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Pays : Liban

Guerres du Liban : pardonner, retrouver sa souveraineté et vivre en paix

Guerres du Liban : pardonner, retrouver sa souveraineté et vivre en paix

Par Antoine Bordier, auteur de la trilogie Arthur, le petit prince

50 ans après, les cicatrices sont-elles refermées à jamais ? Faute d’Entente, de Pardon et de Réconciliation, elles seraient prêtes à s’ouvrir de nouveau, et à faire couler le sang, à la moindre étincelle. Car, depuis que je sillonne le Liban, tous mes interlocuteurs me disent la même chose, du nord au sud, de l’est à l’ouest : « Nous sommes armés. Les réfugiés palestiniens et syriens sont armés. » Le Hezbollah l’est un peu plus que tout le monde avec ses missiles et ses roquettes, sans oublier ses drones et ses vieux tanks. Comment est-ce possible ? Du côté des chrétiens, je suis allé rencontrer le Patriarche des Maronites, Bechara Boutros Rahi, et Mgr Georges Iskandar, l’évêque de l’Eglise grecque-melkite-catholique de Tyr.

C’est le dernier article de notre trilogie : Il y a 50 ans, les Guerres du Liban.

Cette après-midi du samedi 12 avril 2025, vers 15h00, c’est l’effervescence dans le quartier de Aïn el-Remmaneh. Situé dans le sud-est de Beyrouth, à 5 km du centre-ville, ce quartier est plus que symbolique ; et une rue plus particulièrement attire l’attention : celle de Maroun Maroun. « C’est là que tout a commencé, il y a 50 ans » raconte Tony Fata, devenu aveugle et héros de guerre (lire notre second article : J-1 avant le 50è anniversaire des Guerres du Liban : deux guerriers… racontent).

La rue a gardé quelques stigmates des affrontements entre des Palestiniens du FPLP, le Front populaire de libération de la Palestine, et les milices du parti politique fondé par Pierre Gemayel, le Kataëb (lire notre premier article : J-7 avant le 50e anniversaire des Guerres du Liban). Dans la ruelle qui jouxte l’Eglise Notre-Dame du Salut, fermée depuis, on peut voir encore quelques traces de balles. 50 mètres plus haut, le mémorial en l’honneur du « premier martyr », de Joseph Bou Assi, le garde du corps de feu Pierre Gemayel assassiné ce matin du 13 avril 1975, ressemble à une stèle posée à l’angle de la rue.

50 ans plus tard, l’effervescence du jour reprend le dessus des souvenirs lointains, avec ces embouteillages exceptionnels qui n’en finissent plus. Les coups de klaxons, la présence imposante des militaires de l’armée libanaise, avec leur fusil d’assaut, quadrillant le quartier de leurs véhicules blindés ; les drapeaux aux couleurs du parti jaillissent des bus et des voitures, comme des champs de fleurs. Les émotions survolent le ciel azuré de Beyrouth. Séquence émotions, au pluriel.

La commémoration du 13 avril 1975

Ce 12 avril 2025, le parti Kataëb a vu les choses en grand dans le théâtre du Boulevard. Plus de 5000 anciens combattants, membres, partisans, sympathisants et invités, ont pris place. La musique est à fond et les drapeaux des différents groupes du parti tournoient, maintenant, à l’intérieur. Sur le grand écran un film historique est projeté. On y voit Pierre Gemayel se rendant à l’église. Nous sommes le dimanche 13 avril 1975. Puis, ce bus calciné où des Palestiniens armés avaient pris place… Engrenage d’affronts et de ripostes armés qui débouchent sur 15 années de guerres… et plus.

Puis, d’autres images des guerres défilent. Elles sont interrompues par des sifflets lorsque le visage de feu Hafez el-Assad s’affichent. L’autocrate-dictateur de Syrie, adulé par les Américains, qui rêvait de faire du Liban son deuxième trône. En 1976, il prononce son discours justifiant sa première intervention (d’autres suivront, hélas) et l’envoie de 2000 militaires pour contrer les Palestiniens, le 31 mai. Au départ, il est plus ou moins proches des chrétiens. Dès 1977, il se retournera contre eux. Et, ce sera l’affrontement contre eux en 1980.

