Dans Valeurs Actuelles, le père Danziec ose le parallèle entre la Rome pontificale et le festival de Cannes :
Festival de Cannes oblige, parlons cinéma. Ben-Hur en 1960. Spartacus en 1961. Les Canons de Navarone en 1962. Lawrence d’Arabie en 1963. Le cinquième film à recevoir le Golden Globe du meilleur film dramatique au début de ces années 60 n’a pas bénéficié, hélas, de la même postérité. Trop oublié aujourd’hui, il s’agit pourtant de l’adaptation du célèbre roman éponyme d’Henry Morton Robinson : Le Cardinal, fresque cinématographique de quasiment trois heures. Des Etats-Unis à l’Autriche gagnée par le nazisme, en passant par le Vatican de l’époque du pape Pie XII, le spectateur suit le destin d’un prêtre américain, brillant et charismatique, tout dévoué à son ministère pourtant traversé d’épreuves et de doutes notables, jusqu’à son élévation au cardinalat. Au-delà de l’intrigue et de l’intérêt psychologique du film, il n’y aurait qu’à revoir, ou découvrir, Le Cardinal pour mesurer ce que put proposer l’Eglise d’il y a soixante en matière de piété, de liturgie, de faste et de décorum.
Polémique et vieille dentelle ?
Pourquoi ces lignes ? Tout simplement parce qu’une petite polémique, comme seuls les réseaux sociaux savent les générer, a surgi il y a quelques jours à propos de Léon XIV. En visite le 20 mai dernier à la basilique Saint-Paul-hors-les Murs, auprès du tombeau de l’Apôtre des Nations, le pape y délivrait un message des plus catholiques – qui s’en étonnerait ? – sur la nature exigeante du salut, fondé notamment sur le combat spirituel, l’obéissance et la fidélité à la grâce. Loin du « On ira tous au paradis » de Polnareff, le successeur de Pierre préférait indiquer à son auditoire que « le salut ne vient pas par enchantement ». Mais ce qui mit le feu aux poudres chez certains, fut une photographie du nouveau pontife prise à l’occasion de cet événement. Installé sur le trône papal, vêtu de sa mosette rouge et de l’étole brodée d’or représentant saint Pierre et saint Paul, le Souverain Pontife offre le sentiment d’être isolé et de régner en majesté. Suffisant pour taxer Léon XIV de rupture avec son prédécesseur.
Ane portant les reliques
Dans un long et intéressant post sur X intitulé Le pape Léon XIV offre une formidable leçon d’humilité, le journaliste Paul Sugy soulignait le paradoxe de la situation. La verticalité manifeste du décorum pontifical n’est pas incompatible avec une sobriété du cœur. On reçoit la tradition en s’abstenant de s’en faire le juge. Cette « simplicité du cœur », on peut la résumer comme le « consentement à se fondre dans quelque chose de plus grand que soi et qui n’est plus à sa mesure ». A cet égard, il y a davantage de prétention à vouloir réformer les formes et les usages, au prétexte de les épurer au nom d’une modestie d’apparat, que de les accepter humblement comme un héritage qu’il s’agira de transmettre intact. On connaît la formule de Thibon : « Vouloir être de son temps, c’est déjà être démodé ». Dit autrement, une Eglise qui épouserait son époque est assurée de devenir veuve à la suivante.
L’humilité, les maîtres spirituels l’enseignent, ne consiste pas à “faire petit”, ou encore à “se faire petit”, mais bien plus profondément à “se savoir petit”. « Ombre et poussière » dira Proximo à Maximus dans Gladiator. L’âne de la fable, portant des reliques et croyant que les coups d’encensoir lui reviennent, n’est pas humble mais sot. De même, un monarque le serait tout autant s’il refusait les marques d’honneur dues à sa fonction en pensant qu’on les lui adresse à son nom propre. « L’habitude moderne de faire les choses cérémonielles sans cérémonie n’est pas une preuve d’humilité, écrit Clive Staples Lewis ; elle prouve plutôt l’incapacité du contrevenant à s’oublier dans le rite, et son empressement à gâcher pour tous les autres le plaisir propre du rituel ». A fortiori pour un rituel patiné par des siècles de prières et de sainteté.
« Il n’y a pas plus de présidence normale qui tienne que de pontificat horizontal qui vaille. »
A chaque messe, le pauvre prêtre que je suis reçoit dans la sainte liturgie des marques de révérence que nul dans le monde ne saurait plus bénéficier. Agissant in persona Christi, je peux témoigner combien ces usages liturgiques réclament, justement, pour le célébrant de s’oublier et de s’effacer derrière l’action sacrée. Disons-le, il n’y a pas plus de présidence normale qui tienne que de pontificat horizontal qui vaille. Jean-Pierre Denis, ancien rédacteur en chef de La Vie et dont on peut saluer la liberté de parole, analysait les premiers gestes de Léon XIV de la façon suivante :
« La papauté est obligée de reprendre un peu de distance, de remettre de la verticalité et même, horreur, de la subtilité. Elle doit opposer de la ritualité à la viralité, de la sacralité à la banalité, de la méditation à la transgression. »
L’hypocrisie des mondains rend aveugle. La véritable incohérence m’apparaît ailleurs. Sur la croisette, l’ascension des marches du tapis rouge du Festival de Cannes charrie chaque année son lot de robes de haute-couture, plus ou moins réussie. L’argent comme le champagne coulent à flots. Blin-bling et faste se tiennent la main. On prend la pose et l’on guette les flashs. Les tenues se différencient entre le jeudi et le samedi. Les marques se disputent les originalités, quand ce ne sont pas les outrances. Qui donc pour fustiger une telle mauvaise foi ? Décidément, les tartuffes ont changé de robe.
Ne représentant qu’eux-mêmes, professionnels du cinéma se permettent piqures de moraline et leçons politiques quand le public ne demande qu’à être ému par le septième art. A l’image du peuple des fidèles qui ne demande qu’à se laisser saisir par les signes et les symboles : une pompe liturgique au service des yeux, du cœur et de l’âme.