La réalité, c’est que la liberté d’expression recule et le terrorisme intellectuel progresse. Il faut lire cette excellente tribune, intitulée : “Cinq ans après la tuerie, le triomphe des anti-Charlie” et publiée dans la Revue des Deux Mondes sous la plume de Valérie Toranian. Extraits :
“Le procès des assassins de la tuerie de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher de Vincennes s’ouvre mercredi devant la cour d’Assises spéciale de Paris (…) Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo, se bat pour que ce procès ne soit pas seulement celui de la chronologie des faits et l’évaluation des responsabilités des différents complices. Il rêve d’une tribune exemplaire. Où soit dénoncé ce que fut véritablement cette tuerie : la tentative de mettre définitivement au pas une société de libertés, dont la première de toute, la liberté d’expression, permet en France de critiquer librement, religions et idéologies, autorise le rire, la caricature et l’humour. « Le mobile du crime, c’est la volonté d’interdire la critique de Dieu, donc la liberté d’expression, donc la liberté tout court », explique-t-il dans un entretien au Point.
Ce procès sera plein d’ombres et de tabous. Osera-t-on dire que depuis 2006 et la publication par Charlie des caricatures de Mahomet, nombreux sont ceux dans la classe politique, les médias, parmi les universitaires, qui ont été le bras armé « intellectuel » des tueurs de Charlie ? En toute inconscience. En toute bonne conscience. En pointant du doigt la rédaction de Charlie Hebdo, au lieu de rester droit dans leurs bottes républicaines en vertu du principe de la liberté d’expression. En accusant l’hebdomadaire de « provocations susceptibles d’attiser les passions » (Chirac, président de la République), de « blesser inutilement les convictions religieuses » (Villepin, Premier ministre), « d’amalgame inadmissible car l’islam est une religion de paix » (Élisabeth Guigou). Lorsqu’un incendie détruit les locaux de Charlie Hebdo, en 2011, dix-neuf intellectuels, dont Rokhaya Diallo, publient une pétition contre le soutien à Charlie Hebdo, « hebdomadaire islamophobe » (…)
Du temps où ils se moquaient du pape, de la famille de Monaco ou du Front national, Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Riss et les autres étaient adulés par la gauche. L’insolence, la liberté d’expression, le ricanement jubilatoire contre les cons et les bigots, l’église et les fachos, voilà bien l’essence libertaire chérie par le camp du progrès. Mais sur l’islam et l’offensive de ses nouveaux bigots, défense de rire (…)
La tuerie contre la rédaction de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, a suscité une telle émotion qu’on a cru, un bref moment, que l’union sacrée autour de la liberté était reconstituée. Le 11 janvier, 3,7 millions de Français ont défilé en solidarité avec Charlie. On embrassait la police. La haine ne passerait pas. On faisait semblant de ne pas voir que l’unité était toute relative. Dans les écoles, des élèves refusaient la minute de silence. D’autres estimaient que la tuerie était « méritée ».
Quant à la gauche radicale, elle entama sa descente aux enfers. Six jours après la tuerie, Virginie Despentes, icône féministe anticapitaliste, explique dans les colonnes des Inrockuptibles son amour pour les frères Kouachi, damnés de la terre, forcément sublimes : « J’ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur identité avant de viser au visage. » Edwy Plenel, trotskiste reconverti en défenseur de « la cause des musulmans », tient un meeting en banlieue parisienne avec Tariq Ramadan et parle de « l’enfance malheureuse » des frères Kouachi. Le directeur de Mediapart, avec un grand courage, rassure son auditoire : « Je ne publierai pas de caricatures qui offensent n’importe quelle religion. » Mieux, en 2017, il accuse Charlie de « participer à une campagne générale de guerre aux musulmans ». Riss, le patron de Charlie, lui répond implacable : « Cette phrase qui désigne Charlie Hebdo comme un agresseur supposé des musulmans adoube ceux qui demain voudront finir le boulot des frères Kouachi. »
À gauche, la messe est dite. Les vrais républicains laïcs et défenseurs de la liberté d’expression sont de moins en moins audibles. Lorsqu’ils existent, on les taxe d’identitaires, de fachos, de réacs (…) La doxa est devenue le « pas d’amalgame ».
