Analyse de Marion Duvauchel, professeur de lettres, docteur en philosophie et historienne des religions, pour Le Salon beige :
En 1983, dans un livre intitulé Le regard éloigné, Claude Lévi-Strauss s’insurgeait contre un abus de langage dont on nous donne aujourd’hui des exemples aussi éclatants que stupides. Cet abus de langage, c’est celui par lequel on confond le racisme défini au sens strict et des attitudes normales, légitimes même, et en tout cas inévitables.
Le racisme, rappelle t-il, est une doctrine qui prétend voir dans les caractères intellectuels et moraux attribués à un ensemble d’individus, de quelque façon qu’on le définisse, l’effet nécessaire d’un commun patrimoine génétique.
Ce qui est une idée fausse.
Mais ajoute t-il, on ne saurait imputer automatiquement au même préjugé l’attitude d’individus ou de groupes que leur fidélité à certaines valeurs rend partiellement ou totalement insensibles à d’autres valeurs. Qu’on pense aux Amish, et à un moindre degré, à l’islam. Nul n’est coupable d’éprouver peu d’attirance envers tels ou tels dont le genre de vie, respectable en lui-même, s’éloigne par trop de celui auquel on est traditionnellement attaché.
Lévi-Strauss ne se payait pas de mot : il y a, dit-il, entre les cultures, une incommunicabilité relative. On est évidemment bien d’accord avec lui que cela n’autorise pas à opprimer ou à détruire les valeurs qu’on rejette, voire leurs représentants, mais, maintenue dans ces limites, cette incommunicabilité n’a rien de révoltant.
« Elle peut même représenter le prix à payer pour que les systèmes de valeurs de chaque famille spirituelle ou de chaque communauté se conservent, et trouvent dans leur propre fonds les ressources nécessaires à leur renouvellement ».
Entendez, elle est une condition de survie. Et ce serait même une sorte de loi anthropologique : car
« cette diversité résulterait pour une grande part du désir de chaque culture de s’opposer à celles qui l’environnent, de se distinguer d’elles, en un mot d’être soi ; elle ne s’ignorent pas, s’empruntent à l’occasion, mais, pour ne pas périr, il faut que, sous d’autres rapports, persiste entre elles une certaine imperméabilité ».
Nous ferions bien de méditer la mise en garde qui suit :
« Rien ne compromet davantage, n’affaiblit de l’intérieur, et n’affadit la lutte contre le racisme que cette façon de mettre le terme, si j’ose dire, à toutes les sauces, en confondant une théorie fausse, mais explicite, avec des inclinations et des attitudes communes dont il serait illusoire d’imaginer que l’humanité puisse un jour s’affranchir ni même qu’il faille le lui souhaiter ».
Mieux, notre anthropologue invite à douter
avec sagesse, voire avec mélancolie, de l’avènement d’un monde où les cultures, saisies d’une passion réciproque, n’aspireraient plus qu’à se célébrer mutuellement, dans une confusion où chacune perdrait l’attrait qu’elle pouvait avoir pour les autres et ses propres raisons d’exister.
C’est, me semble t-il, une exacte description de l’état de notre société. A cette nuance près que c’est surtout la société française qu’on peut voir s’enferrer et se stériliser dans cette célébration de tout ce qui est autre. Il suffit d’écouter, si on en a la force, la « variété française », désormais portée et représentée par des jeunes qui portent des noms de Star wars ou les choix ubuesques de chanteurs supposés représenter la France, et qui ne font que refléter l’égarement d’une classe de pipole déconnectée de la réalité.
Je suis bien d’accord avec Lévi-Strauss : il ne suffit pas de se gargariser année après année de bonnes paroles pour réussir à changer les hommes, en s’imaginant qu’on peut surmonter par des mots bien intentionnés des propositions antinomiques comme celles visant à « concilier la fidélité à soi et l’ouverture aux autres » ou à favoriser simultanément « l’affirmation créatrice de chaque identité et le rapprochement entre toutes les cultures ».
On aura reconnu sous cette formulation un peu abstraite le slogan ressassé ad nauseam du « vivre-ensemble », emprunté aux idéologues de gauche et devenu le signe de ralliement dans nos paroisses de France pendant deux décennies.
Cet abus de langage évoqué plus haut et justement dénoncé par Lévi-Strauss, c’est dans nos écoles qu’il s’est déployé sans frein, avec la mythologie de l’autre. L’école a été confrontée à un chantage moral qui a pris une intensité de plus en plus délirante, comme en témoigne les questions liées au racisme, à l’immigration, et surtout au refus de prendre en compte la spécificité de l’islam.
On a privé l’école d’un droit fondamental : celui de l’échec scolaire, sans lequel elle ne peut plus être qu’un gigantesque village Potemkine. Le baccalauréat est devenu un droit imprescriptible de la personne, puis par extension, la moyenne partout, et enfin, l’obtention de tout diplôme. Le fruit de cette démence, c’est la persécution de ceux qui sont simplement encore des élèves et se comportent comme tels et la terrifiante transformation de l’indiscipline en délinquance pure et simple, et plus récemment en cruauté et en brutalité.
