De Guy Millière dans Les 4 Vérités :
"Un an après avoir renfloué la Grèce, l’Europe se retrouve à nouveau au bord du gouffre. Il faudrait, pour renflouer le pays, lui prêter autant d’argent qu’il y a un an, et, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’opération devrait vraisemblablement se répéter l’année prochaine, et ainsi à l’infini. La raison en est simple : le fonctionnement actuel de la Grèce n’est pas viable. Le maintien de la Grèce dans l’euro condamne le pays à s’endetter toujours davantage et à rester dans une situation de déflation et de non-croissance durable. L’alternative serait de laisser la Grèce quitter l’euro : sa monnaie serait fortement dévaluée, le niveau de vie de la population baisserait fortement pour une période de plusieurs années, mais l’économie grecque pourrait enfin se restructurer et redevenir compétitive. Cette alternative ne sera pas empruntée, car elle impliquerait une vague de défauts de paiement qui toucherait nombre d’établissements bancaires européens. L’Europe va donc mettre en place des systèmes de redistribution interne destinés à colmater les brèches de manière transitoire, hypothéquant ainsi graduellement les chances des pays moins sinistrés de retrouver le chemin de la croissance et du désendettement. Ces systèmes de redistribution sont le lourd prix à payer pour avoir créé une monnaie unique dans une zone qui n’était pas une zone monétaire optimale.
On l’a, en fait, oublié il y a longtemps, tant était forte la volonté de courir dans la direction d’une utopie : l’Europe, ce n’est pas les États-Unis. Ce n’est pas un pays. Ce n’est pas une langue et une culture commune. Ce n’est pas une économie commune. Ce n’est pas un peuple, mais un conglomérat de peuples. La paix entre ces peuples aurait pu se faire par le libre-échange des marchandises, la libre circulation des personnes et des idées. Mais, dès lors qu’on a voulu superposer à tout cela une gouvernance technocratique et des mécanismes bureaucratiques, les engrenages de ce que Friedrich Hayek a appelé la « présomption fatale » se sont mis en marche. Ils ne s’arrêteront pas avant que la machine infernale aille jusqu’à son terme et finisse par une grande implosion. Pour l’heure, on a donc une monnaie commune, l’euro. On a une zone monétaire qui fait que cette monnaie ne peut que créer une multitude d’effets pervers. On a des dirigeants qui tiennent à dire que tout va bien, et qui versent, comme dans un puits sans fonds, l’argent de pays A dans les caisses trouées de pays B. On a des conditions qui sont imposées aux pays B qui rendent la vie insupportable pour les populations des pays aux caisses trouées. On a des conséquences qui font que verser de l’argent dans les caisses des pays B coûte très cher aux pays A qui, eux-mêmes, sont dans des situations de plus en plus difficiles. Et on a logiquement, du mécontentement dans tous les pays concernés. Les gens des pays B (non seulement la Grèce, mais l’Irlande, le Portugal, et bientôt la Belgique, l’Espagne, puis l’Italie) sont en colère contre les pays A et l’Europe. Les gens des pays A, dont la liste s’amenuise et qui risquent bientôt de compter un seul pays, l’Allemagne, sont mécontents de payer pour les pays B.
Avant que l’implosion financière ne survienne, par une succession de défauts de paiement sans doute, d’autres signes de dislocation pourraient venir et sont déjà en train de gagner. Des mouvements nationalistes, socialistes, protectionnistes et xénophobes gagnent du terrain partout en Europe. Dès lors que le chômage, l’endettement, la paupérisation montent de tous côtés, on peut s’attendre à ce que ces mouvements continuent à gagner du terrain. Des manifestations et des grèves prennent forme aussi et tournent parfois à l’émeute. Nul ne peut savoir comment tout cela va finir. Ce qui serait très étonnant, c’est que cela ne finisse pas extrêmement mal. Tous les économistes qui travaillent à l’échelle de la planète considèrent que le rêve européen est achevé, et qu’il s’est achevé comme il devait s’achever : dans une atmosphère de crépuscule annonciateur de chaos."