De notre envoyé spécial en Egypte, Antoine Bordier
Il faut le voir, pour le croire, ce quartier de Zeitoun, à Heliopolis, dans la banlieue du Caire. C’est, là, au-dessus d’une des coupoles de la petite église copte orthodoxe, qui fête cette année le centenaire de la pose de la première pierre de sa construction, en 1924, qu’apparait dans un halo de lumière Notre Dame. Elle est accompagnée de colombes lumineuses, mystérieuses. Marie revient sur sa terre sainte, sur ses pas, sur les pas de la Sainte Famille. Elle ne fuit plus et apporte un message de Paix, pour notre temps, pour chacun d’entre-nous. Eclairage.
« Venez à 19h00, rendez-vous devant l’église copte orthodoxe de l’Archange Saint Michel », le docteur Ihab Kirollos raccroche. Comment ne pas répondre positivement à son invitation ? Il est partant pour servir de guide. Et, quel guide. Pensez : il avait 5 ans lorsque sa maman l’emmène dans ce fameux quartier de Zeitoun, en avril 1968. Depuis, lorsqu’il se rend à l’hôpital où il travaille, il s’y arrête. Il connaît, donc, la route par cœur. Ce chirurgien ophtalmologiste de réputation internationale pourrait s’y rendre, littéralement, les yeux fermés.
« Je m’y rends très souvent », raconte-t-il, au lieu du rendez-vous. Il s’être arrêté devant le poste militaire de sécurité. La sécurité est prise très au sérieux en Egypte. Il y en a partout depuis les derniers attentats contre des églises, en 2017 et en 2019. A l’entrée de chaque église, des barrières métalliques floquées aux couleurs du drapeau égyptien, un poste de police et plusieurs plantons, sont autant de solutions préventives pour pallier au risque potentiel. Si vous êtes un étranger, il vaut mieux avoir votre passeport sur vous. Des portiques de sécurité permettent à la fois de filtrer et de scanner les sacs des personnes qui s’y rendent.
« A Zeitoun, nous allons nous garer avant l’église, et marcher quelques minutes », prévient Ihab. Nous quittons les grandes avenues de 3 à 4 voies pour entrer dans des rues plus étroites. Les rues sont devenues des ruelles au fil des ans. Car la population et leurs voitures ont été multipliées par 2 en 35 ans. Effectivement, sur place, alors que nous nous approchons de Zeitoun, de part et d’autre de la rue Toman Bai, des voitures, rien que des voitures. La double voie n’est plus qu’une voie. Des marchands ambulants, les pieds nus dans leurs maigres sandales, tirent derrière-eux une petite cariole avec son poêle à charbon tout fumant. Des coups de klaxons fusent. La voiture s’arrête. Nous ne sommes plus loin. Le périple va se transformer en pèlerinage.
Une église, des fidèles et des prières
7 mn plus tard, elle est là, belle, lumineuse, toute resplendissante, comme une fiancée parée pour son fiancé. Impossible de passer à côté d’elle et de ne pas la voir. Comme si tous les regards étaient rivés sur elle. Sur la gauche de la rue, l’église des apparitions, floquées des drapeaux de la Vierge Marie, et en face, de l’autre côté, la cathédrale. « C’est Nasser qui a donné le terrain à la communauté copte orthodoxe, et nous avons construit cette cathédrale. Elle permet d’accueillir près de 4 000 fidèles », explique Ihab, qui a l’air d’être comme un poisson dans l’eau.
Il accélère le pas et passe les portiques de sécurité avec une facilité déconcertante, en saluant le gardien comme s’il le connaissait. La police est dans les parages. Sur le beffroi construit à côté de la cathédrale, une représentation de la Vierge Marie.
Ihabi se retourne : « C’est là sur la petite coupole que la Vierge est apparue. Moi, je ne l’ai pas vu. Mais mes parents oui, ainsi que mes proches. Il y avait tellement de monde. Nous étions parfois près de 50 000 » raconte-t-il, visiblement ému. « J’avais 5 ans, et j’ai perdu la main de ma maman dans cette foule. Je me souviens avoir crié et beaucoup pleuré. Quelques longues minutes après, je suis transporté et quelqu’un me dépose sur le dos de ma mère. C’était elle. Ouf. »
L’église Sainte-Marie est très belle. Jaune et blanche, elle est surmontée de 5 dômes. Elle ressemble à une mariée, vêtue de sa jolie robe blanche. A l’intérieur, l’église est remplie, avec un afflux de personnes qui entrent et qui sortent. Les portes sont grandes ouvertes.
Alors que la nuit est tombée depuis deux heures, le prêtre célèbre l’office du soir. Des cymbales retentissent. Nous sommes au temps du Christ. Les chants sont entonnés, comme autant de louanges qui montent vers le Ciel.
