Vincent You, adjoint au maire d’Angoulême et vice-président de Grand-Angoulême a écrit à François Fillon le 11 mars pour défendre la fameuse clause Molière :
"Monsieur le Premier Ministre,
Comme vous le savez, la méthode que j’ai mise en place pour protéger les ouvriers et soutenir l’emploi local est aujourd’hui au coeur de plusieurs polémiques. La « Clause Molière » est en effet soutenue par 6 Régions, 5 Départements et de nombreuses villes, tant et si bien qu’elle manifeste un dynamisme local et des résultats que ni le gouvernement ni l’UE ne peuvent supplanter. J’ai bien vu que certains membres éminents LR émettaient des réserves voire des critiques. Comment s’en étonner alors que cette méthode touche en profondeur certains aveuglements dont notre pays s’accommode depuis bien longtemps ? Je crois justement que votre décision sur le soutien à la Clause Molière peut être porteuse de messages politiques forts.
1/ Tant qu'il y aura un avantage financier à faire venir un travailleur qui paye des charges ailleurs, nous serons dans une logique européenne qui n'a d'autre nom que le dumping social. Le principe suivi par la Commission de « travail égal, salaire égal » ne saurait faire abstraction des charges sociales sans quoi le détachement de travailleur restera une méthode pour encourager précisément le « moins disant social ». C'est une logique assumée par certains, qui pensent que l’UE doit provoquer les changements que l’on ne souhaite pas faire en France. J’ai trouvé dans votre campagne suffisamment de clarté pour que vous puissiez éviter d’accepter une telle dérive.
2/ L'argument de la réciprocité est malvenu car il laisse penser que les 200 000 travailleurs français détachés à l'étranger sont soumis aux risques des chantiers où se croisent de nombreux corps d'état. En réalité, d'une certaine manière, les Français de Londres appliquent déjà la clause Shakespeare… mais peu travaillent sur des chantiers ! Par contre, je ne vois pas pourquoi, s'il devait y avoir un ouvrier français en Hongrie, on devrait accepter qu'il travaille sans comprendre les règles de sécurité du lieu où il est. De manière plus globale, il n'y aura pas d'Europe sociale équilibrée tant que l'on considérera les travailleurs comme des pions et les ouvriers comme des robots. Agiter le chantage à la réciprocité n’est qu’une façon d’oublier que nos emplois peu qualifiés sont très peu détachables. Si des Français sont aujourd’hui détachés ailleurs, c’est davantage pour profiter de leurs compétences de cadres ou d’experts que pour minimiser les coûts sociaux d’ouvriers. Les emplois peu qualifiés d’un secteur non délocalisable devrait provoquer une attention particulière de nos élus. Nous devons cesser de dire que la seule solution est aujourd’hui de perdre nos emplois d’ouvriers pour maintenir les emplois de nos cadres que les entreprises européennes s’arrachent. C’est un jeu de dupes. Il s’agit toujours du même aveuglement politique qui consiste à ne pas voir que la mondialisation actuelle ne profite pas à nos classes populaires. Refuser de céder à ce chantage est donc une vraie politique de justice sociale.
3/ Exiger que des ouvriers comprennent les risques et puissent parler à leurs collègues serait, selon certains, une atteinte aux valeurs fondamentales de l'Europe… c'est un peu oublier que la directive n'existe que depuis 1996 et que Robert Schuman n'avait pas construit le Traité de Rome de 1957 sur la base de la course au "moins disant social". Je crois pour ma part que l'évolution de l'UE est le coeur du problème et qu'il est désormais urgent d'en refaire un pôle de civilisation qui défende ses valeurs, plutôt que de les brader, qui protège ses travailleurs et tourne le dos à la sacralisation d'une supposée concurrence libre et non faussée que nous sommes les seuls au monde à souhaiter. Si les valeurs européennes sont en jeu, c’est pour les retrouver non pour les enterrer !
4/ La Clause Molière ne prétend pas tout résoudre. Si elle reçoit le soutien très marqué des professionnels du BTP qui connaissent la réalité des chantiers, c'est parce que ce qui est en jeu c'est la considération que l'on porte au travail des ouvriers. On ne peut pas travailler sereinement sur un chantier sans parler à ses collègues, on ne peut pas être plombier sans devoir comprendre ce que dit l’électricien à côté. Le travail humain n'est pas transférable par un coup de baguette magique. Il nécessite une équipe, des échanges, une compréhension commune des risques et une confiance. Il n'y a pas deux catégories d'ouvriers: ceux de chez nous et ceux que l'on fait venir pour payer moins cher et gagner le marché sans se soucier de ce qu'ils comprennent ou non. La « Clause Molière » est un choix de responsabilité qui consiste à refuser désormais de casser les prix de nos marchés aux dépends des ouvriers. Il s’agit de payer le juste prix, notamment parce que c’est de l’argent public. On en peut plus accepter que des hôpitaux se construisent, avec les fonds de la sécurité sociale, avec des entreprises qui payent leurs charges sociales ailleurs. Sauver la sécurité sociale c’est commencer par lui maintenir des recettes. Cette course vers le gouffre doit cesser, les Français le comprennent très bien !
J’espère que vous ne céderez pas à ceux et celles qui vous poussent à fermer les yeux sur ces réalités qui sont au coeur de nos territoires. Le redressement de la France ne se fera pas sur le dos de nos ouvriers et PME. Le travail détaché même légal reste un Munich social et politique. C’est pourquoi s’y opposer n’a rien d’un repli nationaliste. Je vous remercie de manifester votre soutien aux élus courageux qui font honneur à notre pays et réclament que la loi française traite les ouvriers des chantiers comme les infirmiers et les médecins : en prenant en compte les risques de leur métier avant de permettre leur installation en France.
Si vous le souhaitez, Monsieur le Premier Ministre, je suis à votre disposition pour répondre à toutes vos questions."
Il n'a pas encore reçu de réponse. En attendant, vous pouvez soutenir cette clause ici.