De Guillaume de Thieulloy dans Les 4 vérités :
"Les romans disent parfois mieux la réalité que les essais. Et ils sont, en notre temps de censure générali- sée, de tabous idéologiques et de lois liberticides, un moyen de faire passer des messages politiques importants sans paraître les prendre au sérieux.
C’est pour cela que je voudrais parler ici de quelques romans récents. Non pas comme un critique littéraire que je ne suis pas, mais comme un observateur de la vie politique. Car ces romans, qui sont tous parus au cours de l’année 2015, en disent long sur la situation politique.
Cette dernière est manifestement dominée par deux éléments, apparemment contradictoires, mais surtout totalement étrangers, tous les deux, à la pensée dominante. Le premier élément concerne la montée de l’islam en France et dans le monde – avec la possibilité d’une prise de pouvoir de l’islam radical en Europe à brève échéance. Le second élément concerne la « droitisation » de la société – mouvement inverse des dernières décennies.
La possibilité d’une prise de pouvoir par l’islam politique est évoquée par deux de nos trois romans : « Soumission » et « 2084 ». Houellebecq décrit une prise de pouvoir tranquille et pacifique, faute de résistance de la France profonde. Dans son roman, lors de l’élection présidentielle de 2022, Marine Le Pen se trouve au deuxième tour face à un dirigeant islamiste. Mais ce dirigeant ressemble beaucoup plus à Erdogan qu’à Ben Laden : pas le moins du monde sanguinaire, il ne remet nullement en cause les principes de la société libérale. Simplement, l’islam vient, ici, combler les trous, si je puis dire, d’une société nihiliste. Le héros, universitaire désabusé, bien dans la veine des précédents romans de Houellebecq, devient d’ailleurs islamiste, sans avoir évolué idéologiquement : il se contente de choisir une voie qui lui assure une progression de carrière et lui permet d’avoir plusieurs femmes…
Dans « 2084 », au contraire, la domination mondiale de l’islam radical n’a rien de pacifique. Elle entraîne pauvreté, fatalisme et guerre civile. Elle entraîne surtout un lavage de cerveau, très proche de celui évoqué dans « 1984 » de George Orwell, auquel Sansal fait évidemment référence.
En tout cas, dans ces deux romans, la trame romanesque repose sur ce qui reste obstinément nié par l’oligarchie, à savoir la montée de l’islam – qui, rappelons-le, n’est pas principa- lement une religion (la théologie y est, pour ainsi dire, inexistante), mais une idéologie politique.
Cependant, le scénario d’une prise de pouvoir islamique n’est pas écrit d’avance. Un autre scénario devient envisageable : une prise de pouvoir, en France, par la droite de conviction. C’est celui qu’explore Geoffroy Lejeune, journaliste à « Valeurs actuelles ». Tout part ici d’un dîner entre Patrick Buisson, Éric Zemmour et Philippe de Villiers (qui, paraît-il, a vraiment eu lieu…), au cours duquel le premier dit au deuxième : « Marine Le Pen est de gauche, Sarkozy est un traître, Hollande est mort. Il y a un espace pour toi, Éric. »
Et cette candidature de Zemmour réunit finalement les éléments de droite du FN (Marion Maréchal en particulier), les déçus de l’UMP (Henri Guaino, notamment), et surtout un immense espoir de la société civile… Naturellement, ce scénario a fort peu de chances de se réaliser. Mais il est fondé sur une réalité incontestable (là encore, totalement ignorée de nos«élites»): de plus en plus de Français sont à la fois à la droite du FN (notamment sur les questions économiques) et à la droite de l’UMP (notamment sur les questions migratoires). Il faudra bien que cette lame de fond trouve une incarnation politique. Pour le moment, elle n’a qu’une incarnation média- tique : le succès des intellectuels dits « réactionnaires », mais c’est déjà tellement nouveau pour nous de ne pas être uniquement des parias que, portés par l’enthousiasme, nous pourrions même croire que les partis de droite vont enfin nous écouter !"