D’Antoine de Lacoste :
En lançant une guerre diplomatique et économique sans précédent contre la Russie, l’Amérique avait plusieurs objectifs d’importance variable : resouder le camp occidental sous la bannière de l’OTAN, isoler diplomatiquement la Russie, vendre son gaz de schiste et ses armes à l’Europe.
Sur ces deux derniers points, les affaires sont en bonne voie. Les Allemands vont mettre fin à près de quatre-vingts ans de pacifisme et inaugurent cette nouvelle ère par l’annonce d’un achat massif d’avions américains. Bien joué et spectaculaire démonstration de l’unité européenne. Ah le beau couple franco-allemand !
Les Polonais, que plus rien n’arrête, ont gentiment proposé à l’Amérique de donner leurs vieux Migs tout pourris à l’Ukraine en échange de la livraison par Washington de F35 flambants neufs, gratuitement bien sûr. Pas de chance, les descendants des vieux colons protestants ont gardé intact leur sens des affaires, et si l’on veut bien aider le monde en général et l’Ukraine en particulier, il faut tout de même que cela rapporte quelques dollars. Alors sur ce coup-là c’est non. Les avions, ça ne se donne pas.
Mais ce n’est pas grave, toute l’Europe de l’Est fera son marché à Washington ces prochaines années. L’Europe, c’est bien pour se faire financer ses infrastructures aux frais du contribuable européen, mais tout de même pas pour se défendre, soyons sérieux. Heureusement que les courageux grecs sont là pour acheter nos avions car eux ne veulent pas que leurs pilotes volent sur les mêmes engins que ceux de l’Empire ottoman. Une rare cohérence par les temps qui courent.
Côté gaz, cela se présente bien également pour Washington. Nord-Stream II est gelé pour un moment, et, tant la Norvège que le Qatar, ne sont pas aptes à augmenter substantiellement leurs livraisons aux Européens. Quant à l’Iran, elle est sous sanctions. On ne sait plus très bien pourquoi mais peu importe. Alors Biden a fait sa tournée européenne pour expliquer qu’il avait du bon vieux gaz de schiste à vendre. C’est beaucoup plus cher que le gaz russe mais, comme chacun sait, l’Amérique n’a jamais envahi personne et donc c’est moralement mieux de lui acheter à elle qu’à Poutine.
Les capacités de transformation du gaz liquide américain (car il est liquide en plus) sont limitées en Europe mais peu importe : on va dépenser ce qu’il faut pour s’adapter. Poutine lui-même n’avait peut-être pas prévu que l’Europe accepterait de se ruiner un peu plus avec le sourire. En attendant, il demande à être payé en roubles pour le gaz dont tout le monde a encore besoin et il sera intéressant de suivre cela de près. Des transactions de gaz dans une autre monnaie que le dollar, ce serait une brèche intéressante.
Quant à l’OTAN, ça va plutôt bien, tout le monde veut adhérer sauf l’Ukraine depuis peu et pour les raisons que l’on connaît. C’eût été plus simple d’accepter de discuter de tout cela avant.
Sur le plan diplomatique en revanche, la situation n’est guère reluisante contrairement à la propagande des médias qui atteint des sommets impressionnants. Gare à ceux qui veulent s’écarter de la meute, il leur en coûtera.
Malgré beaucoup d’efforts, Biden n’a rien obtenu de la Chine qui refuse de condamner l’invasion russe. Taïwan est dans tous les esprits. L’Inde fait également sécession : l’incroyable indulgence de l’Amérique pour le Pakistan depuis des décennies a son revers.
Ce n’est pas une surprise. En revanche, plus inattendu, le Moyen-Orient renâcle. Mais l’Arabie Saoudite a été fort maltraitée ces derniers temps et les Emirats Arabes Unis rêvent d’une diversification géopolitique depuis déjà longtemps. Ryad parle beaucoup avec la Chine et l’on envisage des transactions pétrolières en yuan, ce serait une première. Alors là non plus, pas de condamnations, ou alors du bout des lèvres. Même Israël, qui a condamné pour le principe, ne compte pas s’en mêler.
