En lisant
les Satires de Juvénal (auteur latin
du IIème siècle ap. J. C.), il apparaît que la Rome impériale s'est transformée
en une ville gigantesque, monstrueuse scène de théâtre remplie de bouffons qui
s'ignorent et d'aigrefins ; en bref, c’est un véritable lupanar. Juvénal ignore tout du politiquement
correct et n’hésite pas à décrire sans gêne les mœurs dépravées de
certains de ses contemporains
SATIRE
II
M’enfuir d’ici jusque par-delà les Sarmates et l’Océan
glacial, ah, que ne puis-je ! Chaque fois qu’ils osent parler de moeurs,
ceux qui posent aux Curius et mènent la vie comme une bacchanale ! Ce sont
des gens incultes tout d’abord, bien que chez eux le plâtre de Chrysippe frappe
partout les yeux ; car la suprême
élégance pour eux, c’est d’acheter un portrait d’Aristote ou de Pittacos, c’est
de mettre sur leur bibliothèque un Cléanthe de première main. Ne jugez pas sur
la mine. Quel quartier n’abonde en polissons à l’air grave ? Tu prétends
châtier les pratiques honteuses, toi, alors que parmi les débauchés socratiques
tu es l’égout le plus notoire ? Certes, la peau de tes membres qui pique,
les soies rudes de tes bras promettent une âme inflexible ; mais de ton
anus épilé, le médecin en riant tranche de grosses excroissances. Ces gens-là
parlent peu, ils ont un goût prononcé pour le silence, avec les cheveux plus courts que les sourcils. Il y
a encore plus de sincérité ingénue chez Péribomius ; c’est la faute des
destins, si cet homme avoue son mal sur sa physionomie, dans son allure. Des
hommes de cette sorte ont une franchise pitoyable, c’est leur passion même qui
doit leur valoir indulgence : bien pires sont ceux qui vitupèrent contre
de telles pratiques avec des mots d’Hercule et, tout en parlant de vertu,
tortillent le derrière. «Tu ressembles à un chien remuant la queue, Sextus, et
j’aurais pour toi de l’estime ?» dit l’infâme Varillus : «En quoi
est-ce que je vaux moins que toi ?» (…)
Aucun exemple aussi détestable dans notre sexe. Média
ne caresse pas Cluvia, Flora ne caresse pas Catulla : tandis qu’Hispo se livre aux jeunes gens, il est pâle de l’un et de
l’autre excès. (…) Ici plus de
pudeur dans les mots, aucun respect de l’autel ; ici toute licence comme
aux mystères de Cybèle, toute liberté de parler à voix d’eunuque. C’est un
vieillard fanatique qui tient le rôle du prêtre, rare et mémorable modèle
d’ample gosier, avantageux à engager comme professeur. Qu’attendent donc ces gens-là pour livrer au couteau, selon le mode
phrygien, un appendice devenu inutile ? (…) O protecteur de la ville, comment les pâtres du Latium sont-ils devenus
de tels sacrilèges ? Comment, Gradivus, pareil prurit s’est-il emparé de
tes petits-fils ? II se livre à un homme, cet homme de haute naissance,
cet homme riche, et tu n’agites pas ton casque, tu n’ébranles pas la terre de
ta lance, tu ne te plains pas à ton père ? Alors va-t’en, rends-nous
le Champ – austère qui ne t’intéresse plus. – «J’ai des devoirs à rendre
demain, dès le soleil levant, dans le vallon de Quirinus.» – «Quels
devoirs ?» – «Tu poses la question ? Un de mes amis se marie et n’invite que quelques privilégiés.» Vivons
quelque temps encore et voilà ce que nous verrons, voilà ce qui se fera
publiquement, ce qu’on voudra coucher sur des actes officiels. Pour le moment,
un tourment accable de tels mariés : ils ne peuvent enfanter et, par là,
retenir leurs maris. Mais quoi ! la nature ne modèle pas les corps sur ces
âmes nouvelles : nos «mariées» meurent stériles, elles n’ont rien à
espérer de Lydé la grosse mère, armée de sa boîte à médicaments, elles offriraient
vainement la paume des mains à l’agile luperque. En bien, ces horreurs ont été
dépassées.
(…) Mais ce qui se fait maintenant dans la
ville du peuple victorieux, nos vaincus, eux, ne le font pas. Il n’y a qu’un
Arménien, l’unique Zalacès, le plus efféminé de tous les éphèbes, à s’être
livré, dit-on, aux feux d’un tribun. Ah, les fructueux échanges ! Nous
recevons des otages, nous en faisons des hommes. Car si ces garçons jouissent
d’un séjour assez long dans Rome, il arrivera qu’il n’y ait plus assez d’amants
pour eux. Ils enverront promener braies, poignards, le frein et le fouet. Et
voilà comment on rapporte à Artaxata les moeurs d’adolescents corrompus.
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