De Marion Duvauchel :
Le général Dubois s’est exprimé récemment sur le site Boulevard Voltaire. Et je suis bien d’accord avec lui : les trois mesures du Président Macron sur le séparatisme islamiste reviennent à « beaucoup de bruit pour rien », autrement dit à du vent. Mais parmi ces annonces, il en est une qui pourrait changer largement la donne si elle était appliquée : c’est la suppression des ELCO (enseignements de langue et de culture d’origine).
Or, Général, ces ELCO ne sont pas un mystère du tout. Même que le 13 février 2016, la ministre de l’Éducation, Mme Belkacem de funeste mémoire, en annonçait le renforcement, de ces enseignements « mis en œuvre sur la base d’accords bilatéraux prenant appui sur une directive européenne du 25 juillet 1977 visant à la scolarisation des enfants des travailleurs migrants », avec pour objectif « de valoriser les langues étrangères à l’école ». Ils concernent neuf pays : trois pays méditerranéens de culture chrétienne, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et deux pays d’Europe de l’Est, la Croatie et la Serbie, qui n’ont jamais posé le moindre problème d’intégration ou en termes plus modernes : de communautarisme. Ce sont évidemment les quatre pays musulmans l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie qui mettent en émoi. Et on commence à le dire aujourd’hui même dans la presse autorisée: ce sont les Turcs qui ont été les plus prosélytes dans l’usage de ces dispositifs.
La formule fut lancée en 1980. Dès les années 1985, les cours de LCO relevant de pays du monde musulman passaient pour être le lieu d’une dérive anti-laïque. En 1995, les critiques fusaient, exprimées par des experts et responsables des questions de l’immigration. Le premier répertoire de ces critiques se trouvait en 1985 dans le rapport de Jacques Berque, (islamologue alors réputé et auteur d’une traduction fort poétique du Coran), critiques reprises et accentuées lors des polémiques qui avaient entouré l’« affaire des foulards » à l’automne 1989. Des aménagements techniques avaient été préconisés, que l’on retrouvait pour une part dans le rapport Hussenet en 1990, ainsi que chez les partenaires étrangers du dispositif.
Des personnalités du monde universitaire avaient mis en garde et même récusé ces enseignements. Jacques le Goff, éminent médiéviste, défendait le pragmatisme du Conseil d’État et s’il plaidait pour un aggiornamento de la laïcité il appelait à des « mesures drastiques contre d’autres violations de la charte scolaire ». Et ces violations étaient déjà nombreuses. Olivier Roy, spécialiste des mouvements islamistes de l’Asie centrale et plus largement de la politisation de l’Islam, s’exprimait déjà sur les risques d’une communautarisation des musulmans en France et assurait que des acteurs disparates y concouraient, entre autres des prédicateurs islamistes, souvent étrangers, agents d’un « néo-fondamentalisme » qui posaient des demandes telles que de la nourriture hallal dans les cantines, des dispenses pour les filles dans certaines activités scolaires si elles étaient mixtes, des rythmes quotidiens aménagés pour rendre possibles les prières, etc. Appartenaient à cette catégorie les enseignants de LCO » (le sigle d’alors).
C’était en 1990… Il y a donc trente ans.
Lorsque la ministre Belkacem voulut réactiver le dispositif on pouvait lire dans un texte officiel qu’un programme commun de langue arabe avait été élaboré ». J’ai cherché ce programme, et je ne l’ai jamais trouvé. Quelle « langue arabe » enseignait-on et enseigne t-on depuis plus de trente ans dans le cadre de ces ELCO ? Et quelle langue arabe M. Jack Lang, qui ne rate pas une occasion de se rendre ridicule, veut-il promouvoir ? On aimerait bien le savoir.
L’arabe classique est au Maroc la première langue « étrangère » enseignée à l’école. Personne ne le parle chez soi, ce qui rend les discours du roi, les débats au Parlement, les audiences dans les tribunaux, les informations à la télévision incompréhensibles pour les analphabètes, ou tout simplement ceux qui ne parle que le dialecte local. Enseigner l’arabe classique ce serait comme faire en France du latin la langue officielle. Les Marocains des villes parlent la darija, le dialecte national, avec ses multiples variantes locales, assemblages rudimentaires d’arabe, de français, d’amazigh et d’espagnol qui fait qu’un Marocain est si rarement compris lorsqu’il parle la langue « arabe » au Moyen-Orient (Ali Amar, Mohammed VI, le grand malentendu, Calmann-lévy, 2009, pp. 327-328). Dans ce contexte, l’arabe classique est un instrument de domination sur le peuple marocain et il est probable que la situation soit comparable en Algérie comme en Tunisie (avec la présence plus massive de l’amazigh des Berbères).
