En cinq jours, Emmanuel Macron, l’homme-orchestre de la lutte contre le coronavirus s’est adressé deux fois solennellement aux Français à ce propos, les 12 et 16 mars et s’essaie à prendre les habits du chef de guerre.
Son vocabulaire semble tout d’un coup bien différent de celui de ses discours habituels :
- Aux orties la « république », si fréquemment invoquée. Elle n’est citée que deux fois, une fois à la fin de chaque discours (Vive la République, vive la France). Service définitivement minimum.
- Bienvenue à la Nation, citée 10 fois de façon positive : « Je compte sur vous parce que le Gouvernement ne peut pas tout seul, et parce que nous sommes une nation».
- Même le mot France n’est plus un gros mot : il est cité 14 fois, également de façon positive : « La France est à pied d’œuvre » ; « Pour réveiller ce qu’il y a de meilleur en nous, pour révéler cette âme généreuse qui, par le passé, a permis à la France d’affronter les plus dures épreuves ».
- Aux orties les fameuses valeurs, invoquées généralement ad nauseam. Le mot valeur n’est cité qu’une fois et, en plus, en association avec le mot Nation : « C’est cela, une grande Nation. Des femmes et des hommes capables de placer l’intérêt collectif au-dessus de tout, une communauté humaine qui tient par des valeurs : la solidarité, la fraternité ».
- Quant aux incantatoires « je crois » et surtout « je crois très profondément», noyés, disparus.
Voilà même qu’Emmanuel Macron en viendrait presqu’à instaurer une sorte de préférence nationale (ce à quoi, pour être honnête, on ne croit pas une seconde) :
« Nous sommes en guerre. J’appelle tous les acteurs politiques, économiques, sociaux, associatifs, tous les Français [NDLR : tiens, pour une fois, il a oublié de citer les Françaises. Pas bien, çà] à s’inscrire dans cette union nationale qui a permis à notre pays de surmonter tant de crises par le passé »
et, le 16 mars :
« Pour la vie économique, pour ce qui concerne la France, aucune entreprise, quelle que soit sa taille, ne sera livrée au risque de faillite. Aucune Française, aucun Français, ne sera laissé sans ressources ».
Bon, on ne va pas se plaindre. Et même, pourvu que ça dure.
Mais Emmanuel Macron reste prisonnier de sa doxa européiste. Les frontières n’existent qu’européennes. Philippe de Villiers décrit parfaitement le postulat sous-jacent avec la qualité particulière de son style :
« la France est le seul pays au monde qui aura jusqu’au bout refusé de rétablir ses frontières, au nom du refus de ce qu’Emmanuel Macron vient d’appeler le « repli nationaliste ». Aujourd’hui, tous les pays européens, y compris l’Allemagne, ont rétabli leurs contrôles aux frontières. Seule la France se préoccupe de sauver le « soldat Schengen ». C’est dire la puissance de l’idéologie, quand on préfère les morts du coronavirus à la vérité protectrice. Les belles âmes du « Nouveau Monde » à l’agonie préfèrent encore avoir tort avec le coronavirus que raison avec les souverainistes. Quoi qu’il arrive, il ne s’agit pas, selon eux, de sauver les malades, il faut sauver l’idéologie… Le « Nouveau Monde » continue à désigner la frontière comme le mal absolu, mais on a bien été obligés d’inventer ce qu’on appelle les gestes-barrière. Or, qu’est-ce qu’un geste-barrière ? Une frontière entre individus. Et puis on invente les “clusters”. Qu’est-ce qu’un “cluster” ? Une frontière. Et puis on invente le confinement. Le confinement du Haut-Rhin, le confinement du Morbihan. Qu’est-ce que le confinement du Haut-Rhin ? Le confinement d’un département. Tiens tiens ! Les frontières départementales sont le bien, les frontières nationales sont le mal. C’est une curiosité épidémiologique pour les chercheurs d’après-demain ».
Donc, M.Macron a décidé de fermer les frontières mais européennes. Celles-là même que, depuis plusieurs années, avec constance et à la hauteur de ses moyens, le Hongrois V.Orban cherche à défendre, en étant vilipendé y compris par M.Macron. Allez y comprendre quelque chose !
De même, si la notion de souveraineté refait surface, c’est, dans la transcription officielle du discours du 12 mars, uniquement associée à l’Europe :
« Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine [NDLR : donc, au singulier], une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main ».
Et Emmanuel Macron n’hésite pas à réécrire l’histoire pour justifier son propos :
« Nous devons aujourd’hui éviter le repli nationaliste. Ce virus n’a pas de passeport. Il nous faut unir nos forces, coordonner nos réponses, coopérer. La France est à pied d’œuvre. La coordination européenne est essentielle, et j’y veillerai… Nous aurons sans doute des mesures de contrôle, des fermetures de frontières à prendre, mais il faudra les prendre quand elles seront pertinentes et il faudra les prendre en Européens, à l’échelle européenne, car c’est à cette échelle-là que nous avons construit nos libertés et nos protections ».
Comme si l’Europe était pour quelque chose dans l’histoire de la conquête des libertés françaises, dans celle de la force de dissuasion nucléaire du pays et dans la capacité à combattre le coronavirus. Ca se saurait !
La dernière touche, peut-être la plus inquiétante est la phrase :
« Nous sommes en guerre. Toute l’action du Gouvernement et du Parlement doit être désormais tournée vers le combat contre l’épidémie ».
Toute l’action du gouvernement, vraiment ? Cela fait penser au célèbre dessin de Jacques Faizant paru un mois de mai des années 1970 : un Japonais faisait la litanie de tous les jours fériés et de tous les ponts en France. Le dessin se terminait par le même Japonais qui poussait un tonitruant Banzaï. On ne sait pas comment se dit Banzaï en turc mais on voit bien le Turc qui pousse ce cri aujourd’hui..
Philippe Bilger, le 17/03/2020 dans son blog, faisait preuve de mansuétude vis-à-vis d’E.Macron –et c’est vrai que la situation est particulièrement complexe :
« J’ai eu l’impression qu’énonçant cette évidence que le coronavirus et la lutte féroce et consensuelle pour l’éradiquer allait profondément nous changer et changer la France, le Président ne nous mentait pas quand il soulignait à quel point il serait lui-même le premier à être métamorphosé. Comme s’il avait pris conscience, s’appréhendant avec un regard neuf tout alourdi par le souci des Français et de leur intégrité, qu’il convenait de quitter les rives de la start-up aussi républicaine qu’elle soit pour s’immerger, enfin, dans une humanité dont la sienne devait être solidaire ».
Peut-être.
Il reste que ce qui ressort peut-être le plus cruellement de ces adresses, c’est que E.Macron n’est sans doute pas un chef ; et il n’est pas sûr qu’il ait le sens de l’autorité. Avec l’indication première découlant de la longueur de ses discours auxquels certains disent ne pas comprendre grand-chose : 3500 mots le 12 mars, encore 2600 le 16 mars. Le général de Gaulle, dans son discours du 30 mai 1968 après son escapade régénératrice à Baden-Baden, n’a utilisé que 460 mots.
Yvan Rioufol a peut-être le mot de la fin (provisoire) dans son blog, le 18 mars :
« En réalité, l’idéologie macronienne, virevoltante et ouatée, n’est pas préparée à affronter le tragique de l’histoire ».