D’Aurelio Porfiri, éditeur et écrivain catholique italien, pour le Salon beige:
Au moment où j’écris ces lignes, je reviens d’un concert de polyphonie de la Renaissance. Dans ce concert, des pièces de l’école romaine ont été interprétées. La chorale était un groupe anglais célèbre et effectivement il y avait un grand nombre de personnes pour assister à ce concert.
Bien sûr, j’ai été véritablement conquis par la musique (même si j’avais quelques réserves quant à la manière de l’interpréter) mais toute cette ambiance, dans une salle de concert, m’a communiqué un certain inconfort. C’était beau de voir les gens séduits par ces belles et puissantes harmonies mais, en même temps j’avais l’impression que tout n’était pas à sa place, que c’était sorti du contexte dans lequel cela devait se trouver, celui de la liturgie de l’Église.
J’ai ressenti une sensation similaire au Louvre (ou d’ailleurs dans n’importe quel autre musée) où l’ensemble de la situation me donnait une impression de « beauté massive ». Cette beauté n’a pas été créée pour être appréciée dans un concert ou dans un musée, mais nécessite un contexte précis qui, pourtant, est aujourd’hui nié dans de nombreux cas. Aujourd’hui, la beauté musicale et artistique de l’Église, qui semble attirer les foules dans les musées et les concerts, n’est pas autorisée dans nos églises car elle est destinée à attirer les gens d’une autre manière. Si cela vous semble contradictoire, je peux vous assurer que c’est effectivement le cas.
Cela me surprend toujours de penser à quel point l’Église au cours des dernières décennies a dilapidé un énorme capital artistique et comment aujourd’hui elle ne se rend toujours pas compte que ses initiatives dans les domaines artistique et musical n’ont pas rendu nos églises ou nos liturgies plus belles – bien au contraire, elles demeurent extrêmement pauvres. Pourtant les clercs continuent; il semble qu’ils ne veuillent pas abandonner. Ou peut-être qu’ils ne veulent pas accepter que tout s’est mal passé et que leurs efforts n’ont pas donné les résultats escomptés.
Dans le passé, l’Église a toujours voulu utiliser la beauté comme moyen d’attraction vers la Beauté suprême qu’est Dieu, et elle l’a fait parce qu’elle savait que derrière la beauté comme reflet de la Beauté divine, il y a la Vérité, avec une lettre majuscule également. L’évangélisation est passée par la beauté, cette beauté qui nous conquiert et qui nous appelle aux choses surnaturelles.
Un spécialiste de l’esthétique, le professeur Stefano Zecchi, nous propose cette réflexion importante qui nous fait comprendre comment la beauté sert aussi à recomposer ce qui est désuni : « Si la beauté sauvera le monde, quelle beauté le sauvera ? Que signifie associer le mot beauté à celui de salut ? Le verbe ‘sauver’ exprime le concept de complétude et d’intégrité. D’un point de vue étymologique, l’ancien sens latin de salvus est donc emprunté à totus. Sauf donc à restaurer l’intégrité entre les parties qui tendent à se dissocier, à recomposer l’ensemble. Cette idée d’harmonisation, de construction d’ordre et d’équilibre, appartient précisément au concept de beauté. Mais il faut ajouter à une conception conventionnelle de la beauté » (Stefano Zecchi, L’artiste armé). Une conception conventionnelle de la beauté ? Peut-être, mais certainement d’une grande importance et que nous ferions bien de considérer avec beaucoup d’attention.
Un penseur attentif aux thèmes de la beauté nous fait comprendre quelque chose de très important en prenant un exemple dans le monde animal : « Parmi de nombreuses espèces d’oiseaux, les ornements compliqués des mâles non seulement ne peuvent avoir aucune valeur utilitaire mais constituent en réalité un obstacle direct car ils se développent au détriment de la mobilité, ils gênent la fuite et la course et trahissent leur présence face à l’ennemi qui les poursuit ; mais évidemment pour eux, la beauté est plus importante que la vie » (Vladimir S. Solov’ëv, De la beauté). La beauté est plus importante que la vie, c’est vraiment une belle image. La beauté est plus importante que la vie car elle donne de la plénitude à la vie elle-même. Pensons aux peuples, comme les Italiens (donnez-moi ce patriotisme caché) qui ont tant investi dans la beauté. Je pense à mes ancêtres qui ont embelli les villes que je traverse aujourd’hui et que d’autres traverseront un jour.
Vous vous souvenez d’un vieux film américain dans lequel on montrait le Pape se disputant avec Michel-Ange mais faisant également attention à ne pas l’abandonner. Cela a une part de vérité, car le talent a été préféré parce qu’il était au service de l’Église pour la gloire de Dieu et l’édification des fidèles. Ils préféraient discuter mais garder à proximité les meilleurs artistes car ils étaient un atout pour l’Église. Et aujourd’hui? Pour la plupart, les gens sont promus parce qu’ils sont obéissants, parce qu’ils ne les dérangent pas. Vous pouvez être d’une parfaite médiocrité, mais cela n’a d’importance pour personne. En effet, personne n’est aujourd’hui capable de distinguer une artiste médiocre d’une artiste talentueuse. J’avoue que je pense particulièrement à ce qui se passe autour du Vatican. Si je n’avais pas vu les choses de mes propres yeux, je penserais que ce n’est pas vrai. Mais ils sont vrais, bien sûr ! L’Église ne promeut plus les meilleurs pour rendre gloire à son Dieu, elle se contente de serviteurs insensés.
C’est peut-être mon long séjour en Chine, mais je sens que l’Église a de plus en plus besoin d’une révolution culturelle. Nous devons jeter tous les déchets inutiles qui nous ont été distribués au cours des dernières décennies, nous devons faire comprendre clairement qu’il ne sert à rien d’essayer de convaincre ceux qui font partie du problème de résoudre le problème. Il faut faire en sorte que Dieu la Beauté retrouve ses droits dans l’Église et que les abominations du présent ne soient plus qu’un souvenir, ou plutôt un cauchemar que l’on préfère penser comme n’ayant jamais eu lieu.
Nous devons redécouvrir ce sens héroïque de la beauté, c’est-à-dire la beauté comme manifestation de la vertu et la vertu comme manifestation de la beauté. On pourrait penser à ce beau passage de l’Iliade d’Homère où il est dit : « Et de même que lorsque les bergers divisaient sans effort les nombreux troupeaux mêlés dans les pâturages, de même les capitaines d’un côté et de l’autre alignaient les hommes pour la bataille, et parmi eux se tenait Agamemnon, semblable en tête et en visage à Zeus, seigneur de la foudre, semblable à Arès en figure, semblable à Poséidon en poitrine. Comme le taureau qui se distingue parmi toutes les bêtes du troupeau, il se distingue parmi les vaches rassemblées autour ; tel était le fils d’Atrée, ce jour-là, par la volonté de Zeus, éminent et exalté parmi tous les héros”. Ne sentons-nous pas nos cœurs envahis par la beauté de l’héroïsme et de l’héroïsme en tant que beauté ? Ici, pour nous, la beauté est aussi une manifestation de sainteté et nous ne pouvons que recommencer à la désirer de tout notre cœur.
Zabo
Bel éloge de la Beauté au service de la Vérité, ad majorem Dei gloriam !