Professeur de Lettres, Gérard Bedel vient de publier un ouvrage sur le cardinal Pie, évêque de Poitiers, né en 1815, élu évêque en 1849 et mort en 1880. Au XIXe siècle, dans une société qui cherchait à se libérer des droits de Dieu, quelques voix s'élevèrent pour en rappeler la légitimité et la nécessité, et la sienne fut la plus belle. Porte-parole de l'infaillibilité du pape au concile du Vatican, ce grand prélat apparaît comme le précurseur de saint Pie X qui s'inspira beaucoup de son oeuvre et repris sa devise Omnia instaurare in Christo. Défenseur du règne social de Notre-Seigneur, au sein d'un pays qui reniait son identité et ses fondations, le cardinal Pie a laissé une oeuvre qui nous intéresse encore aujourd'hui.
Dans son instruction sur l'urgente nécessité de l'aumône, écrite en 1854, il aborde un sujet d'actualité :
"La fin de tous les gouvernements de la terre, a dit Bossuet, c'est de rendre la vie commode et les peuples heureux. A plus forte raison, sont-ils tenus de contribuer à la subsistance des citoyens moins aisés par les moyens légitimes qui sont à leur disposition. Mais ce serait nous tromper grossièrement nous-mêmes, de croire que nous avons accompli le précepte évangélique de l'aumône quand une ordonnance administrative a prélevé sur les fonds de l'Etat, ou sur les ressources particulières d'une province ou d'une ville, une somme quelconque à répartir entre les pauvres pour leur rendre plus accessibles les aliments de première nécessité. Outre l'insuffisance bien démontrée de semblables secours, il est un point de la plus haute gravité qu'il importe de ne jamais perdre de vue, c'est que la substitution absolue de l'aumône publique à l'aumône individuelle serait la destruction complète du christianisme, et l'atteinte la plus considérable au principe de la propriété. Le christianisme n'existe pas sans la charité ; et la distinction fondamentale entre la charité et la justice, c'est que la dette de justice est celle qui peut être exigée ou par le recours aux lois, ou par le recours à la force, selon les circonstances, tandis que la dette de la charité ne peut être commandée par aucun tribunal que par celui de Dieu et de la conscience. Or, si l'assistance à donner aux pauvres devient une des charges du fisc, dès lors l'assistance ne procède plus de la charité, mais de la justice, puisque la contribution fiscale est une dette rigoureuse des citoyens. Et l'histoire nous apprend, à cet égard qu'un des plus grands malheurs qui puisse fondre sur une nation, c'est que la charité y perde son véritable caractère, et qu'une cruelle nécessité, résultant de l'affaiblissement de la foi religieuse et de la rejeté de l'aumône volontaire, la dénature et la transforme en impôt forcé. Car, dès lors tout le plan providentiel de Dieu est renversé. L'aumône n'étant plus libre, ne procédant plus d'un mouvement du coeur, perd à peu près entièrement son mérite devant Dieu, et ne devient plus pour le riche le canal de la grâce divine et l'instrument le plus assuré de son salut. Mais l'aumône ainsi faite cesse aussi d'être méritoire aux yeux de ceux qui la reçoivent. Bientôt ils murmureront les mots de droit à l'assistance, de droit au travail. Le lien d'amour qui rattachait le pauvre eu riche étant rompu, tout sentiment de reconnaissance disparaît. La pauvreté devient une sorte de fonction publique, moins rétribuée que les autres, mais qui attend fièrement l'échéance de son traitement…"