Cinq ans après la tuerie, le constat est amer. La France n’est plus vraiment Charlie ou alors du bout des lèvres. Celle qui l’est n’ose plus le dire. Surtout ne pas stigmatiser. Notre société s’est mollement fondue dans les accommodements. Elle a posé son mouchoir sur les sujets qui fâchent. L’urgence est de donner à chaque groupe, chaque communauté, le respect qui lui est dû et de ne surtout pas froisser les sensibilités. Nul n’a le droit de s’exprimer sur une identité (groupe/sexe/genre/ethnie/religion) s’il ne la partage pas (…)
Désormais, ce qui fonde la Nation est flou. Ce qui nous distingue les uns des autres devient plus fondateur que ce qui nous rassemble. Le vivre à côté a remplacé le vivre ensemble. Cinq ans après la tuerie, les frères Kouachi ont gagné : plus aucun journal ne caricaturera jamais Mahomet (…)
Genoux à terre devant les tenants de l’islam politique qui ont réussi à faire passer la critique de la religion pour un crime raciste. Dans l’indifférence générale, on assiste au retour du crime de blasphème. On ne pouvait pas mieux tuer une seconde fois les dessinateurs de Charlie. La gauche radicale indigéniste, racisée et néo-féministe qui s’indignait de « l’islamophobie » de Charlie, se frotte les mains. Elle a le vent en poupe. Ses icônes sont vénérées par les médias et les réseaux sociaux (…)
Danièle Obono une martyre depuis que le journal Valeurs Actuelles a eu l’idée, qu’on peut contester, de la représenter en esclave dans une fiction de série B plus ratée que raciste.
Danièle Obono, rappelons-le, avait dansé sur la tombe de Charlie : « Je n’ai pas pleuré Charlie. J’ai pleuré toutes les fois où des camarades ont défendu, mordicus, les caricatures racistes de Charlie Hebdo ou les propos de Caroline Fourest au nom de la “liberté d’expression” (…). La fiction publiée par Valeurs Actuelles se voulait humoristique. C’est raté. De toute façon, le rire est devenu illicite. Douteux. Blessant donc interdit. Nous sommes tous victimes. Tous susceptibles. Tous humiliés et à cran. La seule option raisonnable est de laisser faire, laisser dire, ne plus débattre, se résigner et conclure fataliste que « le monde a changé ».
Le procès qui s’ouvre mercredi sera aussi celui de notre lâcheté.
C.B.
Qualifier de “fiction de série B plus ratée que raciste” les huit pages (illustrations comprises) consacrées par Valeurs Actuelles à une mise en image de la traite intra-africaine est peut-être un peu sévère. En le lisant, j’ai pensé aux Lettres Persanes, mais aussi au “Tour de France par deux enfants”, dans un format plus “nouvelle” que “roman”. “Harpalus” a peut-être la dent dure quand il impute à Madame Obono la méconnaissance de l’origine du “concept de négritude”, sous-entendant que Madame Taubira lui est plus familière qu’Aimé Césaire. L’occident aussi en prend pour son grade, la France se voyant qualifier, dans la pensée supposée de l’héroïne, de “moisie dans sa haine de tout ce qui n’est pas immaculé”.
Le tapage médiatique de ces derniers jours (eût-il été aussi puissant pour un épisode qui aurait propulsé Marine Le Pen fomentant une bagaude dans la Gaule romaine?) aura présenté l’intérêt non négligeable de populariser les traites intra-africaine et arabo-musulmane trop peu connues car généralement tues, alors que plusieurs chercheurs africains (Tidiane N’Diaye, Salah Trabelsi, …) ont largement défriché ce sujet sans pouvoir être soupçonnés de négationnisme post-colonial.
Je ne suis pas convaincue que “La fiction publiée par Valeurs Actuelles se voulait humoristique”. Je la qualifierais plutôt de “nouvelle historique”, constituant une introduction facile à lire pour tout public sur ce sujet délicat.
F. JACQUEL
Je ne me suis jamais senti CHARLIE qui, statistiquement, a dû plus souvent vomir sur la Catholicité que sur la RATP.
En revanche, je me suis senti “NOTRE-DAME DE PARIS” le soir de l’attentat sacrilège du 15 avril 2019 (la thermite est plus efficace, quoique moins courante, que les mégots de cigarette), où j’ai pleuré devant mon téléviseur.
Et je me sentirai “NOTRE-DAME DE PARIS” aussi longtemps qu’elle ne retrouvera pas la splendeur originelle au cœur de laquelle j’ai eu l’honneur de chanter, lors d’une rencontre entre les Maîtrises de Notre-Dame de Paris et de Notre-Dame de Versailles.
Rabolio
Tout à fait d’accord. D’ailleurs ”tout ce qui est excessif n’est-il pas dérisoire” ?