Par Guillaume d’Alançon
L’adhésion à une croyance s’appuie particulièrement sur des phénomènes d’ordre psychologique. Nous pourrions évoquer le besoin de sécurité au plan cognitif ou encore celui de faire corps avec une communauté humaine.
Dans l’ordre de l’attente religieuse, c’est la personne toute entière qui est impliquée, jusque dans son rapport intime au Logos, à la Vérité.
Lorsqu’un catholique se rend dans un monastère orthodoxe par amitié, qu’il essaie de découvrir ce que vivent les moines et partage avec eux le quotidien des offices, repas, travaux, récréations, il fait une expérience forte qui pourrait remettre en cause certains de ses enracinements.
En effet, si la semaine précédente, ce même catholique a séjourné dans un monastère catholique et a vécu à peu près les mêmes événements, son intelligence est soumise à un questionnement, sans doute pour une part d’origine psychologique, mais radical dans l’ordre du rapport à la vérité.
Rentré chez lui, il peut alors mesurer avec la distance nécessaire les écarts parcourus. Sans doute ne lui est-il pas demandé d’entrer dans une démarche sceptique, relativiste ou bien nihiliste, pour espérer comprendre ce qui s’est passé au niveau de son ressenti émotionnel et de son approche rationnelle. Une telle remise en cause serait inhumaine ou en tous cas contraire à une saine démarche de recherche de la vérité.
Toute croissance intérieure progresse de manière organique y compris sur le chemin de Damas, lorsque saint Paul est saisi vigoureusement par le Christ. De manière lointaine, Dieu l’avait préparé.
En effet, les différences entre les deux traditions sont suffisamment significatives pour provoquer en l’âme une secousse importante. Et c’est vrai dans les deux sens. Ne trouve-t-on pas, d’ailleurs, des orthodoxes qui deviennent catholiques et à l’inverse des catholiques qui basculent dans l’orthodoxie ? C’est le mystère de l’âme humaine et de ses connexions avec Dieu, de ses doutes, de ses attentes, de son péché aussi.
Nous pouvons nous interroger sur le primat actuel de la subjectivité sur ce qui est objectif, sur ce qui demeure, au sens johannique du terme. Aussi, le travail de la raison est-il essentiel si l’on veut chercher la vérité et demeurer avec elle en amitié profonde, sans oublier que la foi est un don de Dieu.
Cette dictature de la subjectivité se manifeste aussi chez certains catholiques par une fragmentation dans la conscience du bien et du mal. Le recours à la loi d’exception en ce qui concerne des points non négociables de la loi morale, au nom d’une vision erronée de la mission du pasteur, est en réalité de même nature que le rigorisme nominaliste qui consacre la capitulation de cette même conscience au bénéfice d’un code extérieur qui viendrait supplanter la responsabilité personnelle. On fait du cas par cas et l’on renvoie les gens à leur conscience parce qu’on ne sait plus où se trouve la loi morale. Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. Cette crise du magistère est une conséquence directe des schismes.
La tradition catholique recèle un document majeur en l’encyclique Veritatis Splendor, et il n’est pas surprenant que des théologiens orthodoxes en quête de cohérence doctrinale et morale nous aient confié se référer à ce texte majeur. C’est sans doute pour cela qu’elle fait l’objet d’une attaque vigoureuse de toute part et parfois même du dedans de l’Eglise catholique.
Parmi les freins qui retiennent ceux qui éprouvent un attrait pour une autre tradition, on pourra relever la peur de perdre pied dans un autre environnement social et culturel. Au fond, ce qui est intéressant, c’est d’évaluer de quel ordre est cet attrait. Est-il nourri par des phénomènes d’ordre psychologique ou est-il plus profond, convoquant à la même table, foi et raison ?
En ce qui concerne la foi et la raison, la tradition catholique est allée très loin, et cela a commencé peu après la grande rupture de 1054. Notons qu’aujourd’hui, dans le monde orthodoxe, les références dogmatiques se rattachent essentiellement au premier millénaire chrétien. En effet, la tradition doctrinale byzantine s’est comme figée à cette période regardant comme suspect tout corpus doctrinal postérieur.