Qui trouve urgent d’apprendre la langue pour lire Al-Ta’âlibi, Al-Fârâbî ou Ibn Khaldoun ?
S’il s’agit de l’accueil de migrants, que fait-on des Afghans (il y a plus de quarante langues en Afghanistan), que fait-on des Soudanais, des Libyens ? Que fait-on des Syriens, qui parlent eux aussi l’arabe ? Va t-on élargir le dispositif ? Cela est impossible puisqu’il est fondé sur des accords politiques. Les Syriens chrétiens, nul ne l’ignore, ont trouvé asile dans les pays limitrophes. Pendant la guerre en Syrie, la France a royalement accordé 2000 visas à ces chrétiens d’Orient, au compte-gouttes, pendant qu’elle ouvrait grand ses frontières aux migrants musulmans, (djihadistes compris). Ils sont allés sans aucun doute enrichir les dispositifs des ELCO.
Lorsque Belkacem voulut renforcer les ELCO, on pouvait lire ceci :
« Aujourd’hui, ce sont des enfants qui ne sont pas locuteurs natifs de la langue concernée et s’intègrent progressivement dans l’offre d’enseignement linguistique ».
Outre une syntaxe défaillante, cette prose unique impliquait pour qui sait lire que demain les enfants de France auraient à choisir entre l’offre d’enseignement du serbe, de l’arabe ou du français. On était donc parfaitement en droit d’en déduire que l’objectif était en réalité de promouvoir l’enseignement de la langue et la culture « arabe ». Que je sache, la communauté serbe ne pose pas de souci majeur d’intégration.
Les enseignements de langue et de culture d’origine concernent principalement le premier degré. C’est dans ce cadre qu’un brevet des collèges a été mis en place, avec un enseignement de culture arabe, jamais analysé. Face à ce brevet auquel la magie d’une appellation « brevet international » a conféré un cachet prestigieux, le brevet français fait désormais pâle figure. Lorsque ces mesures nouvelles ont été dénoncées, on a vu apparaître alors des brevets de vietnamien, et même de japonais. Mais aucun programme n’a été publié pour aucun de ces brevets. Car, faut-il le rappeler, un brevet spécifique implique un programme et des enseignants capables de l’assumer et de le transmettre.
Nous le savons, la culture arabe ne se dissocie pas de la religion musulmane. A terme, ces ELCO étaient (et sont sans doute toujours) destinés aussi à l’encadrement idéologique des locuteurs natifs. Autrement dit, aux enfants qui ne sont pas issus de l’immigration. Le vœu de Mme Belkacem n’était rien d’autre que de promouvoir une arabisation et une islamisation des enfants maghrébins pour commencer avant d’élargir aux enfants français
Il n’y a rien de mystérieux dans ces dispositifs, Général.
Depuis quarante ans, cet enseignement n’a fait que renforcer la terrible dissociation dans laquelle les enfants de l’islam (ou de l’islamisme pour les puristes) vivent : entre une religion puritaine qui exclut la raison et la liberté de conscience, et une éducation nationale dont le prétendu apprentissage de l’esprit critique n’enveloppe plus qu’une propagande étatique qui vise le contrôle des esprits. Cette dissociation génère une violence dont nous pouvons aujourd’hui mesurer l’ampleur.
Supprimer les ELCO est une urgence absolue. Il y a donc gros à parier que rien ne sera fait et que cette annonce n’est que l’expression renouvelée de l’impéritie absolue de ce gouvernement et de son Président.
Lorsque M. Blanquer a pris ses fonctions, il s’est bien gardé de poser la question des ELCO. Mme Belkacem avait pris des mesures idéologiques totalement folles. M. Blanquer s’est contenté de transformations pédagogiques.
Ce fut tout aussi désastreux.
Supprimer ce dispositif fonctionnerait par ailleurs comme un solide signal à l’endroit des pays musulmans qui ont ainsi conditionné la jeunesse musulmane, et ce, à un âge où elle est encore extrêmement perméable.
Il faut donc imposer à M. Macron le respect de sa parole. Qu’il supprime les ELCO.