L’abbé Grégoire Celier, Prieur de la chapelle Notre-Dame de Consolation à Paris, vient de faire paraître un livre intitulé « Le XIXe parallèle ». Il a accepté de répondre à nos questions :
Comment un prêtre devient-il critique littéraire : on s’attendrait plutôt à des livres de piété ou de théologie ?
Je suis un homme partagé entre mon intérêt pour la religion, mon intérêt pour la philosophie et mon intérêt pour l’histoire du XIXe siècle. Depuis près de trente ans, je suis rédacteur en chef de revues religieuses (Fideliter, puis Lettre à nos Frères prêtres), et j’ai publié huit livres sur des thèmes religieux. J’ai enseigné la philosophie durant onze années, et j’ai publié trois livres en ce domaine. Enfin, je m’intéresse au nationalisme français et à l’antilibéralisme catholique au XIXe siècle : Le XIXe parallèle est le troisième ouvrage que je publie sur ce sujet.
Toutefois, comme il est facile de le remarquer, à l’exception des deux derniers chapitres, plus spécifiquement littéraires et politiques, l’essentiel de mon livre porte sur des auteurs catholiques, ou en rapport avec l’Église (pour Maurras, par exemple) : à ce titre, cela ne dépare pas, venant d’un prêtre.
D’ailleurs, si un prêtre doit se consacrer principalement aux sciences religieuses, rien ne l’empêche de s’intéresser aussi à d’autres choses, par exemple la littérature. Jamais, dans l’histoire de l’Église, le clergé ne s’est, comme le voudraient les anticléricaux, « enfermé dans sa sacristie ». Les clercs ont toujours brillé en histoire, en littérature, en art oratoire, et même en sciences : rappelons, par exemple, que Gregor Mendel, fondateur de la génétique moderne, était un prêtre catholique, tout comme Georges Lemaître, l’inventeur de la théorie du « Big Bang ».
Vous avez choisi de flâner “hors des sentiers battus” du XIXe siècle : pas de mention de Balzac ou Maupassant, ni de Zola ou Hugo. Pourquoi ce choix assumé ?
Ce livre est d’abord et avant tout un livre de liberté. Je ne me suis rien interdit, je ne me suis rien imposé (sauf de rédiger un livre le plus digne possible de ses lecteurs). Je parle ainsi, en toute tranquillité, d’auteurs considérés comme « sulfureux », voire « maudits » : Drumont, Maurras, Céline, etc. Je ne renonce pas à les louer pour ce qu’ils ont fait de bien, ni à les blâmer pour ce qu’ils auraient fait de moins bien.
J’aborde des thèmes qui aujourd’hui font frémir, comme le nationalisme, l’antisémitisme, « l’intégrisme », avec le souci de comprendre et d’expliquer, mais seulement à propos des points que je traite : je ne me sens pas tenu de faire des déclarations liminaires afin de me dégager de toute compromission, de protester que je ne cautionne pas ceci ou cela. Les lecteurs sont de grands garçons ou de grandes filles, ils sont capables de comprendre par eux-mêmes ce que je dis, et quelles sont mes relations intellectuelles avec les personnages et les thèmes abordés.
Donc, pour répondre précisément à votre question, j’ai choisi ces auteurs tout simplement parce qu’ils m’intéressaient. Et je n’ai pas choisi Balzac ou Maupassant parce qu’ils ne m’intéressaient pas, du moins pas au point de leur consacrer une étude. D’ailleurs, il existe des milliers de livres sur ces auteurs « majeurs », et beaucoup moins sur les auteurs plus « mineurs » que j’étudie. Et comme j’ai tendance à aller toujours du côté des petits contre les gros, le résultat est là : je parle de Barrès plutôt que de Zola.
Mais pourquoi ces personnages précisément, plutôt que d’autres à la même période et dans le même genre ? Par exemple, vous parlez de la Comtesse de Ségur, de Louis Veuillot, de Mgr Benigni, mais vous ne parlez pas du cardinal Pie, que pourtant vous admirez, du bienheureux Pie IX, un de vos héros, etc.
Je suis fils de bibliothécaire et petit-fils d’archiviste, je suis journaliste et responsable de publications périodiques depuis trente ans, j’ai été durant treize ans un éditeur. Bref, je suis passionné par tout ce qui concerne l’écrit, et le journalisme en particulier.