Ensuite, sur le grand écran, apparaissent les visages de Menahem Begin, de Jimmy Carter et de Yasser Arafat. Chacun joue sa partition contre le Liban.

Dans la salle pleine à craquer, vers 16h00, les VIP arrivent : tout le clan Gemayel est là, entouré de tous les députés du parti Kataëb, comme Sélim el-Sayegh et Elias Hankach. Il y a, également, Fady Karam, des Forces libanaises (FL), Alain Aoun (neveu de Michel Aoun) et Martine Kteily du Courant patriotique libre (CPL).

Le premier à prendre la parole devant un parterre électrisé par la venue du président du parti, Samy Gemayel, est l’ancien combattant et cadre Naji Boutros. Puis, Tony Fata intervient.

Tony Fata : le héros de guerre

Tony est devenu aveugle à la suite d’un affrontement sur la ligne de front qui aurait pu lui être totalement fatal. Il avance vers l’estrade aidé de son ami, sous les applaudissements et une musique d’ambiance qui n’a rien à envier aux grands meetings politiques français.

« Aujourd’hui, devant vous tous, chers Amis, je veux honorer la mémoire de nos frères tombés sur le champ d’honneur. Je veux honorer la mémoire de nos trop nombreux martyrs. Et, je pense en particulier à la famille Gemayel, aux dirigeants du parti qui ont payé le prix fort de notre combat pour la liberté et pour la sauvegarde de la souveraineté de notre pays… Je pense, également, à Antoine Sarkis, l’un de nos grands martyrs. »

Les applaudissements fusent.

Quelques secondes plus tard, et parce qu’il est un homme de paix, pas seulement un héros de guerre, il n’oublie pas ceux de l’autre camp : « Parmi ceux que nous avons combattus, il y avait des gens de bonne foi. Certains musulmans ont, par exemple, essayé d’aider les chrétiens contre les Palestiniens. Nous devons saluer les martyrs de toutes les confessions qui sont tombés contre les fedayins de Yasser Arafat, les Syriens et contre les Israéliens. »

Tony conclut en invitant les participants à ne pas oublier : « Oui, j’aimerais bien que vous racontiez l’histoire du Liban, celle-ci, à vos enfants. Telle que vous l’avez vécue. »

Les 5000 se lèvent comme un seul homme. Les applaudissements redoublent d’intensité. En redescendant, le héros est salué par l’ancien président de la République (1982-1988), Amine Gemayel, et par son neveu, Nadim (le fils de Bachir Gemayel, assassiné en 1982).

Les grandes dates de 1975 à 1990

Rapidement, trop rapidement d’ailleurs, essayons de baliser ces 15 années de guerre. Il y a, donc, cet affrontement entre les Palestiniens et les chrétiens. Les réfugiés palestiniens sous le leadership de Yasser Arafat ont voulu prendre le pouvoir. Puis, très vite la Syrie entre en jeu, d’abord aux côtés des chrétiens. Ensuite, elle se retourne contre eux. En même temps, le fondamentalisme du panarabisme, dont la tête de proue est l’Egyptien Nasser, ajoute son poison au poison du « coup d’Etat » palestinien. Il faut ajouter à cela des guerres fratricides entre les milices chrétiennes favorables à l’indépendance du Liban et celles favorables au panarabisme. D’autres guerres fratricides concernent les milices musulmanes pro-arabes de 1977 à 1982.

A partir de 1982, se confirme l’entrée en guerre des Israéliens. Tout se complique. L’affrontement est une tour infernale, un mille-feuilles de plus en plus empoisonné qui voit s’affronter les grandes puissances en terre libanaise : USA et URSS, France, Syrie et Israël. La France, partie-prenante de la paix, paye le prix lourd de sa présence. Notamment le 23 octobre 1983 où 58 parachutistes sont victimes d’un terrible attentat syrien.