L’Afrique se fait tirer l’oreille également. L’Amérique n’y est guère populaire et ses leçons de morale fatiguent vite ce continent qui accueillent maintenant davantage les Chinois, les Russes et les Turcs que les occidentaux.
Finalement, l’isolement de la Russie, annoncée triomphalement par nos médias dominants, ne semble pas si évidente. Une grande recomposition géopolitique, en marche depuis quelques temps, pourrait s’accélérer et laisser l’Amérique et ses valets plus solitaires que prévu.
Marcos
Lundi 11 avril à 20h, 23 rue Jean Goujon à Paris 8e ( ND de Consolation) conférence d’Antoine de Lacoste sur le conflit en Ukraine
Marcos
Le métier de correspondant de guerre sur le théâtre des opérations est dangereux. Moreau et consorts sont des analystes en chambre qui dépendent des informations qu’on veut bien leur fournir. Au front, on voit des journalistes, avec casque et gilet pare-balles, souvent des dames, courageuses, mais qui connaissent les partis-pris de leurs employeurs et qui se cantonnent dans le compassionnel. Malgré tout, compte-tenu de ses actions antérieures, on peut comprendre la stratégie de Poutine. Trois jours pour neutraliser l’aviation et la défense aérienne ukrainiennes. Attaque par le nord pour neutraliser la capitale Kiev. Renforcement opérationnel de la ceinture Donbass-Mer d’Azov. Et là, je pense que Moreau a raison, enfermement de l’armée officielle ukrainienne dans un chaudron fatal. Zelensky continuera t-il à faire le malin ? Ses invisibles généraux ont-ils reçu des instructions ? Ses négociateurs aux allures de voleurs de poules ont-ils un quelconque pouvoir de décision ? Wait and see …
zongadar
Pour résumer, si j’ai bien compris : US, Canada, Eu, Australie, Japon et…c’est tout, le reste du monde n’est pas anti-Poutine, c-à-d des pays représentant 9/10° de la population mondiale et c’est sans compter que les dirigeants des pays anti-poutine sont contre leur propre peuple. Euh, redites-moi qui est est isolé ?
Giacomo
On peut accuser l’Amérique de toutes les turpitudes dans l’affaire ukrainienne, mais quand on entend Poutine dans un discours du 16 mars dernier parler d’ “autopurification nécessaire de la société”, ajoutant peu après que: “Tout peuple, en particulier le peuple russe, est capable de distinguer les vrais patriotes des racailles et des traîtres, et de les recracher comme un moucheron qui serait accidentellement entré dans leur bouche”, on se demande si les néonazis qu’il voit partout ne seraient pas plutôt en Russie et lui même à leur tête.
Staline en son temps n’aurait guère eu de paroles plus radicales…
Ydelo
Visiblement, c’est un réflexe chez vous, on ne peut pas se placer sous un point de vue différent de celui de l’invasion par la Russie, sans que vous ne rameniez tout à cela. Comme s’il n’y avait qu’un méchant et un gentil, ou que la réalité n’avait qu’un seul aspect, qu’une seule dimension, ou qu’exposer une de ses facettes revenait à nier les autres.
Ydelo
Que ce soit pour la Russie ou les USA les événements se déroulent suivant un scenario “médian” si je puis dire, dans le sens où ce n’est ni un succès total ni un échec total : les russes progressent lentement mais continuent à progresser, et les américains ont entrainé l’occident derrière eux mais pas le reste du monde, ce qui vérifie l’adage comme quoi les pays n’ont pas d’alliés mais seulement des intérêts.
Pendant ce temps ce sont les Ukrainiens qui trinquent, et on ne peut que souhaiter des accords de paix, mais j’ai bien peur que ça ne soit pas pour tout de suite car elle ne semble désirée ni par les uns ni par les autres. Macron annonce une crise alimentaire et énergétique dans les 12 à 18 mois, le plus terrible c’est que c’est parfaitement évitable à l’heure actuelle, mais ça risque fort d’arriver car c’est ce que souhaitent les puissants de ce monde.
Pourquoi, me demanderez-vous ? Tout simplement parce qu’ils sont convaincus que la croissance n’est plus possible et que la seule façon de gérer la transition vers la décroissance est de l’effectuer à marche forcée par la peur des différentes crises et avec les contraintes que permettront ces peurs.