confession, elle est encore plus incompréhensible. Comme des milliers de fidèles, j’ai reçu ce sacrement dans les deux rites. Je ne prétends pas être un spécialiste mais, comme simple « utilisateur », je n’ai pas vu la différence. Un ami, plus savant que moi, m’a affirmé que la principale différence était que le sacrement, dans le rite de Paul VI, devait normalement être célébré au cours d’une liturgie. C’est bien possible, mais cela n’arrive à peu près jamais et on voit mal comment cela pourrait se pratiquer concrètement dans un pèlerinage. En tout cas, si c’est cela la règle liturgique, cela signifie que la plupart des églises où se célèbre exclusivement la messe de Paul VI sont en infraction et que, pour les mettre en conformité avec la loi, il faudrait interdire la quasi-totalité des confessions. Cela semble tellement grotesque que l’on peine à comprendre ce qui est réellement visé. Le vieux routier du parlement qu’est votre serviteur ne peut s’empêcher de penser, à ce propos, qu’une loi dont la fin est aussi confuse ne peut être qu’une destruction de la loi.

Je n’ai aucun conseil à donner ni aux signataires de cette lettre, ni aux évêques destinataires, ni aux organisateurs du pèlerinage de Chrétienté, mais il me semble que, si l’on veut éviter d’aggraver encore d’une part l’espèce de guerre civile larvée qui empêche les fidèles catholiques de France d’agir ensemble pour la mission et pour le bien commun de la société (et Dieu sait que l’actualité montre à l’envi que la mission et le service du bien commun sont plus urgents que jamais !) et d’autre part le mépris de la loi et de l’autorité, le mieux serait d’oublier cette lettre pour le moins confuse et source de confusion.

J’en étais là de mes réflexions sur cette lettre – qui aurait gagné, pour la réputation des signataires, à demeurer confidentielle – quand j’ai pris connaissance d’un courrier de Mgr Christory, évêque de Chartres, à Notre-Dame de Chrétienté. Cette lettre semble constituer un moyen d’appliquer tant bien que mal les inapplicables directives de Mgr Jordy. Au passage, je note que ce dernier assure que la demande d’instructions tatillonnes à Rome émane de l’évêque de Chartres, ce que ce dernier nie de son côté (là encore, croit-on sérieusement que ces affirmations contradictoires soient de nature à renforcer la confiance des fidèles envers leurs pasteurs ?).

En tout cas, je relève dans la lettre de Mgr Christory :

  • que l’évêque de Chartres assistera à la messe dans sa cathédrale et y donnera l’homélie (peut-être que les pèlerins ne sont pas si infréquentables, finalement !) ;
  • que les prêtres sont autorisés à confesser dans le vetus ordo;
  • que, « pour le bien des fidèles », la célébration de la messe dans le rite traditionnel est autorisée par Mgr de Chartres sur le territoire de son diocèse et l’évêque confie à l’association le soin de régler les détails pratiques avec lui.

Un dernier point m’a intrigué dans la lettre de Mgr Christory : il autorise les prêtres qui le souhaitent à concélébrer dans le nouveau rite à côté de la cathédrale de Chartres avant la messe solennelle qui sera donc célébrée dans le rite traditionnel. Mais j’avoue que je n’arrive pas à comprendre à qui peut profiter cette autorisation. En bonne logique, des prêtres qui accompagnent un pèlerinage dit « traditionaliste » n’ont pas de raison de vouloir concélébrer dans le nouveau rite. Cela étant, si la paix liturgique se paie de cette contradiction sans conséquence pratique, ce n’est certainement pas moi qui m’en plaindrais !

Guillaume de Thieulloy

PS: Des correspondants attirent mon attention sur deux sujets complémentaires:

  1. La lettre du cardinal Roche est datée du 8 avril, à un moment où toute la Curie romaine savait le Pape François mourant: tout laisse à penser que le cardinal a profité de la faiblesse du pontife pour faire avancer son “agenda”. Ce n’est pas d’une élégance folle… Mais il y mieux encore: la lettre de NN. SS. Jordy et Lebrun est datée du 6 mai, veille de l’entrée en conclave: ils auraient voulu tordre le bras au futur Pape et le forcer à approuver cette guéguerre inepte qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement. La sagesse la plus élémentaire en période d’interrègne est de laisser les choses en l’état et d’attendre de connaître la “politique” du futur dirigeant; cette sagesse élémentaire a hélas déserté notre époque…
  2. NN. SS. Jordy et Lebrun signent cette lettre parce qu’ils sont les interlocuteurs désignés par la Conférence des évêques de France pour le monde “traditionaliste”. La difficulté est que l’un et l’autre ont des problèmes personnels avec ce monde. C’est évidemment leur droit, mais ce n’est certes pas la meilleure façon de se comprendre mutuellement. Pour le dire plus brutalement, cela apparaît – à tort ou à raison, mais hélas, rien n’est fait pour nous montrer que c’est à tort – comme une provocation. Comme me le glisse malicieusement un ami très cher, bien au fait de cette situation, “demande-t-on à Zemmour de négocier avec la Grand Mosquée de Paris”? Eh bien, ce qui apparaît comme du simple bon sens dans la société temporelle, semble ignoré dans la société ecclésiastique. Ce n’est pas très rassurant. Encore une fois, de bonnes relations entre les derniers catholiques pratiquants de France semblent un objectif à la fois minimal et facile à atteindre, mais tout se passe comme si cet objectif n’intéressait pas nos pasteurs.

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2 commentaires

  1. Entièrement d’accord ! Cela dit, et concernant l’autorité de l’évêque, réelle, je m’étonne que l’on en ait pas plus fait cas, il y a plus de 40 ans, lorsque Mgr Zanic, évêque de Mostar dont dépend Medjugorje, interdisait pèlerinages et édition de livres… à l’époque, tout le monde s’est royalement assis sur son autorité.

  2. C’est comme si la France partait au combat sans la Légion et les Paras. Se priver des tradis, c’est ne pas tenir compte des forces vives de l’Eglise, forces en plus habituées à combattre et à résister.

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