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Culture de mort : Avortement

Eloge de la culpabilité

Une tribune de Thibaud Collin, parue dans Gènéthique :

"(…) Il est très difficile voire impossible pour une personne et pour une société, de vivre dans un état de scission intérieure, c’est-à-dire de s’installer durablement dans une action dont on se sent coupable. L’adage prêté à Paul Bourget "si on n’arrive pas à vivre comme on pense, on finit par penser comme on vit" manifeste le désir de cohérence et d’unité inscrit dans le cœur de l’être humain. La loi Veil, quelles que soient les intentions de ses rédacteurs, se voulait un compromis entre deux thèses contradictoires. En effet, de deux choses l’une : soit la femme porte un être doué de vie humaine et alors l’avortement est un homicide et à ce titre ne peut être légalisé ; soit partant de la conclusion que l’avortement doit être légalisé, il faut qu’il ne soit plus qualifié d’homicide et il faut donc refuser de reconnaître l’humanité de l’embryon humain. Mais alors l’avortement devient aussi banal que de se faire arracher une dent, et il ne s’agit pas simplement de le tolérer, mais de le voir comme l’effectuation d’un droit de la femme sur son corps. La loi Veil voulant transiger s’enfonce dans la contradiction. Or une contradiction ne tient pas face au besoin de cohérence interne à l’esprit humain ; ce qui devait arriver arriva et en quelques années toutes les dispositions liées à une logique de tolérance étaient abrogées sous la pression de la logique alternative, celle du droit.

On peut bien sûr soutenir que la loi Veil a été le fruit d’un compromis politique pour faire accepter l’inacceptable et que ses auteurs la considéraient comme la première étape d’une entreprise de basculement de l’opinion publique en général, et de la majorité parlementaire en particulier, pour légitimer progressivement l’avortement comme un droit essentiel de la femme. Il n’en reste pas moins que l’avortement continue à apparaître comme un acte qui n’est pas banal, car un embryon humain n’est pas une dent, fut-elle de sagesse. On peut chercher à congédier le réel quand il nous contrarie, mais le réel résiste. Alors que faire ?
 
Une des tâches majeures de notre époque est de restaurer la grandeur de la culpabilité comme signe, alerte, qu’un mal a été commis. Notre société est dans le déni du mal, mais le mal n’a pas pour autant disparu et engendre son lot de souffrance, de désespérance, de dépression. Casser un thermomètre n’a jamais fait baisser la fièvre. Comme le dit si bien Pascal : "D’où vient qu’un boiteux ne nous irrite pas et qu’un esprit boiteux nous irrite ? A cause qu’un boiteux reconnaît que nous allons droit et qu’un esprit boiteux dit que c’est nous qui boitons" (Pascal, B.80). Il ne s’agit pas d’accabler le boiteux, mais de dénoncer l’esprit boiteux qui empêche le boiteux de se voir comme tel, pour prendre les moyens de marcher droit. La seule manière de lutter contre le mal, d’être libéré de sa culpabilité n’est pas de nier la faute commise, mais d’entrer dans le chemin du pardon, pardon demandé et pardon offert à l’autre et à soi. Mais le pardon repose sur la conscience de la faute commise. Notre société s’épuise à vouloir lutter contre le mal de l’avortement en proclamant que c’est un acte banal au lieu d’avoir le courage de nommer le mal, afin de tout faire pour l’éviter en amont, et le soigner en aval."

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