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Histoire du christianisme

Gentil ne signifie pas conciliant : saint Pierre Canisius

Gentil ne signifie pas conciliant : saint Pierre Canisius
D’Aurelio Porfiri, éditeur et écrivain catholique italien, pour le Salon beige:
Ces dernières années de la vie ecclésiale ont certainement permis de recentrer le débat sur l’indispensable union entre miséricorde et justice. Pour certains, la miséricorde semble presque devenue une catégorie à part, comme si elle avait un sens absolu, détaché des exigences de la justice. En réalité, ce n’est pas le cas, car la miséricorde sans la justice n’a pas de sens.
Un saint qui m’invite à réfléchir sur ce thème est le Néerlandais Pierre Canisius (1521-1597). Très jeune, il fut attiré par la vie contemplative chez les Chartreux, mais il décida ensuite d’entrer dans une toute nouvelle congrégation religieuse, celle des Jésuites. Il fut l’un des dix premiers Jésuites à prononcer ses vœux. C’était un érudit des Pères de l’Église et il participa au Concile de Trente en tant que théologien. Ce concile fut l’un des plus importants pour la réforme de l’Église à une époque troublée par la révolution initiée par le moine augustin Martin Luther.
Saint Ignace demanda à Pierre Canisius d’être actif un certain temps en Italie, puis plus longuement en Allemagne, où il travailla dans le monde académique, auprès des malades et en tant que premier supérieur de la province allemande. Le cardinalat lui fut proposé par le pape Pie V, mais il refusa cette offre, préférant rester au service de ses fidèles en tant que simple prêtre. Ses catéchismes, largement diffusés, sont importants. Il fut béatifié en 1864 et canonisé en 1921, année où il fut également proclamé Docteur de l’Église.
Sur le site des Jésuites, il est dit de lui :
« L’importance de Canisius repose sur une combinaison harmonieuse, rare pour son époque, entre une fermeté dogmatique dans les principes et une attitude de respect. Sa mission principale visait à guérir les racines spirituelles de chaque croyant et du corps de l’Église dans son ensemble, ainsi qu’à revitaliser la communauté chrétienne. »
Voilà qui résume bien la question. Il est juste d’avoir du respect pour tous. Saint Paul (Galates 5, 22) dit : « Le fruit de l’Esprit est amour, joie, paix, patience, bienveillance, bonté, fidélité, douceur, maîtrise de soi. » La caractéristique du chrétien est de conserver cette douceur et cette maîtrise de soi, sans jamais perdre de vue la fermeté dans les principes, qui permet d’échapper à la domination de la chair : « Frères, vous avez été appelés à la liberté. Seulement, que cette liberté ne devienne pas un prétexte pour vivre selon la chair ; mais par l’amour, mettez-vous au service les uns des autres » (Galates 5, 13).
Saint Pierre Canisius avait compris l’importance d’aimer le pécheur tout en méprisant et rejetant le péché. Dans une de ses prières pour confirmer la foi (trouvée sur le site www.corrispondenzaromana.it), il affirme :
« Je professe avec franchise, avec saint Jérôme, être uni à celui qui est uni au Siège de Pierre, et je proteste, avec saint Ambroise, de suivre en toutes choses cette Église romaine que je reconnais respectueusement, avec saint Cyprien, comme la racine et la mère de l’Église universelle. Je m’attache à cette foi et doctrine que j’ai apprise enfant, confirmée jeune homme, enseignée adulte, et que jusqu’à présent, avec mon faible pouvoir, j’ai défendue. Ce qui me pousse à faire cette profession n’est autre que la gloire et l’honneur de Dieu, la conscience de la vérité, l’autorité des Saintes Écritures canoniques, le sentiment et le consensus des Pères de l’Église, le témoignage de la foi que je dois à mes frères, et enfin le salut éternel que j’attends au Ciel et la béatitude promise aux vrais fidèles. »
Sa fidélité ne se limite donc pas au Pontife Romain, mais au Pape en tant que gardien du dépôt de la foi, confirmé par le sentiment et le consensus des Pères de l’Église auxquels il fait appel. Il ne s’agit pas d’un consensus humain envers un leader, mais d’un consensus vécu sur un plan métahistorique, surnaturel, davantage envers une institution qu’envers une personne. Plus loin, il poursuit :
