D’Antoine de Lacoste sur Boulevard Voltaire :
Erdoğan tente de sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve à Idleb, en Syrie, dernière province tenue par les islamistes et qu’il occupe conjointement. Sa reconquête progressive par l’armée syrienne a entraîné des affrontements à l’artillerie entre Turcs et Syriens, faisant plusieurs morts de chaque côté : 17 chez les Turcs, reconnus par Ankara, un nombre indéterminé chez les Syriens, qui ne communiquent jamais sur leurs pertes.
Samedi 21, après un nouveau mort turc, Erdoğan a annoncé la tenue d’un sommet qui se tiendrait le 5 mars et qui réunirait Vladimir Poutine, Emmanuel Macron et Angela Merkel, en plus du sultan lui-même. Cette configuration inhabituelle est le résultat d’efforts incessants d’Erdoğan pour obliger l’armée syrienne à interrompre son offensive. Le succès de celle-ci place, en effet, les Turcs dans une situation très délicate.
À la suite des accords de Sotchi, en 2018, l’armé turque a installé de nombreux postes militaires qui se situaient à la lisère du territoire occupé par les islamistes, alliés ou non d’Erdoğan. Cette occupation dépassait même les frontières de la province et comprenait aussi le nord de la province d’Hama et l’ouest de la province d’Alep, jusque dans la banlieue d’Alep, régulièrement bombardé de ce fait.
En contrepartie, Erdoğan s’était engagé à réduire l’influence et l’activité du Front al-Nosra, l’antenne syrienne d’Al-Qaïda. Rebaptisé Hayat Tahrir al-Cham, ce groupe, composé de 10.000 à 20.000 combattants aguerris par neuf années de guerre, malgré leurs pertes considérables, domine la région. Comme on pouvait s’y attendre, ils n’ont fait qu’une bouchée des milices syriennes et turcophones payées par la Turquie.
Ce statu quo ne pouvait évidemment durer car Bachar el-Assad n’a jamais fait mystère de sa volonté de reconquérir la totalité du territoire syrien, en particulier Idleb. Sa visite sur le front, l’année dernière, fut le prélude à l’offensive de l’armée syrienne, massivement appuyée par l’aviation russe. Les territoires d’Hama et d’Alep ainsi que l’autoroute M5, axe stratégique reliant Damas à Alep, ont été reconquis. La moitié des postes militaires turcs se trouvent, maintenant, dans la Syrie reconquise, mais Erdoğan refuse de les évacuer.
Erdoğan a vertement reproché à Poutine (les deux hommes s’appellent souvent) de ne pas respecter les accords de Sotchi en appuyant l’offensive syrienne, mais ce dernier a évidemment répondu qu’il fallait mettre un terme aux actes terroristes d’Al-Nosra.
N’ayant pas la maîtrise des airs – exclusivité russe -, il est difficile, pour l’armée turque, d’endiguer les attaques syriennes, et puis un affrontement entre soldats des deux armées n’est pas souhaité par Erdoğan, qui sait bien que sa position d’occupant est fragile. De plus, il ne veut pas apparaître comme un soutien d’Al-Nosra.
C’est, bien sûr, la corde humanitaire qu’il a fait jouer auprès de Macron et de Merkel, en raison de l’afflux de réfugiés vers le nord et la frontière turque.
Ce petit monde va donc, sans doute, se réunir. Poutine écoutera, impassible, et prendra sa décision. Plus que jamais, c’est lui le maître du jeu en Syrie.