De Chantal Delsol :
"Imaginons un dessinateur satirique qui s'amuserait à peindre un citoyen se torchant le derrière avec la Déclaration des droits de l'homme; à peindre des étrangers arrivant sur notre sol en crachant sur nous par principe; à peindre un couple homosexuel livré à la débauche et réclamant ouvertement d'adopter des enfants pour les sodomiser; ou encore, à peindre le camp d'Auschwitz sous des aspects burlesques et ridicules auxquels je n'ose pas penser. Croit-on que tout cela pourrait s'exposer tranquillement au nom de la liberté de la presse? Certainement pas. Tout aussitôt, l'ensemble des médias feraient taire l'importun, comme cela est arrivé il y a quelque vingt ans pour Fun Radio, qui, dans une outre-mesure adolescente, avait osé ricaner sur la Shoah.
Notre société abrite, quoi qu'elle dise, du sacré inviolable. Une part de sacré qu'il est interdit d'outrager; et des bouffonneries qui mènent au procès. On nous répète que le blasphème doit toujours être possible dans une société libre. Mais la loi contre l'homophobie est à elle seule une loi contre un blasphème! Et nous en avons bien d'autres. Cependant, nous interdisons certains blasphèmes, et non pas tous. Chacun sait bien, par exemple, que tout le monde peut brocarder à son aise la famille bourgeoise de type Le Quesnoy, mais que personne ne peut se moquer de la famille monoparentale. On peut salir les Deschiens, mais sûrement pas un immigré de base.
On nous annonce qu'il faut défendre ces caricatures religieuses au nom de la liberté d'expression. Sonnez trompettes! On se moque de nous. Car la liberté d'expression ne vaut pas dans tous les cas. La question est donc de savoir pourquoi les religions sont jetées en pâture à la liberté de ridiculiser, tandis que d'autres courants, idées, événements, sont sanctuarisés. Car, avant de nous permettre de "tout" dire, on a soigneusement mis de côté un certain nombre de causes sacrées décrétées interdites à notre jugement… On n'est pas plus faux derche. Soyons moins indulgents face aux mines moralistes de ces bons apôtres. Ils énoncent des préceptes qu'eux-mêmes n'appliquent pas. La liberté de blasphémer s'applique seulement pour ce qu'ils ne respectent pas, eux. Ils ne supporteraient pas en revanche qu'on outrage les objets de leur vénération. La modernité n'a pas, quoi qu'on dise, institué la liberté d'expression. Elle a seulement déplacé les sanctuaires."