Reconnaître en chacun la capacité à répondre aux exigences d’un enseignement digne de ce nom implique d’accepter aussi que pour certains cela puisse prendre plus de temps, et les y aider. Et parfois même que certains puissent ne pas répondre à ces exigences, et même les refuser. Au lieu de quoi, on a sommé l’école de ne reconnaître que la forme abstraite d’une humaine condition de plus en plus décharnalisée et de s’incliner devant elle. Humaine condition fondée sur l’impératif catégorique du vivre ensemble et d’une socialité forcée.
Ceux qui ne veulent pas le reconnaître, ce sont ceux qui ont encore la possibilité de confier leurs enfants à des écoles privées. Et même là…
Il y a une fermeture nécessaire et même vitale aux idées fausses véhiculées par la propagande de César : que l’islam serait une religion de paix et de tolérance (au mépris de la saine lecture du texte coranique, qui dément cette assertion) ; qu’il nous faudrait choisir le sexe auquel nous décidons d’appartenir au mépris du corps sexué qui est le nôtre ; que nous serions des animaux et donc légitimés à nous comporter comme tel ; que nous devons désormais vivre avec le coronavirus…
Tout cela a été véhiculé avec une puissance d’une rare violence depuis des années. Et tous ceux qui se sont fermés à cette culture de mort ont été accusé de racisme, d’intégrisme, voire de fascisme.
Un pas de plus a été franchi récemment avec le covid 19. Un impressionnant volume de ressources pour expliquer le coronavirus aux enfants est proposé depuis peu aux enseignants sur le site gouvernemental officiel.
Voici la liste :
Ressources pour expliquer le coronavirus et les principes de sécurité sanitaire aux élèves
Plateformes de contenus pédagogiques
- LUMNI : la plateforme propose articles et vidéos pour répondre aux questions sur l’épidémie.
- LAMAP : le site de la main à la pâte a réalisé un dossier sur le coronavirus.
Questions d’enfants
- Cité des sciences – questions réponses : la Cité des sciences publie des réponses illustrées aux questions que posent les 6-10 ans, accessibles en ligne et en téléchargement.
Actualité
- Le Petit Quotidien : les principaux articles sur le coronavirus parus dans le journal sont regroupés dans la page.
- Le P’tit Libé : les informations sur l’épidémie et le confinement expliquées aux enfants.
- Cocovirus offre des histoires sous la forme de bandes dessinées sur des sujets associés au coronavirus.
Livrets à compléter
- Pour les petits : un livret pour les très jeunes enfants.
- UNICEF : un livret pour parler du coronavirus avec les plus jeunes enfants.
Livres à télécharger
- Livre Gallimard : un livre numérique en téléchargement gratuit pour répondre aux questions des enfants et de leurs familles sur le coronavirus.
- « Mon héroïne, c’est toi » est une histoire inventée pour et par les enfants du monde entier sous l’égide des Nations-unies.
- Rudy et Lucy vont à l’école est une bande dessinée pour raconter et expliquer les gestes barrières aux élèves en primaire conçue par ADOSEN – Prévention Santé MGEN.
Jeux
Les petits citoyens et les éditions Valorémis proposent un kit éducatif pour que les élèves soient en capacité d’adapter et de respecter les gestes barrières dans les différents espaces qu’ils fréquentent
- Un jeu sous la forme de la cocotte en papier avec des défis pour toujours mieux prendre soin de soi et des autres.
- Un jeu de cartes à découper sur les gestes barrières.
- Une activité collective «Être vigilant, c’est ça le secret».
Qu’on m’explique ce que viennent faire l’UNICEF et l’ONU dans nos écoles. Qu’on m’explique pourquoi les enfants doivent apprendre la méditation « zen » avec un site internet « petit bambou ».
Qu’on m’explique pourquoi l’école doit expliquer aux enfants ce qu’il revient aux parents de faire, dans la culture et dans les termes qui sont les leurs.
Il est malsain et profondément délétère de développer une pédagogie centrée sur une maladie qui ne touche principalement que les vieilles personnes et les malades et qui est en voie de disparition. Toute cette machine à gaz est une énorme usine à fabriquer des enfants peureux, pusillanimes et hypocondriaques. Si les instituteurs répondent aux injonctions implicites du Ministère, les enfants qui retournent à l’école, pour apprendre, seront enveloppés dans la dernière propagande étatique.
Il n’est nul besoin de kit éducatif pour que les enfants respectent des gestes barrières : il leur suffit de voir autour d’eux, et ils imitent spontanément le comportement des adultes qu’ils respectent.
Une dernière question pourrait se poser : tous ces kits, outils pédagogiques ont un coût. Combien pour la nouvelle fabrique à hypocondriaques ?
Il est temps de redécouvrir l’incommunicabilité, et pas seulement relative. C’est de la mort qu’on inocule dans les esprits : la peur, l’habitude du calfeutrement, de la prudence constante, d’une vigilance maladive, déraisonnable et totalement inutile : tout cela rationalisé et inculqué avec des jeux, des activités ludiques.
Un pas de plus dans la culture de mort.