Dans une tribune du Figaro du 31 janvier, Philippe Nemo, philosophe et professeur à l'ESCP Europe, distingue les concepts d'égalité et de justice :
"«L'égalité est l'âme de la France», a dit le candidat socialiste François Hollande. L'égalité serait la vraie justice. Personne, au Parti socialiste, n'a donc lu ce qu'ont écrit sur la justice Platon, Aristote, Cicéron, saint Thomas, Locke, Kant, Hegel, Nietzsche, ou même Alain? La philosophie du PS s'identifie donc au jacobinisme?
L'égalité ne règne que dans les peuplades primitives. Les sociétés riches et civilisées le sont parce que la liberté y produit un foisonnement d'activités, tant intellectuelles qu'économiques, avec une division croissante du savoir et du travail qui surmultiplie l'efficacité collective. Or qui dit liberté dit nécessairement différences et distinctions. La seule question est de savoir si cette diversité est bonne ou mauvaise pour le dynamisme de la collectivité et la prospérité de tous, y compris des plus démunis. La réponse a été donnée par l'histoire des deux derniers siècles: il vaut mieux vivre dans les pays «capitalistes» qu'à Cuba.
Des raisons qui interdisent d'assimiler égalité et justice, je n'évoquerai ici que les trois principales. La première est qu'une redistribution égalitaire des biens ne serait juste que si l'on pouvait prouver que les biens des riches sont le fruit du vol de ceux des pauvres. Or c'est faux. En effet, la croissance crée des richesses nouvelles qui n'ont pas été prises aux uns pour être données aux autres, mais sont jaillies ex nihilo d'une organisation plus efficace du travail, fruit de l'innovation entrepreneuriale. De ces richesses nouvelles, les entrepreneurs profitent, mais également les consommateurs, qui trouvent sur le marché des produits meilleurs et/ou moins chers. Personne n'est donc volé. Et c'est le fait de confisquer arbitrairement des revenus et patrimoines honnêtement gagnés sur le marché qui est un vol. C'est, en outre, une absurdité économique. Car l'innovation suppose du capital, et le capital résulte de profits réalisés, en général, sur plusieurs générations. Donc confisquer par l'impôt les revenus et les patrimoines est un coup qui ne peut être tiré qu'une fois. À la génération suivante, il y aura moins à voler, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien du tout (ce qui s'est précisément passé à Cuba et dans les pays similaires).
Le deuxième argument est que l'intervention de la puissance publique qu'impliquent les politiques de redistribution crée les conditions structurelles des pires injustices. En effet, plus les prélèvements obligatoires augmentent, plus grande est la proportion de la richesse collective qui n'est pas gérée par des individus responsables, mais par une nébuleuse opaque de décideurs sans visage, dont seuls quelques-uns peuvent être sanctionnés par un vote démocratique, la plupart jouissant de la plus totale impunité. À l'abri de ce flou, les plus grandes injustices se commettent, pour la bonne raison que les décideurs publics ne dépensent pas leur argent, mais celui des autres. Ils peuvent donc prendre des décisions à la fois irrationnelles, économiquement absurdes, et intéressées, visant leur propre enrichissement et celui de leur clientèle. Les socialistes en savent quelque chose, si l'on en juge par la litanie presque infinie des turpitudes des hauts fonctionnaires de gauche qui ont sévi dans l'économie mixte et dans l'oligarchie depuis 1981. Prébendes, rentes, profits indus de certains, au détriment des contribuables, sont le fruit empoisonné de la croissance record, en France, des prélèvements obligatoires.
Enfin, la redistribution au nom de l'égalité consiste à enlever aux uns ce qu'ils ont gagné sans qu'ils aient rien fait de mal, à donner à d'autres des ressources sans qu'ils aient rien fait de bien. Spoliation d'un côté, assistanat de l'autre. Or l'impôt n'est juste que s'il est le paiement par le contribuable d'un service que lui rend réellement l'État. Un impôt pris à certains uniquement parce qu'ils ont plus de biens que d'autres, et sans rien leur donner en contrepartie, est un échange inégal, et en ce sens une flagrante injustice. Nous prétendons respecter les droits de l'homme. Or ceux-ci impliquent que je possède non seulement mon corps, mais tout ce que je fais avec mon corps, donc les biens que j'ai gagnés honnêtement. L'atteinte à l'intégrité de chacun que constitue la confiscation arbitraire de ces biens est comparable à celle qui consisterait à l'amputer d'un bras ou d'une jambe. En ce sens, une société socialiste est une société d'hommes mutilés, rendus incapables de parvenir au plein développement de leurs vertus et de leur personnalité, transformés en clones. Le jacobinisme fiscal est un antihumanisme. Sans compter qu'à mesure que le troupeau s'appauvrira, faute de dynamisme et d'innovation, la barre de «richesse» actuellement fixée par M. Hollande à 4000 € par mois ne cessera de baisser. Les Français doivent savoir que c'est virtuellement à eux tous que la nomenklatura finira par voler le fruit de leur travail.
