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« Face à la rue » : l’attente d’un homme qui serait à la politique ce que fut un Don Camillo pour sa paroisse

« Face à la rue » : l’attente d’un homme qui serait à la politique ce que fut un Don Camillo pour sa paroisse

Dans Valeurs Actuelles, le père Danziec revient sur l’émission de CNews, « Face à la rue » :

Il y avait le Face à la Une du milieu des années 90. L’émission politique phare de TF1 présentée par Patrick Poivre d’Arvor ou Claire Chazal. On se souvient, dans un autre style, du Face à la mer, véritable tube du duo Calogero / Passy au milieu des années 2000. Plus récemment, l’émission Face à l’info continue de tenir toutes ses promesses, avec puis sans Zemmour. Ses remplaçants n’y sont d’ailleurs pas pour rien. Charlotte d’Ornellas, ma consœur, faisant profiter les téléspectateurs de ses indéniables talents de pédagogue en même temps que de son assurance décomplexée de femme de droite. Mathieu Bock-Coté offre de son côté aux fidèles de l’émission, par son incroyable capacité d’analyse et la puissance de son verbe (habité par ce jubilatoire accent québécois qui participe de son charme), un éclairage qui n’étonnera pas ceux qui le suivaient depuis longtemps, depuis ses livres surtout.

Une émission à l’audience record

Après tout ces Face à…, place désormais à un concept original, télévisuel et journalistique : Face à la rue. Lundi dernier, cette nouvelle création de la chaîne CNews, avec le présentateur Jean-Marc Morandini à la baguette, a permis au canal 16 de la TNT de réaliser un énorme succès d’audience, un record même pour cette tranche horaire (10h30-12h). Plus d’un demi-million de téléspectateurs ont suivi la déambulation de l’essayiste Éric Zemmour dans les rues de Drancy. Sur le parcours, différentes étapes jalonnaient l’émission. Rencontre avec une femme voilée, dialogue avec un repris de justice à la double nationalité franco-algérienne, passage dans une boucherie hallal, entretien avec des responsables associatifs, échange avec un responsable de syndicat de police, débat avec un militant LGBT, confrontation avec un orateur de la France Insoumise : tout était réuni pour un petit cocktail de punchlines et de propositions chocs. Certains regretteront un scénario artificiel. Pourtant, au-delà d’une mise en scène nécessairement préparée pour préserver le fil du déroulement de l’émission, les rencontres avec les personnes de la rue, impromptues et sur le vif, elles, ne trompent pas.

L’attente souterraine d’un homme qui serait à la politique ce que fut un Don Camillo pour sa paroisse

Ces rencontres inopinées, dans un style semblable, façonnent la vie sacerdotale. Le prêtre, pourvu qu’il porte un signe distinctif, et a fortiori qu’il revête la soutane, laisse rarement indifférent. Avec son col romain, le voici, lui aussi, « face à la rue ». Mais pour sa part, au quotidien. A chacune de ses sorties, il fait face à un monde essentiellement différent du sien. « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups » (Luc 10, 3).  « Parce que vous n’êtes pas du monde, et que je vous ai choisi du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait » (Jean 15, 19). Alors, oui, irrésistiblement, la soutane interpelle, dérange ou questionne. Toujours elle suscite l’interaction, le dialogue, l’échange. Parfois viril. Mais presque toujours profitable. Le prêtre, cette espèce en apparente voie de disparition, quand le rencontre-t-on ? Rarement, c’est juste. A un baptême, parfois. A un mariage, occasionnellement. Lors d’une cérémonie d’obsèques, éventuellement, pourvu que la famille ait réussi à éviter que ce soit des laïcs qui s’en chargent. Mais si, hélas, trop peu de personnes ont l’occasion de voir un prêtre, le prêtre, lui, a l’occasion de voir du monde.

L’atout apostolique du ministère sacerdotal se mesure précisément à sa correspondance avec la vie évangélique du Christ lui-même : affronter la rue. L’homme de Dieu qui, à l’image de Jésus et ses apôtres, va visiter tous et chacun, ceux dont la vie semble lisse comme ceux dont le parcours est cabossé, riches et moins riches, pêcheurs et docteurs, saintes femmes et prostituées, celui-là connaît les palpitations de la société. Face à la crise religieuse ou au désintérêt politique, certains voudraient réinventer l’Eglise, comme d’autres souhaiteraient supprimer les sondages ou le suffrage universel pour l’élection présidentielle. Foutaise ! Modifier le paradigme des défis à venir pour mieux dénouer les problèmes du présent constitue une terrible lubie à laquelle on ne tordra jamais suffisamment le cou. Les âmes ont besoin de prêtres à la Don Camillo comme les citoyens ont besoin de responsables politiques authentiques. Ou pour mieux dire, l’audimat impressionnant de l’émission Face à la rue avec Éric Zemmour montre chez le peuple français l’attente souterraine d’un homme qui serait à la politique ce que fut un Don Camillo pour sa paroisse. Un élu qui s’intéresse à leurs problèmes parce qu’il connaît leur réalité. Non pas en jouant au pauvre ou au sans-grade, mais en allant sur leur terrain. Les défis pastoraux et les enjeux politiques possèdent des registres semblables : écouter les cœurs pour mieux leur offrir les secrets de la grâce, mesurer les inquiétudes de la base pour mieux lui faire profiter des trésors d’un empirisme organisateur. L’un et l’autre se trouveront ajustés par l’expérience des âmes ou celle de l’Histoire.

Les Français aiment la religion comme la politique. Pourvue qu’elles sonnent vraies.

A l’heure où l’Eglise en France a perdu de sa superbe et où l’image du prêtre se trouve gravement abîmée, le besoin de trouver chez l’homme de Dieu une oreille attentive ne faiblit pas. Bien sûr, l’indifférence religieuse a gagné du terrain mais, depuis que je porte la soutane, je peux témoigner de la propension des gens à se confier au prêtre que je suis. Partout et en tout lieu. Malgré tout ce que l’on entend sur le clergé – ou tout ce que certains s’attachent à généraliser à son sujet – la masse des gens voit dans le curé celui à qui on peut tout dire sans prendre le risque d’être jugé. Comme s’il existait chez le peuple un bon sens quasi invincible à voir dans le prêtre cet homme bon et bienveillant, prêt à dire des vérités qui dérangent mais toujours en vue de son bien – tel Monseigneur Myriel, le bienfaiteur du bagnard Jean Valjean ou l’abbé Pierre, le veilleur de l’hiver 54.

Ecouter une certaine bien-pensance affirmer que le succès d’Éric Zemmour relèverait d’une bulle médiatique artificielle serait amusant si cette même bien-pensance n’avait de cesse de taxer de complotistes ceux qui fustigent leur OPA intellectuelle sur le monde de la culture depuis plus d’un demi-siècle. Au-delà des idées du candidat putatif, l’audience de l’auteur de La France n’a pas dit son dernier mot, ses salles pleines et les milliers de vues de ses interventions sur internet attestent que les Français aiment, au fond, la politique. Ils l’aiment quand elle se rapproche de leur quotidien. Quand elle met des mots sur leurs maux. Et quand elle leur propose, après le mythe du vivre-ensemble et l’échec du côte à côte, d’éviter un face-à-face explosif et meurtrier. Un Face à… dont, ici, personne ne veut voir le succès.

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