Face au délitement de la France, le Père Danziec appelle, dans Valeurs Actuelles, à redécouvrir les fondements de la Cité :
Certaines revanches exhalent un parfum de victoire. Lorsque Patrick Buisson affirme face à Apolline de Malherbe que la Tribune des Généraux signe la mort des idéaux de Mai 68, il y a de quoi jubiler. Quand on porte en bandoulière l’amour de son pays, et celui de la civilisation chrétienne qui l’a fait naître, quelle revanche ! Oui, quelle revanche pour tous ceux qui se sont vus calomniés, discrédités et rejetés au motif qu’ils se refusaient à hisser le drapeau rouge comme tout le monde. Quelle revanche lorsque les faits vous donnent raison, aujourd’hui, après avoir épinglé, hier, dès leurs origines, les lubies de la matrice marxiste. Selon l’artisan du virage à droite de Sarkozy en 2007, le texte des militaires
« est un événement considérable, et sidérant le sondage qui a suivi [58% des Français d’accord avec le fond du texte ; 49% des sondés favorables à une intervention de l’armée, même en dehors de toute consigne gouvernementale]. Cette tribune, et la réaction à cette tribune, marquent la fin d’un cycle, le cycle de Mai 68. On a enterré Cohn-Bendit la semaine dernière. Personne ne s’en est aperçu, mais on l’a enterré. »
Le mouvement dextrogyre est-il cependant véritablement arrivé à cet aboutissement heureux ? Il n’est pas interdit de laisser Patrick Buisson nous en convaincre.
« Quand Syracuse est prise, Archimède est égorgé et tant pis pour le théorème »
Il faut dire que l’actualité récente offre une série noire sachant pianoter sur la gamme qui va de l’ensauvagement au terrorisme en passant par le délitement de la justice. Violences et tirs de mortier dans le XIXe arrondissement à Paris. Assassinat du policier Éric Masson en fin d’après-midi à Avignon. Egorgement d’une fonctionnaire à Rambouillet au cri d’Allah Akbar. Mère de famille brûlée vive en pleine rue à Mérignac par Mounir B., mari multirécidiviste. Devant un tel chaos, on mesure combien le logiciel de Mai 68 se trouve dans l’incapacité d’offrir des solutions. Pire, on distingue mieux encore combien cette révolte anti autoritaire, révolte contre le père et les repères, a pu conduire inexorablement la société aux graves difficultés actuelles. Aux dires de Simone Weil dans son ouvrage L’Enracinement, « le premier besoin de l’âme humaine, c’est celui de l’ordre ». Si nous devions nous persuader d’une telle vérité, il n’y aurait qu’à contempler l’aspiration profonde des français face à la décomposition : le retour d’une authentique discipline sociale conjointe à une autorité, légitime et exemplaire.
Cette aspiration à l’ordre relève non seulement du besoin, mais aussi du nécessaire. Parce que le social, par nature, contient toujours une part de décevant, l’ordre est nécessaire pour édifier ces fameux “espaces de paix et de sociabilité” selon l’expression charmante de l’historien Pierre Chaunu. La manière d’organiser la Cité ne consiste donc pas tant à bâtir le Paradis sur terre mais plutôt à travailler à ce que l’enfer déborde le moins possible. La Cité représente le terrain de jeu du moindre mal. Elle est, dans la pensée d’Aristote, l’horizon indépassable de la vie des hommes. Urbanité. Civilité. Politesse. On remarquera l’origine frappante de ces termes qui expriment une tendresse particulière. Cette tendresse des hommes entre eux, ce respect, cette discipline, cette éducation prennent racine au sein d’un univers protecteur que dessine l’urbs, la Cité, la polis. Telle est la condition humaine : pour se conserver, s’élever et se sublimer, les hommes ont besoin du secours mutuel les uns des autres. A cet égard, il ne fait aucun doute que la société compte pour la personne humaine parmi les trésors les plus précieux. Que de bienfaits matériels, moraux, culturels, éclos dans le berceau que forme la Cité, permettent l’épanouissement plénier de ses membres. Charles Maurras, avec la précision de l’analyste, observait ainsi :
« Si les saints peuvent prier en paix et les sages travailler avec fruit, c’est que l’épée guerrière, menée par le sceptre des rois, a déterminé autour d’eux la zone où ces occupations sublimes restent possibles. Quand Syracuse est prise, Archimède est égorgé et tant pis pour le théorème. »
Délitement de la Cité en présentiel, transmission du savoir en distanciel
L’ensauvagement témoigne, hélas avec force, d’une Cité dont les fondements se trouvent mis à l’envers. La vie théorétique, si chère aux philosophes grecs, est prise en sandwich, jusqu’à l’étouffement, entre “le pain et les jeux”. Comment favoriser la vie de l’esprit quand la jeunesse assiste en présentiel au délitement de la Cité et en distanciel à la transmission de son savoir ? Car de quel renversement parlons-nous ? Les zones de non droit n’en finissent plus de se reproduire. La violence remplace la force, l’arbitraire se substitue à la justice, les caïds font office de responsables. Comme remèdes à ce déclin, les conditions essentielles définies par Ernest Renan pour constituer un peuple n’ont pas la priorité. Au lieu de rappeler « nos gloires communes dans le passé » et d’affermir « une volonté commune dans le présent », les héritiers de 68 font le choix de déconstruire l’Histoire et de monnayer la tranquillité sociale au prix d’une vision aseptisée des rapports humains, le “vivre-ensemble”.
Il y a un peu plus de cinquante ans, le pape Pie XII rappelait que de la forme donnée à la société conforme ou non à l’Evangile, dépend et découle le bien ou le mal des âmes et des hommes. Partant de là, il insistait sur ce sentiment de responsabilité collective de tous pour tous qui incombe aux hommes de bonne volonté, et aux chrétiens en particulier. S’investir dans la Cité, travailler au Bien Commun, ce n’est pas seulement lutter contre la médiocrité générale des conditions publiques. C’est aussi prendre conscience que nous sommes des débiteurs insolvables. Depuis la parabole de l’enfant prodigue, on aurait compris qu’un héritage, cela ne se dilapide pas.
La piété filiale, remède contre la barbarie
Jean Ousset, dans son essai Les fondements de la Cité (DMM), s’est attaché à présenter les repères politiques solides sur lesquels peuvent s’appuyer ceux qui ont la noble tâche de l’organisation de la société. Déjà, l’auteur prévenait :
« Quelle déchéance menacerait les personnes des générations à venir si, dans la patrie, une tradition d’égoïsme, de lâcheté, de veulerie, de couardise, d’esprit de jouissance immédiate, venait à s’établir, au mépris du culte que l’on doit à la mémoire de ceux qui moururent pour la Cité. »
Cette piété filiale fonde au premier chef nos rapports humains en société et garantit l’intégration plénière de ceux qui s’y agrègent. Pourvu seulement qu’ils la partagent.
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