Après son brillant essai sur le « pari bénédictin », que nous avions évoqué notamment ici et là, Rod Dreher développe dans un nouvel ouvrage une réflexion pour répondre au totalitarisme soft occidental. Suite à de nombreux témoignages de dissidents du système soviétique, il constate que l’Occident verse à son tour dans un totalitarisme qui ne dit pas son nom, plus proche du monde d’Huxley que d’Orwell. Sans goulag ni tortures physiques, mais dans un version ‘douce’, avec mises au ban, politiquement correct imposé jusque dans l’entreprise, matraquage idéologique en faveur de la culture de mort, au point que nos libertés s’amenuisent petit à petit. Pas d’interdiction officielle d’opinion, pas de déploiement d’un État policier, mais l’émergence insidieuse d’une tyrannie douce qui, sous l’égide d’un credo progressiste, annihile tout esprit critique et paralyse jusqu’au plus indépendant des libres penseurs. Qu’est-ce que le soft totalitarisme ? Comment l’homme moderne en vient-il à renoncer à sa liberté d’expression et aux lumières du bon sens ? Pourquoi l’Occident est-il gagné par la novlangue et la réécriture de l’histoire ?
Le journaliste américain place le chrétien devant le vertige des temps d’aujourd’hui et de demain et l’appelle à la foi profonde, à la résistance familiale, à la soif de la vérité, seules à même de fissurer les fantasmes d’une époque qui nous infantilise et nous noie dans les paradis artificiels.
L’Occident moderne est une société pré-totalitaire décadente. L’atomisation sociale, la solitude omniprésente, la montée de l’idéologie, la perte de confiance généralisée dans les institutions, entre autres, le rendent vulnérable à la tentation totalitaire à laquelle la Russie et l’Allemagne ont succombé au siècle précédent.
En outre, les élites intellectuelles, culturelles, universitaires et corporatives sont sous l’emprise d’un culte politiquement classé à gauche construit autour d’une prétendue “justice sociale”. C’est une idéologie ouvertement illibérale qui a un nombre alarmant de points communs avec le bolchévisme, y compris la division de l’humanité entre le camp du bien et celui du mal. Cette pseudo-religion, qui semble répondre à un besoin de sens et de morale dans notre société post-chrétienne, cherche à rétablir la justice en diabolisation, excluant et même persécutant tous ceux qui résistent à ses dogmes implacables.
Enfin, l’adoption et la promotion par les grandes entreprises de valeurs sociales progressistes et l’émergence du “capitalisme de surveillance” – l’extraction des données individuelles collectées par des appareils électroniques et dictée par l’impératif commercial – préparent l’Occident à accepter une forme locale du système de crédit social à la chinoise. Nous sommes conditionnés à abandonner notre vie privée et nos libertés politiques en échange du confort, de la commodité et d’une harmonie sociale qui nous est artificiellement imposée.
Comment résister à ce rouleau compresseur ? L’auteur du pari bénédictin montre plusieurs pistes, qui ont fait leurs preuves : dire la vérité et refuser le mensonge, cultiver la mémoire culturelle, protéger la famille, cette cellule de résistance à l’Etat Léviathan, approfondir et vivre sa foi, rester solidaires de nos communautés. La famille constitue certainement le noyau culturel qu’il faut chérir :
Pour Maria Komaromi, enseignante catholique à Budapest, “ce n’est pas un hasard si toutes les dictatures essaient toujours de briser la famille, car c’est dans la famille que vous trouvez la force de combattre. On se sent épaulé, prêt à aller par le monde et à affronter tout ce qui se présentera. C’était vrai sous le communisme et ça l’est tout autant aujourd’hui.”
Quant à la liberté d’exercer la religion, elle ne se limite pas au précepte de la messe dominicale :
Krčméry, mort en 2013, fut l’une des figures majeures de la résistance anticommuniste slovaque. Lors de son dernier procès, les procureurs communistes le traitèrent de menteur pour avoir affirmé que les Tchécoslovaques ne jouissaient d’aucune liberté religieuse. “Personne ne vous défend d’aller prier à l’église, si ?” le raillaient-ils – une pique que les chrétiens conservateurs entendent souvent aujourd’hui de la part de chrétiens progressistes. Krčméry retourna leur accusation contre eux. Il répondit que le Christ ne se satisfaisait pas du simple fait que les croyants aillent à l’église, mais qu’il voulait que les croyants vivent pour lui en tout temps et en tout lieu.