La nuit du 2 avril 1968
La petite église, cette nuit-là, va faire l’objet d’une visitation des plus surprenantes. Juste en face d’elle, le gardien de nuit de la société de transport, qui a son propre garage, Abd El-Aziz, vient de remarquer une lueur blanchâtre au-dessus du dôme extérieur droit. Il se met à crier : « Une lumière sur le dôme ! ». Il appelle alors les ouvriers du garage, qui voient la même chose. Ils sont tous en train de regarder cet halo de lumière quand ils voient plus distinctement une jeune femme portant une tunique blanche, recouverte d’un voile bleu-ciel. Elle est agenouillée en direction de la croix posée sur le ponton de l’église. De confession musulmane, les premiers témoins ne reconnurent pas d’emblée la Vierge Marie. Il leur fallut quelques minutes pour le comprendre. C’était bien elle. Ils crurent même que cette jeune fille était montée jusque là-haut, prête à se suicider. Ils se mirent, alors, à lui crier : « Descendez, descendez, vous allez tomber ». Elle restait impassible, le regard tourné vers la croix.
En bas, la foule commençait à se former, la police arriva. Tous essayèrent de la faire descendre, mais elle ne répondait pas. Alors, sa silhouette changea et devint plus précise. On distinguait mieux sa beauté, ses traits, ses membres, ses habits. Près d’un millier de personnes, chrétiennes et musulmanes, se tenaient, ce matin, vers 2h00, dans la rue. La beauté de la jeune fille augmentait, par moment, elle souriait. « Elle tenait des branches d’olivier à la main. Soudain, une nuée de colombes blanches survola sa tête. C’est à ce moment-là que le tout le monde compris que cette scène était d’origine surnaturelle », raconte Monseigneur Anba Youannes, évêque d’Assiut.
Reconnaissance officielle des apparitions
Dès le samedi 4 mai 1968, alors que les apparitions vont continuer jusqu’au 12 septembre 1970, et durer 893 jours (2 ans, 5 mois et 10 jours), le Pape Cyrille VI, déclarait : « La Résidence Papale affirme avec une foi totale, une grande joie et d’humbles remerciements au Dieu Tout-Puissant, que la Sainte Vierge Marie, la Mère de la Lumière, est apparue de façon claire, stable et pendant plusieurs nuits, pendants de longues durées qui atteignaient parfois plus de deux heures sans interruption, dès le matin du mardi 2 avril 1968 ap. J.-C., qui correspond au 24 baramhat 1684 de l’ère des Martyrs, jusqu’à ce jour, en l’église copte orthodoxe de la Vierge Marie, dans la rue Toman Bay à Zeitoun, sur le chemin de Matareya, au Caire. Il est historiquement prouvé que la Sainte Famille est passée par ce chemin lors de son voyage en Egypte. Que Dieu fasse de cette bénédiction un symbole de paix pour le monde, et de prospérité pour notre chère patrie et notre peuple béni, de qui la prophétie a dit : “ Bénie soit l’Egypte, mon peuple ”. »
Ici, le pape fait référence à la prophétie d’Isaïe, au chapitre 19, verset 25 de son livre : « Bénis soient l’Egypte, mon peuple, Assour, l’ouvrage de mes mains, et Israël, mon héritage. »
Des apparitions multiples et variées
Des centaines d’apparitions vont, ainsi, illuminer le ciel du Caire de 1968 à 1970. Elles sont accompagnées de phénomènes surnaturels, comme des fumées lumineuses d’encens qui se diffusent à partir des coupoles et qui montent vers le ciel, sur une hauteur de 30 à 40 mètres. L’apparition de grandes colombes par 6 ou par 9 qui volent en formation.
La Vierge est apparue sous plusieurs aspects, signifiant, ainsi, qu’elle n’était pas une représentation humaine. « L’une des scènes les plus importantes, évoque le Patriarcat, fut son apparition entre le dôme sud-ouest et le dôme central de l’église. Elle prit la forme d’un corps lumineux, de la taille normale d’une jeune fille et parfois plus grande que la taille normale, et sa tête atteignait le ciel comme si elle venait d’en descendre. Autour de sa tête sainte et de son corps lumineux, il y avait un beau voile argenté, qui paraissait parfois d’une couleur bleu foncé, tandis que tout son corps était d’une lumière souvent de couleur phosphorescente ou bleu clair. »
Des conversions et des guérisons
Ses apparitions sont étonnantes, comme si elles révélaient une sorte de ciel anticipé, une vraie bénédiction, source de conversions. Le docteur Ihab en est convaincu : « La Vierge Marie est venue bénir l’Egypte, tous les Egyptiens, sans exception ». Il est vrai qu’elle apparaît à tous. Et, d’abord à des musulmans. Elle est venue dire : « Vous êtes tous mes enfants ! ». Elle n’offre pas d’or, mais de l’encens. Ce qui est, également, un autre signe de bénédiction, d’élévation. Quoiqu’il en soit, les conversions n’ont pas attendu la fin des apparitions, le 12 septembre 1970, pour pleuvoir comme une pluie de roses sur la vie de certaines personnes. Sur le sujet des conversions, il n’y aucune statistique officielle. Certaines sources évoquent le chiffre de 2 à 3% des personnes venues à Zeitoun. Ce qui ferait des centaines de conversions, voire des milliers.