Comme il est facile de le constater, les personnages que je décris ont tous été des écrivains, et presque tous des journalistes ou des rédacteurs de brochures d’actualité. Ce qui a été, sans aucun doute, un critère de choix, peut-être subconscient au départ, mais qui se remarque bien à l’arrivée.
Un écrivain, s’il a du talent, peut rester dans les mémoires. Un journaliste, même génial, risque fort d’être oublié. J’ai donc eu envie de faire revivre ceux qui avaient tant marqué leur époque, et dont certains sont à mes yeux, par leur engagement profondément catholique, de véritables héros.
Vous écrivez, en évoquant Dom Guéranger, que la Révolution a provoqué une grave crise intellectuelle dans l’Église. Puis, en évoquant Charles Maurras et la condamnation de l’Action Française, que cette dernière a eu des conséquences tragiques. La crise de l’Église n’aurait-elle donc pas commencé avec Vatican II ?
Je suis membre de la Fraternité Saint-Pie X. Donc, tout le monde peut savoir que je considère certaines affirmations du concile Vatican II comme très contestables du point de vue de la foi.
Cela ne signifie évidemment pas que la crise actuelle dans l’Église (que tout un chacun peut constater : baisse de la pratique, effondrement des vocations, dérives morales, déviances liturgiques, etc.) ait pour cause unique le concile Vatican II. La Fraternité Saint-Pie X ne l’a jamais dit, car ce serait une évidente absurdité. Il existe plusieurs autres causes facilement repérables, comme les changements sociologiques (par exemple, l’exode rural), les avancées technologiques, la montée de l’hédonisme et de l’individualisme, etc. Mai 68, tout le monde en a conscience, a eu une influence majeure même sur l’évolution de l’Église.
De plus, le concile Vatican II ne se serait pas déroulé comme il s’est déroulé s’il n’y avait pas eu des faits antérieurs qui l’avaient préparé, qui avaient fourni le terreau où ont pu germer certaines options que nous considérons comme des erreurs et des fautes.
Donc, non, la crise actuelle dans l’Église n’a pas commencé avec Vatican II, et n’a pas pour unique cause Vatican II. Pourtant, Vatican II est et demeure une cause majeure de cette crise, et c’est pourquoi nous le critiquons sur ses points contestables, et persistons à le critiquer, parce que cette cause continue de produire des effets délétères. Après tout, l’actuel Pape François prétend ne faire qu’appliquer le concile Vatican II, et je pense qu’il a, au fond, assez raison, hélas !
A quand un XXe parallèle ? Et quels auteurs souhaiteriez-vous y évoquer ?
Comme je l’explique dans mon livre, la période historique qui m’intéresse est principalement le XIXe siècle, qui se prolonge un peu au début du XXe. Donc, en principe, je ne suis pas censé publier un XXe parallèle.
Ceci étant, au cours de ma carrière de journaliste catholique, j’ai rédigé des notices sur plusieurs héros du traditionalisme, comme Mgr Lefebvre, l’abbé Louis Coache, le père Michel André, ainsi qu’une histoire du combat catholique traditionnel avant la fondation de la Fraternité Saint-Pie X. Il est donc possible, si j’en trouve le temps un jour, que je mettre tout cela en forme en vue d’une publication.
Mais, pour le moment, j’envisage plutôt un livre sur la liturgie, thème sur lequel j’ai déjà beaucoup écrit : il s’agit de rassembler ces textes, de les réviser et de les réécrire, de les compléter, pour fournir un ouvrage exhaustif et cohérent. La littérature et l’histoire risquent d’attendre un peu.
Quel serait votre message à nos lecteurs ?
Je souhaite à tous les « liseurs » du Salon Beige, s’ils choisissent de s’intéresser à mon XIXeparallèle, d’y trouver de l’agrément, peut-être d’y apprendre quelques faits qu’ils ne connaissaient pas, en tout cas de découvrir ou de redécouvrir des auteurs qui méritent d’être mieux appréciés et davantage lus.
Grégoire Celier, Le XIXe parallèle – Flâneries historiques et littéraires, hors des sentiers battus, Via Romana, 2022, 348 pages, 24 euros.