Non, le carême n’est pas le “ramadan des chrétiens”. Néanmoins, le jeûne commence par la nourriture. Yves Daoudal relate une dérive persistante depuis la réforme post-conciliaire dans la façon d’appréhender le carême :
[…] On leur rebat les oreilles avec les propos des prophètes sur le jeûne qu’agrée le Seigneur, qui est de s’abstenir des péchés et de ce qui conduit au péché. Quand un prophète dit que le jeûne que veut Dieu est un jeûne moral, cela ne remplace pas, mais suppose au contraire le jeûne corporel. Nous sommes des êtres corporels. Si nous rejetons le signe corporel, ce qu’il signifie n’est qu’une illusion. Une collecte des Quatre-Temps le dit très clairement :
Præsta, quǽsumus, Dómine, famíliæ tuæ supplicánti : ut, dum a cibis corporálibus se ábstinet, a vítiis quoque mente ieiúnet. Per Dóminum.
Accordez, nous vous le demandons, Seigneur, à votre famille qui vous en supplie, que comme elle se prive corporellement d’aliments elle s’abstienne aussi spirituellement des vices.
Saint Bède le dit aussi en peu de mots :
« Le jeûne, en un sens général, consiste à s’abstenir non seulement des aliments, mais de tous les plaisirs charnels ; bien plus, à se défendre de toute affection au mal. Pareillement, la prière, en un sens général, ne s’entend pas seulement des paroles par lesquelles nous invoquons la clémence divine, mais aussi de tous les actes que nous accomplissons avec la dévotion de la foi pour servir notre Créateur. »
On n’apprend pas à prier sans apprendre d’abord des paroles, on n’apprend pas le jeûne spirituel sans passer par le jeûne corporel.
Jésus lui-même disait aux pharisiens qui paient la dîme sur la menthe et l’aneth et laissent de côté ce qui est le plus important dans la loi : la justice, la miséricorde et la foi : « il fallait faire ces choses-ci, et ne pas omettre celles-là. » Et il y a des démons qui « ne sortent que par la prière et le jeûne ». Et quand Jésus dit que lorsqu’on jeûne il ne faut pas se faire une mine décomposée, cela suppose… qu’on jeûne.
[…] Tous les pères de l’Eglise ont célébré les bienfaits de l’indispensable jeûne corporel. Ils ont été magistralement résumés dans la Préface qui est chantée à toutes les messes traditionnelles du Carême : Qui corporáli jejúnio vitia cómprimis, mentem élevas, virtútem largíris et prǽmia : toi qui par le jeûne corporel réprimes les vices, élèves les âmes, procures la force et la récompense. […]
C’est pourquoi l’abbé Amar propose sur ce site de remettre le jeûne au goût du carême :
Ils sont étonnants ces musulmans qui jeûnent, sans rien manger ni boire, pendant toute la journée durant le mois du Ramadan ! Evidemment, cela interroge les chrétiens sur la manière de faire leur Carême… quelquefois de façon tellement spirituelle qu’il ne reste plus grand chose d’ascétique ! Ecologie oblige, le jeûne est pourtant devenu assez tendance ces dernières années : « jeûne thérapeutique », « jeûne et randonnée », « remise en forme par le jeûne ». Allez consulter les revues de santé en tout genre et vous serez surpris de la promotion en faveur de cette pratique plurimillénaire à laquelle le Judaïsme, et dans son sillage la toute première Église, ont donné un sens spirituel et religieux.
40 jours de jeûne. Pour de vrai. Oui, vous avez bien lu. 40 (quarante) jours !
Comme Moïse. Comme Jésus. Enfin presque.
Pour ceux qui le souhaitent, nous proposons cette année une formule originale : faire Carême pendant le Carême ! Une expérience inédite qui consiste à vivre ce que la grande tradition de l’Eglise a proposé depuis l’origine : 40 jours de jeûne. Pour de vrai. Oui, vous avez bien lu. 40 (quarante) jours. Comme Moïse. Comme Jésus. Enfin presque. Car Jésus n’a rien mangé. Or, la grande tradition du jeûne catholique ce n’est justement et absolument pas le jeûne intégral.
Pourquoi jeûner ?
Disons-le : ce monde n’aime pas le jeûne et les jeûneurs sont souvent des gêneurs… Tout simplement parce qu’ils contestent silencieusement la loi totalitaire du désir qui est le ressort le plus puissant de notre société marchande. Voici pourtant trois bonnes raisons de vivre le jeûne catholique :
– Expérimenter le manque pour ouvrir l’âme au désir de Dieu. L’objectif visé n’est donc ni l’exploit, qui est une possible source d’orgueil, ni la souffrance qui amoindrit notre être quand elle n’est pas remplie d’amour. L’objectif est un plus d’attention et d’ouverture à l’autre : Dieu et mon prochain. Lorsque j’accepte un manque je me découvre dépendant : de Dieu et de sa parole d’abord, mais aussi des autres.
– Combattre le péché. Le jeûne peut également nous enseigner la modération des nombreux autres appétits qui habitent en nous. Attention, ils ne sont pas mauvais en soi ! Mais, mal intégrés (c’est le rôle de la vertu de tempérance), ils peuvent conduire à commettre le mal. Car si nous apprenons à renoncer à manger lorsque nous avons faim – dans certaines limites bien entendu ! – nous découvrirons qu’il est possible de renoncer aux péchés. En ce sens, le jeûne est une ascèse du besoin et une éducation du désir. Il nous amène à accepter de ne pas avoir tout, tout de suite et par quelque moyen que ce soit.
– Progresser dans la vertu et acquérir une plus grande liberté intérieure. En vivant unis avec le Christ, notre modèle, qui a jeûné au désert, nous ne vivons pas une sorte de grève de la faim pour faire plier Dieu. Car c’est plutôt Dieu qui nous permet de nous faire plier nous-mêmes, pauvres êtres ligotés à des dépendances dont nous sommes trop souvent complices. Finalement, le jeûne est la correction d’un jeu de rôle : à ce « moi-moi » sans cesse affirmé et revendiqué, il appelle un « Toi-Toi » : le Dieu d’Amour et de miséricorde qui attend que nous lui fassions un peu plus de place pour mieux agir en nous.
Comment jeûner ?
Et si nous vivions enfin un authentique et généreux carême, en allant plus loin que les privations de chocolat ou d’Internet ? Pendant quarante jours, décidons de ne prendre qu’un seul repas par jour avec une collation le matin et le soir. Celle du matin pourrait être un simple bol de lait / café / thé accompagné d’une tranche de pain. Le soir, nous redécouvririons (à la maison comme dans les dîners chics) la vertu du « souper » : un simple potage et sa tranche de pain. Bien sûr, toute la journée, eau à volonté… […]