Marianne publie la tribune de Patrick Sadoun, président fondateur du RAAHP (Rassemblement pour une approche des autismes humaniste et plurielle) et auteur de « Autisme – dire l’indicible » (Harmattan), dans laquelle il explique que faire de l’inclusion le maître mot de la politique du handicap est une erreur. Il interpelle également tous les candidats à la présidentielle. Extraits :
L’autisme, et le handicap en général, n’a jamais été un thème de campagne électorale. Douze millions de personnes sont concernées mais jusque-là, cela ne suffisait pas pour intéresser les candidats. Et puis brusquement, miracle, depuis quelques jours, tous en parlent et semblent se passionner pour cette question. Reconnaissons-le, on doit cet engouement soudain à Éric Zemmour, à son talent incomparable pour mettre les pieds dans le plat et poser sur la table les sujets qui fâchent, ceux qu’on a l’habitude de cacher sous le tapis.
Alors que le mot « inclusion » était absent des recommandations de la HAS [Haute autorité de santé] de 2012 pour les enfants et adolescents autistes, c’est devenu, en peu d’années, le maître mot de la politique du handicap et même de la politique tout court.
Apprendre que son enfant est handicapé est un traumatisme très violent qu’on met longtemps à surmonter. Mon fils autiste a 33 ans et il m’arrive encore de rêver qu’il parle et se comporte normalement, qu’on s’est trompé, qu’il n’est pas autiste et que tout va bien. Quand je croise des jeunes de son âge qui sont en couple, s’embrassent, se sourient, cela me fait parfois encore mal de penser qu’il ne connaîtra pas ce bonheur tout simple.
Alors je comprends parfaitement que tous les parents de jeunes enfants handicapés tiennent absolument à ce que le leur aille à l’école ordinaire, qu’il suive la même voie que les autres enfants et qu’il ait la même vie. Et souvent ça marche, c’est bien plus difficile que pour les autres enfants mais beaucoup (en particulier les autistes Asperger et ceux qui souffrent d’un handicap corporel ou psychique) parviennent à supporter les contraintes de la classe et à étudier. Pour eux, la loi de 2005, qui a fait de la scolarité en milieu ordinaire un droit opposable, a été une chance inestimable.
Nous n’avons pas eu cette chance. L’aurions-nous saisie ? Je ne sais pas. À cinq ans, notre fils était terrorisé par les bruits, il ne laissait pas les autres s’approcher, il ne supportait pas le contact des vêtements, il n’avait pas la notion du vide et du danger, il passait des heures à se cogner le dos contre un mur ou un radiateur, il poussait des hurlements stridents qui nous déchiraient les tympans, et bien sûr il n’était pas propre, jouait avec ses excréments et en badigeonnait les murs. La réalité de l’autisme, c’est aussi cela, les politiques et les journalistes ne s’en rendent pas compte.
L’école aurait-elle été bénéfique pour lui ? J’ai du mal à le croire. La trop grande proximité des autres, les sonneries, l’agitation des récréations, lui auraient fait vivre un véritable enfer. Il n’était pas en état d’apprendre quoi que ce soit, avec ou sans le soutien d’une AESH [Accompagnants d’élèves en situation de handicap]. Il avait bien d’autres problèmes : avoir le sentiment d’exister, percevoir comme sien ce corps morcelé, ne plus être envahi par toutes ses perceptions internes comme externes, ne plus ressentir l’autre, sa présence, son regard, ses paroles, comme des intrusions insupportables.
L’école n’est pas en mesure d’apporter à un enfant souffrant d’un autisme sévère les soins dont il a besoin. Ce n’est pas sa fonction. Et les autres enfants ont aussi le droit de pouvoir étudier sans être constamment perturbés. La sœur et le frère de notre fils autiste avaient de leur côté le droit à l’école d’oublier un moment ce qu’ils vivaient quotidiennement à la maison.
Quand on refuse de tenir compte de ces réalités cela se termine toujours mal, le plus souvent par des plaintes des autres parents, des enseignants désemparés malgré toute leur bonne volonté et au final une exclusion brutale. Il n’y a alors plus de solution alternative car toutes les places en IME [Institut médico-éducatif] sont déjà prises et les listes d’attente sont très longues. C’est ainsi que des familles sont contraintes à l’exil en Belgique où, à côté d’excellentes institutions, des entreprises privées très lucratives les accueillent à bras ouverts. Les Belges les appellent « les usines à Français ».
Au 31 décembre 2019, 8 233 Français handicapés étaient encore dans des établissements belges (6 820 adultes et 1 423 enfants). Plus de 6 000 jeunes adultes souffrant d’un handicap mental sont maintenus dans un établissement pour enfants, faute de places dans des établissements pour adultes. Ils bloquent ainsi la possibilité d’accueillir plus de 6 000 enfants pour lesquels l’inclusion scolaire dans l’école de leur quartier s’est avérée une impasse.
Des milliers de familles désespérées sont encore sans solution satisfaisante malgré toutes les promesses et doivent garder à la maison leur enfant, parfois adulte depuis longtemps. Alors nous posons la question à tous les candidats à l’élection présidentielle.
Si le thème de l’inclusion scolaire n’est pas pour vous une simple occasion de polémique électoraliste, si vous vous intéressez réellement au sort de nos enfants, vous engagez-vous solennellement, au cas où vous seriez élu, à :
1. Créer en cinq ans les 15 000 places pour adultes dépendants qui nous font cruellement défaut ?
2. Créer tous les postes d’AESH nécessaires pour que chaque enfant handicapé pour qui c’est nécessaire puisse en disposer de la maternelle à l’université ?
3. Mandater un cabinet d’audit indépendant pour procéder, en concertation avec le ministère de l’Éducation et les associations d’usager et de professionnels, à une évaluation de la politique d’inclusion scolaire ?
– Quel pourcentage d’enfants handicapés admis en maternelle et en primaire acquiert le niveau requis pour entrer en 6e ? Affiner cette évaluation en fonction des différents handicaps et de leur sévérité ?
– Quels sont les prérequis pour que la scolarisation en milieu ordinaire soit profitable à un enfant ?
– Comment les acquérir quand l’enfant n’en dispose pas ? Avec quelles passerelles ?
– À quelles difficultés les enfants handicapés, leurs familles, les enseignants et les autres enfants sont-ils confrontés du fait de l’inclusion ?
– Qu’apporte aux autres enfants la rencontre avec des enfants handicapés ?
– Comment concilier la mission essentielle de l’école de transmission des savoirs avec les difficultés spécifiques des différents handicaps ? (…)
5. Revaloriser les métiers d’aide aux personnes dépendantes et, pour commencer, étendre aux professionnels du médico-social les avantages du Ségur de la santé (+ 183 euros par mois) ?
En ce début d’année 2022, nous faisons donc le vœu que tous les candidats à la présidentielle rendent crédible leur souci du bien-être des personnes handicapées et de toutes celles qui en prennent soin en s’engageant solennellement sur ces cinq points.