L'égalité serait l'«âme» de la France? Il est difficile d'avoir de la France une idée plus étriquée et faisant plus injure à sa si riche histoire. La France moderne est devenue ce qu'elle est grâce à l'égalité des droits, qui est le contraire du collectivisme, puisque c'est la condition structurelle indispensable pour que les hommes soient libres et le jeu social fécond."
Xavier Soleil
Le raisonnement de M. Nemo est certes très intéressant, mais il part d’une prémisse particulièrement néfaste : le libéralisme sans règles.
Justine RK
Il est assez vraisemblable, en effet, qu’au PS, on se fiche pas mal de ce que “Platon, Aristote, Cicéron, saint Thomas, Locke, Kant, Hegel, Nietzsche, ou même Alain” ont écrit sur la justice. Mais ces auteurs sont-ils beaucoup plus lus à l’UMP, au Modem, au FN ? Sont-ils beaucoup plus lus par… notre clergé ?
Claude
Tout est dit dans ce texte, analyse pertinente et réaliste…qui n’augure rien de bon pour notre pays, d’autant plus que le jacobinisme fiscal dont parle Mr Nemo est appliqué depuis Bruxelles…nous sommes pris dans la nasse!!!
kuilo
Hollande n’a rien à répondre à Philippe Nemo, bien évidemment !
Sobieski
“une société socialiste est une société d’hommes mutilés”
Parfaite définition.Vécu presque 40 ans dans un tel système (Pologne)je la confirme.
D’autre part la dégradation de niveau d’éducation est devenu catastrophique dont les résultats sont déjà visible.
Merci à Michel Janva pour cette copie.
Denis Merlin
“La première est qu’une redistribution égalitaire des biens ne serait juste que si l’on pouvait prouver que les biens des riches sont le fruit du vol de ceux des pauvres. Or c’est faux.”
Bien sûr l’égalité mathématique dans la distribution de la valeur des biens n’est pas juste. Il y a des riches et des pauvres et c’est voulu par Dieu, ne serait-ce que pour les échanges existent. Mais la société n’est pas uniquement fondée sur un catalogue de droits. Elle aussi, fondamentalement, amitié. Donc elle peut organiser une certaine solidarité. De plus en cas d’extrême nécessité d’un membre de la famille humaine, il s’agit alors de justice (voir Rerum novarum) et pourtant celui qui est en état de grande nécessité peut être dans cet état en raison d’une faute personnelle et pourtant ceux qui sont plus favorisés, peuvent l’être du fait de leur travail. Pourtant les plus favorisés devront EN JUSTICE, le secours au nécessiteux. Celui qui refuserait son aide, commettrait dans ce cas une injustice.
De même, les parents doivent aux enfants, alors même que les parents n’ont reçu aucun avantage économique des enfants.
Je crains que ce texte trop logique laisse dans l’ombre des aspects essentiels du but de la société, but qui comprend la fraternité. Ce n’est donc pas au titre de l’égalité fondamentale, mais au titre de la fraternité humaine universelle que doit s’opérer une juste redistribution.
Le compendium (352) nous dit en outre à propos des relations économiques :
“Le devoir fondamental de l’État en matière économique est de définir un cadre juridique capable de régler les rapports économiques, afin de « sauvegarder (…) les conditions premières d’une économie libre, qui présuppose une certaine égalité entre les parties, d’une manière telle que l’une d’elles ne soit pas par rapport à l’autre puissante au point de la réduire pratiquement en esclavage ».”
http://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/justpeace/documents/rc_pc_justpeace_doc_20060526_compendio-dott-soc_fr.html
L’Etat doit donc veiller à une “certaine égalité” entre les acteurs économiques.
