Le père Danziec écrit dans Valeurs Actuelles :
Les bougies sur les gâteaux ont beau rajouter de leur lumière, il y a malgré tout du terrible dans les anniversaires : ils nous vieillissent. Passé même un certain âge, ils nous rappellent que l’on a dépassé le sommet du toboggan de la vie et que l’essentiel est désormais derrière nous. Après avoir gravi les échelons de l’existence, il n’y a plus d’autre choix que de redescendre. A l’image de nos avis d’imposition, qui chaque année se manifestent à notre bon souvenir sans jamais nous oublier, chaque bougie supplémentaire, avec fidélité, éclaire de mieux en mieux le sablier qui s’écoule. C’est ainsi. C’est même sans doute la vocation des anniversaires. Nous rappeler, malgré nos multiples fuites ou nos aveuglements, que le temps passe, irrémédiablement.
La visite au domicile d’une veuve, vénérable de 93 ans, m’a cependant montré cette semaine que toute règle souffre des exceptions. Il se trouve en effet des anniversaires qui ne rident pas les âmes. Mieux encore, j’appris auprès d’elle que la mémoire de certaines dates est en mesure de rajeunir les cœurs. Cet après-midi-là, ma confidente du moment portait le poids de ses ans comme un écolier son cartable, c’est-à-dire avec peu d’enthousiasme, mais en me racontant ses souvenirs du 6 juin 1944 elle tenait davantage de l’amie à qui l’on ne donne pas d’âge. Quant à moi, lors de cette rencontre, je n’avais plus trente ans. J’étais un enfant à qui l’on raconte une histoire. La regarder me parler de cette nuit qui lui parut bien courte, évoquer en sa compagnie ce jour dont on dit qu’il fut le plus long, cela valait plusieurs manuels d’Histoire. Plus qu’une leçon sur le passé, c’était un voyage dans le monde d’avant. Et cet exercice de mémoire, on pourrait dire de piété, elle l’effectuait avec une joie rayonnante. Au point de sembler lui redonner les traits de ses dix-huit ans. Assurément, partager un repas avec quelqu’un d’un autre temps fait partie des richesses du ministère du prêtre. Les richesses étant faites pour être partagées, je me disais intérieurement que prendre le temps d’écouter ses anciens, entrer dans leur histoire pour mieux s’approprier celle avec un grand « H », devrait être le passage obligé de tous les élèves au risque qu’ils deviennent des déshérités. Ceux-là même dont François-Xavier Bellamy parle avec talent dans son livre éponyme.
Faire mémoire. Se souvenir. N’est-ce pas en fin de compte l’occasion d’une ascension ? Une prise de hauteur qui offre de contempler les avancées réalisées. Une mise en perspective qui, parfois, permet de mesurer la pente descendue. La vie dure à la campagne en période d’occupation, l’éducation au sacrifice, l’héroïsme des soldats alliés, le sens des responsabilités furent autant de sujets abordés avec mon hôte. Ils devinrent autant de points propres à nourrir ma méditation. Force est de constater que, souvent, l’essentiel est derrière nous. Cet essentiel, il faut simplement y revenir assidûment, et avec sagesse, afin de le faire fleurir à nouveau dans notre présent. Pourvu que l’on sache se laisser guider dans le passé. Faire mémoire, après tout c’est ce que fait le prêtre tous les jours en célébrant la messe. Il sait que l’Essentiel est derrière lui. Cette conviction profonde, chevillée à son âme, il s’attache à la faire germer quotidiennement. Armé de cette certitude, il peut aborder le futur avec intelligence. Le seul avenir qui vaille pour le baptisé, c’est celui qui consiste à rester fidèle à l’enseignement qui date du Christ.
Sur le chemin du retour, dans ma voiture, les nouvelles de la radio proposaient un reportage sur les lycéens qui choisissent de marcher pour le climat chaque vendredi. Je repensais en écoutant les voix de ces élèves à ma nonagénaire au verbe clair, vibrant et engageant que j’avais eu le plaisir d’écouter auparavant. Je repensais à la jeunesse offerte sur les côtes normandes du 6 juin 1944. Quitter son pays pour débarquer sur une plage inconnue sous le feu d’une mitraille, cela a quand même bien plus d’allure que d’abandonner les bancs de son lycée pour manifester dans une rue voisine en pensant sauver la planète.