Le Père Abbé de l’abbaye bénédictine Notre-Dame de l’Annonciation de Clear Creek dans l’Oklahoma aux États-Unis (fondation de Fontgombault en 1999), Dom Philippe Anderson, a été interrogé dans La Nef. Extrait :
Comment avez-vous reçu le motu proprio Traditionis custodes, puis les Responsa et enfin le décret d’exemption de la Fraternité Saint-Pierre ?
Le Souverain Pontife a certainement le droit de régler les usages liturgiques dans l’Église, et nous respectons ce qui a été décrété dans Traditionis custodes et les Responsa. Nous avons reçu ces documents avec le sérieux et l’attitude filiale qui conviennent toujours lorsque le Saint-Père et ses collaborateurs parlent, mais, il faut l’avouer, non sans une certaine tristesse. Il faut reconnaître qu’un assez grand nombre de personnes hautement qualifiées, soit aux États-Unis, soit en Europe, ont protesté respectueusement contre une certaine dureté de Traditionis custodes et du document qui l’a suivi. Au moins cinq cardinaux, y compris le cardinal Burke, ont exprimé leur déconvenue devant le motu proprio. Il y a aussi des prêtres, des théologiens, des philosophes, des canonistes, des historiens, et beaucoup d’autres aux États-Unis et à travers le monde. Nous nous sommes réjouis, en revanche, de voir, non seulement l’attitude filiale qui a inspiré la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre de s’en remettre au Saint-Père pour cette question, mais surtout de voir avec quelle bonté celui-ci a répondu à sa supplique.
Comment voyez-vous l’avenir de la messe traditionnelle et des « tradis » ?
Je vois deux chemins qui s’ouvrent devant nous par rapport à la messe « traditionnelle ». D’un côté il est possible que le Saint-Siège et nos évêques suppriment autant que possible cette forme de célébration. Dans ce cas, l’usus antiquior continuera probablement de façon plus ou moins clandestine et illicite. Un certain nombre de catholiques vivront dans un quasi-schisme, la colère vis-à-vis de la hiérarchie s’accentuera, bon nombre des jeunes cesseront de pratiquer la foi, et une certaine tristesse envahira l’Église. L’autre chemin mènerait les autorités de l’Église, me semble-t-il, à embrasser ce qui représente en réalité un nouvel élan dans la vie chrétienne, pour rendre cet intérêt pour l’ancien rite pleinement catholique et orthodoxe au meilleur sens. Il ne s’agit plus de nos jours, en effet, de vieilles personnes s’agrippant aux souvenirs nostalgiques, mais de jeunes qui découvrent en quelque sorte leur propre héritage.
Voici une comparaison qui pourra aider à mieux comprendre la situation. Aux XIIe et XIIIe siècles la tendance à embrasser un certain idéal de pauvreté évangélique a commencé par causer de sérieux problèmes, comme en témoigne, par exemple, l’histoire des Vaudois, qui ont fini dans l’hérésie. Une étude récente de Donald Prudlo révèle à quel point la controverse d’alors a bouleversé les esprits à l’Université de Paris et ailleurs. Saint Thomas d’Aquin et saint Bonaventure ont dû défendre vigoureusement l’existence même des Frères prêcheurs et des Frères mineurs contre leurs ennemies, qui les traitaient de faux prophètes et de précurseurs de l’Antéchrist. Mais le pape Innocent III et ses successeurs, au lieu d’écraser ce mouvement, ont vu dans ces nouveaux ordres une nouvelle vie pour l’Église elle-même. Nous connaissons la suite.
Certains échos, à Rome, ont laissé entendre que Traditionis custodes visait principalement des traditionalistes américains ouvertement opposés au concile Vatican II et à la réforme liturgique de Paul VI : qu’en est-il en réalité, comment se présente le traditionalisme aux États-Unis ?
Il y a certainement des catholiques américains « de la Tradition » qui n’ont pas peur de se faire entendre, parfois avec un notable manque de discrétion. Ce serait une erreur, d’ailleurs, de penser qu’il existe un traditionalisme américain bien unifié, dont ces voix plutôt stridentes seraient l’expression normative. Il y a toutes sortes d’attitudes parmi ceux qui défendent le rite antérieur, allant des familles qui viennent juste de découvrir avec enthousiasme ce rite vénérable, jusqu’aux prêtres et laïcs, plus ou moins liturgistes, qui suivent le débat (souvent non sans passion d’ailleurs) depuis longtemps. Sans doute, si à Rome on a l’impression qu’il y a chez nous un traditionalisme farouche qui défie les autorités, cela vient surtout d’un nombre relativement restreint de journalistes ou d’individus qui écrivent dans le cadre des blogs, parfois pour de nombreux lecteurs. Tous les journalistes plutôt favorables à l’ancien rite ne tombent pas dans cette catégorie des indiscrets – il y en a qui travaillent sagement, je dirais, à servir courageusement la Sainte Église – mais ce sont les plus impétueux, sans doute, qui commandent le plus d’attention. […]