« Si, à cause de cette profession, je suis méprisé, maltraité et persécuté, je le considérerai comme une grâce et une faveur extraordinaires, car cela signifiera que vous, mon Dieu, me donnez l’occasion de souffrir pour la justice, et que vous ne voulez pas que je sois bien vu par ceux qui, en tant qu’ennemis déclarés de l’Église et de la vérité catholique, ne peuvent être vos amis. Cependant, pardonnez-leur, Seigneur, car, soit parce qu’ils sont incités par le démon et aveuglés par l’éclat d’une fausse doctrine, ils ne savent pas ce qu’ils font, soit ils ne veulent pas le savoir. »
Voici le véritable équilibre entre justice et miséricorde. Le saint n’évite pas la souffrance par amour pour la justice, mais il demande à Dieu le Père d’user de miséricorde envers ceux qui ont suivi une voie erronée. La nature du péché n’est pas modifiée — il reste tel — mais il demande à ne pas s’acharner dans la condamnation. Sa prière se conclut ainsi :
« Accordez-moi toutefois cette grâce : qu’en vie et en mort je rende toujours un témoignage digne de la sincérité et de la fidélité que je vous dois, à vous, à l’Église et à la vérité ; que je ne me détourne jamais de votre saint amour et que je reste en communion avec ceux qui vous craignent et gardent vos préceptes dans la sainte Église romaine, à laquelle je soumets avec un esprit prêt et respectueux moi-même et toutes mes œuvres. Que tous les saints, triomphants au Ciel ou militants sur terre, unis de manière indissoluble dans le lien de la paix dans l’Église catholique, exaltent votre immense bonté et prient pour moi. Vous êtes le commencement et la fin de tous mes biens ; à vous soient en toutes choses louange, honneur et gloire éternelle. »
Nous devons être attentifs à ne pas faire de l’Église « la mère des bons sentiments » ; si la miséricorde perd de vue la justice, nous renonçons à être le sel de la terre. Trop de sel augmente la tension, mais sans sel, tout devient insupportablement insipide.
Benoît XVI, dans son audience du 9 février 2011, parlant de saint Pierre Canisius, disait :
« C’est bien une caractéristique de saint Pierre Canisius : savoir composer harmonieusement la fidélité aux principes dogmatiques avec le respect dû à chaque personne. Saint Canisius a fait la distinction entre l’apostasie consciente, coupable, de la foi, et la perte de la foi non coupable, du fait des circonstances. Et il a déclaré, à l’égard de Rome, que la plupart des Allemands passés au protestantisme étaient sans faute. À un moment historique de fortes oppositions confessionnelles, il évitait — c’est quelque chose d’extraordinaire — l’âpreté et la rhétorique de la colère — quelque chose de rare comme je l’ai dit en ces temps de débats entre chrétiens, — et il visait uniquement à la présentation des racines spirituelles et à la revitalisation de la foi dans l’Église. C’est à cela que servit la connaissance vaste et profonde qu’il avait des Écritures Saintes et des Pères de l’Église : cette même connaissance sur laquelle s’appuya sa relation personnelle avec Dieu et l’austère spiritualité qui lui venait de la devotio moderna et de la mystique rhénane. La spiritualité de saint Canisius se caractérise par une profonde amitié personnelle avec Jésus. Il écrit, par exemple, le 4 septembre 1549 dans son journal, parlant avec le Seigneur : “Toi, à la fin, comme si tu m’ouvrais le cœur du Très Saint Corps, qu’il me semblait voir devant moi, tu m’as commandé de boire à cette source, en m’invitant pour ainsi dire à puiser les eaux de mon salut à tes sources, ô mon Sauveur”. Puis il voit que le Sauveur lui donne un vêtement en trois parties qui s’appellent paix, amour et persévérance. Et avec ce vêtement composé de paix, d’amour et de persévérance, Canisius a mené son œuvre de renouveau du catholicisme. Son amitié avec Jésus — qui est au centre de sa personnalité — nourrie par l’amour de la Bible, par l’amour du Sacrement, par l’amour des Pères, cette amitié était clairement unie avec la conscience d’être dans l’Église un continuateur de la mission des Apôtres. Et cela nous rappelle que chaque évangélisateur authentique est toujours un instrument uni — et cela même le rend fécond — avec Jésus et avec son Église. »
Cet équilibre entre gentillesse et fermeté est un prélude à l’ascension vers les sommets de la sainteté.

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