Jean-François Chemain, docteur en Histoire, auteur du livre Une autre Histoire de la laïcité paru en 2013 aux éditions Via Romana, écrit dans Le Figarovox :
"L'afflux de centaines de milliers de réfugiés dans nos pays est peut-être l'occasion pour nous de remettre ces événements dans une juste perspective religieuse.
On peut tout d'abord noter cette évidence que, dans leur immense majorité, ces migrants viennent de pays musulmans, et que nombre d'entre eux fuient les violences perpétrées par l'islam radical. […] On pourrait se demander s'il y a un lien entre islam et violence, aller, par exemple, voir dans le Coran s'il s'y trouve quelque lancinant appel à la violence contre telle ou telle catégorie de population – les juifs, les chrétiens, les incroyants – mais c'est un tabou sévèrement protégé par les gardiens de la bienséance intellectuelle.
On peut ensuite compléter cette interrogation primordiale par une autre: qui accueille ces réfugiés, qui s'y refuse? Bien sûr, les pays les plus proches – Turquie, Liban, Jordanie – en reçoivent, du mieux qu'ils peuvent, des centaines de milliers. Mais on voit bien que des flux massifs se dirigent vers l'Europe, qui leur fait, globalement, un accueil correct. […] Les frontières des riches pays du Golfe restent en revanche hermétiquement fermées, en toute bonne conscience. […]
L'arrivée dans nos pays de culture chrétienne de flux de populations musulmanes ne va cependant pas sans poser des questions. Qu'en sera-t-il, dans l'avenir, des valeurs «républicaines», des droits de l'Homme, de la Laïcité, qui doivent tant, même si beaucoup refusent de l'admettre, à quinze siècles de christianisme? Il n'est quand même pas difficile de constater que ces principes, dans le monde, sont avant tout respectés dans les pays de tradition chrétienne occidentale (avec bien sûr des exceptions, mais à force de vouloir toujours et à tout prix nier les règles à cause des exceptions, on sombre dans le déni d'évidence).
Il n'est, en revanche, pas bien compliqué de constater que les pays de culture musulmane ne sont en général pas les champions de la démocratie, des droits de l'Homme, du respect des minorités religieuses… Ce n'est pas un jugement de valeur, c'est un fait. […]
Donc ceux qui posent la question, ceux qui s'inquiètent, ont parfaitement raison. Ils ont d'autant plus raison que nous nous trouvons, je crois, dans un pays démocratique, où la liberté de penser existe, où le débat est légitime. Montrer du doigt le président Orban, ou les Danois, ou les maires français qui ne veulent accueillir que des réfugiés chrétiens, les condamner moralement, avec des accents de catéchistes, comme on le fait un peu partout, n'est pas de mise dans une démocratie: ils ont le droit de le faire, ils en ont même le devoir en tant que citoyens, en tant qu'élus responsables et soucieux du bien commun. Cet accueil ne va pas de soi et pose de réelles questions, d'énormes problèmes. Si c'est le devoir des Eglises d'appeler à un accueil généreux, c'est celui des dirigeants politiques d'en débattre, en conscience, sans perdre de vue l'intérêt des populations dont ils ont la responsabilité. Voilà la Laïcité.
Il y a, selon moi, une réelle atteinte à cette Laïcité quand un gouvernement s'empare de principes chrétiens, qui sont les miens, pour en faire, sans débat, des impératifs politiques absolus, à la manière de M. Macron qui déclarait tranquillement que la question est trop grave pour qu'on tienne compte de l'opinion du peuple et des sondages. L'Evangile nous invite certes à accueillir l'étranger, mais cette invitation est personnelle, elle s'adresse à la conscience de chacun, en fonction de ses capacités, de ses moyens, de «là où il en est», avec pour sanction le Salut dans l'Au-Delà. Il n'a jamais été question, pour le Christ, d'en faire des impératifs politiques, collectifs, absolus, indiscutables, au péril de la paix sociale, comme le font aujourd'hui nos dirigeants, avec l'appui de nos médias.
Si je me réjouis que mon pays accueille des réfugiés, y compris non-chrétiens, j'aimerais que cela fasse réellement débat, que l'on ne porte pas de jugement moral à l'emporte-pièce sur ceux qui émettent des réserves et posent de vraies questions, que l'on mesure toutes les conséquences politiques et sociales à long terme d'une telle décision. Que les politiques, en un mot, cessent de se prendre pour des curés, eux qui se gardent, bien évidemment, de reconnaître publiquement tout ce que leurs louables réflexes de solidarité doivent à cette vieille religion chrétienne envers laquelle ils ne manifestent jamais assez de mépris.
Comme quoi un cléricalisme peut en cacher un autre."