Si le Patriarcat ne tient pas de statistiques officielles, du côté des guérisons, une équipe ad-hoc les étudie, les documente et les enregistre quand elles sont avérées. Il est bon de citer quelques noms de personnes guéries, alors que la science, la médecine, s’en trouvait incapable : Monsieur Riad Naguib Azer, guéri d’une rupture de la rétine ; Madame Haneya Ghattas, aveugle, retrouve la vue lors d’une apparition de la Vierge à Zeitoun. Elle témoigne, ainsi, auprès du Patriarcat :
« Soudain, j’ai entendu un cri : “ La Vierge est apparue ! ”Je me suis mise à courir sans savoir dans quelle direction, mais je voyais son image lumineuse. […] En cherchant mon chemin dans la foule, j’ai perdu mon bâton. Alors, je me suis mise à le chercher. Et je l’ai vue ! »
Des apparitions silencieuses ou presque
Les apparitions de la Vierge Marie sont toutes… silencieuses. Mais, ses silences en disent long. Ses silences sont même, parfois, assourdissants. Surtout si l’on se réfère à l’histoire de l’Egypte. A ce vieux pays antique, des pharaons, des pyramides, des rois et des reines. A ce pays biblique, visité par le Seigneur plusieurs fois. A ce pays du Sinaï, de la Montagne de Dieu, du Mont Horeb. A ce pays, qui a accueilli la Saint Famille plusieurs années. Elle est silencieuse, mais elle apparaît au-dessus d’une église copte. Là, où la Sainte Famille se serait arrêtée, et aurait vécu. Elle vient bénir les coptes et elle pourrait leur avoir dit : « Tenez bon, vous avez du prix à mes yeux ! ». Pour le Pape Chénouda III :
« La Sainte Vierge, “ la belle colombe ”, portant en son sein notre Christ Bien-Aimé nous a annoncé la paix de Dieu accordée à l’homme, la rédemption, la survie et le début d’une nouvelle vie. »
Le docteur des yeux et des âmes ?
Le docteur Ihab, qui a plus de 60 ans, a reçu sa vocation à… Zeitoun. Il a un don pour soigner les yeux. Il est l’un des plus réputés de sa génération. Copte orthodoxe, croyant, pratiquant, il repart de Zeitoun après avoir prié en copte et en français. Marié, père de deux garçons qui vivent en Italie, il est devenu diacre. Il est, aussi, un peu le médecin des âmes prenant le temps de la conversation avec ses patients.
Sur les apparitions, il a plein d’anecdotes. Il se souvient que même le Président Nasser a vu la Vierge Marie. Il s’y rendait incognito. Les apparitions ont eu lieu après la terrible défaite de l’Egypte face à Israël, en 1967, lors de la guerre des Six-Jours. En 1973, lors de la guerre du Kipour, l’Egypte retrouve pleinement sa souveraineté. Israël, qui occupait le Sinaï, est vaincu par l’Egypte.
Aujourd’hui, l’Egypte connaît une crise économique et sociale qui voit une partie de sa population s’appauvrir, et une partie de sa jeunesse, de son élite, partir. Avec un taux d’inflation à deux ou trois chiffres, elle subit les effets de la crise endémique, et des guerres qui se multiplient. Le pays est en souffrance, et après les années où il a failli basculer vers l’obscurantisme des Frères musulmans, il a tenu bon. La lumière de Marie est, plus que jamais, là.
Ce soir du 18 janvier 2024, Ihab est aux anges. Il quitte son habit de guide – il est, également, diacre – et peut rentrer avec une certaine fierté chez lui. Chaque semaine, il se rend à l’église de Zeitoun, construite par le père Constantin Moussa, qui assista, lui-aussi, aux apparitions. Ihab rêve depuis longtemps d’une chose : venir à Lourdes, marcher sur les pas de sainte Bernadette et voir la Sainte Vierge, dans la grotte de Massabielle. Il aime l’Immaculée Conception. Espérons que Notre-Dame de Zeitoun réalisera en 2024 son vœu pieux.
Prière à Notre-Dame de Zeitoun
Il nous faut conclure. Mais, ce serait plutôt une invitation à la prière, proposée par l’équipe du magazine La Vierge de Zeitoun.
Bienheureuse…
Bienheureuse es-tu ô Marie, notre mère
Bienheureuse ô toi, la fierté de notre race
Toi, Marie tu es exaltée au-dessus des chérubins
Et honoré ô Marie au-dessus des séraphins
Ton apparition…
Ton apparition dans notre église à Zeitoun
Etait splendide et glorieuse
On l’a vue dans sa forme la plus belle et la plus glorieuse
Une scène qu’aucun stylo ni aucune langue ne peut décrire
En ta présence…
Le coeur respecte et l’esprit obéit
La bouche est bénie et le stylo est sanctifié
Quand nous prononçons ton nom
Nous sommes ravis de la gloire de tes lumières
Grâce à cela…
Nous t’exaltons, ô Mère de Dieu
Nous te bénissons, toi qui as porté la grappe de vie
Bienheureuse es-tu notre Mère compatissante
Bienheureuse es-tu l’olivier.
Reportage réalisé par Antoine Bordier / Copyright photo A. Bordier et Patriarcat Copte Orthodoxe du Caire