Ce genre de discours issu du libéralisme pur et dur du XIXe siècle est contestable parce qu’il ne voit qu’un aspect de la réalité. D’autre part le discours de Hollande, selon ce que j’en sais, est trop flou : concerne-t-il les relations économiques de travail, ou tous les humains en général ? D’autre part, il ne peut s’agir d’une égalité absolue, mais d’une certaine égalité qui laisse aux acteurs économiques une liberté fondamentale.
Bref, les choses ne sont pas si simples que ce que semble suggérer le texte cité. Mais ce qui me semble manquer aux deux discours, celui de Hollande et celui de monsieur Nemo, est la notion de solidarité et d’amitié. Instaurons la civilisation de l’amour (Paul VI) qui modèrera la société de revendications.
K.
“[…]les biens des riches sont le fruit du vol de ceux des pauvres. Or c’est faux.” -> pas systématiquement: un exemple, l’exploitation l’égale des chinois par apple pour faire des iphones. Même si légalement il n’y a pas vol, moralement, y’en a qui se font avoir. Surtout à considérer que si il y a redistribution, ça ne sera pour les chinois. On pourrait aussi citer certains bonus/prime dans le secteur de la finance.
Ensuite, sans être un fanatique de la redistribution, il en faut, par nécessité, et on appel ceci un système social. Certains n’ont pas la lumière à tous les étages, ou sont incapable de subvenir à leurs besoins et nécessitent l’aide de la communauté.
Enfin, si la limite de richesse est 4 000€ mensuel, la bonne nouvelle est que tout nos représentants seraient pour une fois soumis à cette redistribution qui là pour le coup est licite (sauf si ils trouvent une combine, je leur fait confiance).
Bref, tout ceci pour dire que l’article manque de nuance, et c’est bien dommage.
Exupéry
Très bonne analyse, qui devrait sembler évidente à tout honnête homme sans a priori ni ressentiment.
Ceci devrait être enseigné dans tous les lycées! Mais ne rêvons pas, c’est le contraire qui y est martelé.
CV
@ exupery
Mais si, on peut enseigner cela dans les lycées, ainsi qu’Aristote, Platon et St Thomas; je vais même faire une copie de cet article que je lirai à mes élèves dès la rentrée, il illustrera parfaitement ce que j’essaie de leur faire comprendre, à savoir que l’égalitarisme est contraire à la justice et à la liberté (Tocqueville le prédisait déjà dans sa Démocratie en Amérique)Je vous accorde que nous ne sommes sans doute pas nombreux!
chouan 12
l’égalité, en voilà un qui est bien placé pour en parler, comme s’il pouvait y avoir égalité chez les socialos ou leurs cousins cocos, il suffit d’aller voir en Cocosie: chine, vietnam, cuba, etc où les membres du parti ont tous les droits et tous les pouvoirs, ça s’appelle de l’égalité à la Hollande
PG
@ Xavier SOLEIL
Le libéralisme sans règles est un poncif. Tout peut être sans règle : le droit fiscal confiscatoire (appuyé sur la loi confiscatoire), la recherche scientifique, la réglemantation abusive, etc…
Qu’est-ce qu’une ”règle” ? Une norme technique ? Une norme morale de bien commun?
En quoi le marché est-il plus immoral que l’étatisme redistributeur ?
Est-ce que le libre marché ne donne pas à chacun plus de contrôle que le fait de donner à l’Etat 60 % de la richesse nationale en impôts, charges, endettement etc…. sans aucun contrôle autre qu’ a posteriori. Exercer en tant qu’individu un contrôle a posteriori sur l’Etat, dans des domaines où ses erreurs peuvent apparaître au bout d’une ou deux décennies, voire plus ( par exemple le désastre de la sécurité Sociale de Thorez en 1945), est impossible.
Nous sommes les esclaves de la Sécurité Sociale socialiste : quand ma mutuelle libérale sans règles me déplaît, j’en change en fin d’année.
J’aimerais en faire autant pour mon système de retraite, et mes lieux de soins : la gabegie et l’inefficacité françaises en ce domaine atteignent au scandale.
idem pour tant d’autres domines, dont celui de l’école et de la culture.
phm
La nomenklatura jacobino-socialo-islamo-communiste n’abandonnera jamais le pouvoir. Les technocrates de la médiocratie ont verrouillé la démocratie. Il ne reste que deux solutions pour nous sauver et sauver la France : la prière ou la révolte armée, ou peut-être les deux. “Chouans, en avant, par Saint Denis, par Saint Jean,…” Sortons l’oriflamme de Saint Denis, la France est en danger de mort ! N’assassinons pas Louis XVI une deuxième fois !