Dans l’Eglise catholique, on continue toujours de proclamer des dogmes, sporadiquement sans doute, mais c’est un fait. L’exégèse historico-critique de la fonction pontificale effectuée par les non-catholiques ne peut en aucun cas relativiser les 1000 ans de l’Eglise indivise reliée à Pierre. Les écrits des Pères du premier millénaire et parmi eux des martyrs, en sont la preuve.
Les divisions, les excommunications mutuelles ou la recherche de leadership des grands patriarches, révèlent en négatif un besoin de primauté. Une question sous-tend ce constat : sur quelle base scripturale et traditionnelle peut-on s’appuyer pour affirmer que la primauté pontificale est une invention politico-religieuse latine et non fondée dans les textes des Pères et des Saintes Ecritures ? Cette question est essentielle car elle dépasse les blessures de l’Histoire, elle surplombe l’horizontalité des débats contradictoires. En d’autres termes, elle nous met en prise directe avec la Parole du Christ.
Les faits historiques indiquent que la mission du successeur de Pierre, Vicaire du Christ, est la clef de voûte de l’Eglise militante unie. Sans doute, les faits le prouvent aussi, cette primauté pontificale n’a pas toujours été harmonieuse ; des tendances, des mouvements de balancier ont pu faire tanguer la barque.
Les orthodoxes reprochent aux catholiques de renoncer souvent à la grande tradition latine. Ils nous le disent. Et ils ont tellement raison. Ils nous en veulent d’avoir sacrifié le rapport sincère à la vérité au bénéfice d’un oecuménisme mondain sans grands effets. Et ils ont raison. Pourquoi n’entendons-nous pas cet appel qu’ils nous lancent ? Ils attendent de nous que nous soyons ce que nous sommes… “Si le sel n’est plus du sel, avec quoi salera-t-on ?” interroge Jésus.
Au nom de la diplomatie, d’une conception déviante de la charité, nous prenons souvent le parti de ne pas assumer la vérité nue de l’Evangile, la doctrine catholique. “Je ne suis pas chargé de vous le faire croire mais seulement de vous le dire” affirme paisiblement sainte Bernadette Soubirous… Si cette humble paysanne ose avec le peu de théologie dont elle dispose, pourquoi n’oserions-nous pas ? Quel respect humain nous retient ? Le souci de plaire, d’être aimé ? Mais n’y a-t-il pas plus digne d’être aimé que la vérité dans sa beauté, dans sa pureté, dans sa lumière ? Et nos contemporains qui cherchent le bonheur, qui meurent de ne pas rencontrer la lumière, pourquoi manquons-nous tant de charité à leur égard ?
Au soir de notre vie, nous serons face à Dieu. Nous serons nus sur la cendre et le cours de notre vie repassera devant nos yeux. Nous assisterons impuissants au film de notre existence. Si nous n’avons pas pris conscience de notre mission d’annoncer l’Evangile à temps et à contretemps, par notre vie mais aussi par nos paroles, il sera bien tard. Rappelons-nous la parabole des vierges sages et des vierges folles. Alors, n’hésitons plus, levons-nous et allons.
Si le venin de la division, élixir diabolique composé à base d’orgueil et de mensonge, s’est accentué significativement entre Orient et Occident il y a mille ans. Il continue de passer dans nos cœurs comme un poison mortel. C’est la raison pour laquelle, un vieux moine bénédictin, contemplant ce qui demeure, a pris la plume pour écrire à un orthodoxe. Et sa lettre commence ainsi :
« Cher frère, cher Père,
J’ai laissé jaillir, tout en suivant quelques documents anciens. C’est une contemplation de l’œuvre de Dieu, que les divisions venant des hommes ne peuvent atteindre en elle-même ni ne doivent faire oublier… »
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Seule l’expérience de la pauvreté radicale, celle du Christ, peut nous disposer à recevoir en plénitude le don de la foi. Retrouvons-le dans la paille de la crèche et sur les chemins de Galilée, lorsqu’il n’avait point de pierre où reposer sa tête. C’est alors que, crucifié avec lui, nous verrons la lumière et notre joie sera parfaite.