Résumons encore (certains auteurs et historiens parlent de trois ou quatre périodes de guerres). Retenons-en trois : celle de 1975 à 1976, celle de 1977 à 1982 et celle de 1982 à 1989. Les accords de Taëf, signés le 22 octobre 1989, mettent fin à ces 15 années de guerres…

« Le Liban est à construire tous les jours »

Le Patriarche des Maronites, Bechara Boutros Rahi, est là dans son petit bureau de Bkerké, à mi-montagne qui s’élève au-dessus de Jounieh. Il est un observateur privilégié, un religieux méditant, priant pour son peuple : « les Libanais ». Tous, sans exception !

Il compare le Liban à un mariage, à un banquet qui aurait mal tourné ; à des noces qui se seraient transformées en divorces. Mais le grand divorce n’a pas eu lieu. Le Liban du « vivre-ensemble » est là, toujours, en marche ; blessé, parfois défiguré mais, toujours en vie.

Il ajoute quelque chose d’important : « Nous disons, au-delà de l’entente nationale nécessaire, qu’il faut purifier la mémoire. » Il évoque sans ambage « les politiciens qui sont incapables de le faire ». Mais, il propose une solution, un chemin étroit, qui s’ouvre, après le chemin tortueux des 15 années de guerres : « Il faudrait que la Communauté internationale reconnaisse la neutralité du Liban. Parce que nos problèmes ne sont pas, d’abord, internes. Ils sont liés à notre dépendance aux autres pays et à l’influence de ces derniers. C’est pour cela que l’on a parlé, aussi, de la guerre des autres sur le terrain libanais ».

Il évoque les Libanais et leur légendaire convivialité, tout en ne mésestimant pas le fait que chaque Libanais, chaque confession, chaque groupe, chaque parti, voudrait voir le Liban comme lui-même.

Ses souvenirs : les guerres et le Pape Jean-Paul II

A 85 ans, l’homme se souvient de cette année terrible de 1975. Il se trouvait alors au Collège Notre-Dame de Louaizé où il était directeur. Il voit son Liban sombrer.

« Les Palestiniens disaient que la route de Jérusalem passe par Jounieh. C’est ce que disait Yasser Arafat. Ce qui est terrible, c’est que le Liban a été acculé, sous la pression des Arabes (NDLR : lors des accords du Caire de 1969), à laisser les Palestiniens se constituer en armée. » La guerre entre les chrétiens et les musulmans s’explique par le fait que les Palestiniens étaient considérés « comme l’armée des musulmans ». Les sunnites libanais ont défendu, ainsi, les sunnites palestiniens. « Le Mufti de la République a dit : ne touchez pas aux Palestiniens, c’est notre armée… »

Il se rappelle, également, la venue du Pape Jean-Paul II au Liban en 1997. Lors d’un dîner officiel, le pape prononce ces mots : « Ecoutez. Vous avez un pays tout à fait petit. Ce qui vous a aidé à surmonter la guerre, c’est votre culture de convivialité. »

Des raisons d’espérer : dissoudre les milices

Le Patriarche a des raisons d’espérer. Pour lui, le Nouveau Liban de Paix repose sur les accords de Taëf, qui ont été plus ou moins appliqués.

« Oui, il faut dissoudre toutes les milices et confier les armes à l’armée libanaise. Il faut se rappeler que la Syrie occupait alors tout le Liban, à ce moment-là. Elle devait appliquer cet accord. »

Pour certains libanais, les guerres de 1975-1990 se terminent beaucoup plus tard en 2005, le 27 avril, lorsque les troupes syriennes d’occupation quittent définitivement le pays. Ce départ n’a pas empêché que la Syrie maintienne une influence forte sur la classe politique et sur tous les gouvernements successifs libanais.

On connait, la suite : toutes les milices ont été dissoutes, sauf celle du Hezbollah. La milice du Hezbollah est le bras armé de l’Iran contre l’Arabie Saoudite et contre Israël. Mais, les armes circulent toujours…

En marche vers une espérance nationale 

« Vous devez savoir, continue le Patriarche, que le 25 mars de chaque année est devenu de par la volonté des chrétiens et des musulmans, une fête nationale. Chrétiens et musulmans se réunissent pour prier ensemble. Moi, je n’invoquerai jamais le nom de pardon et de réconciliation, car tout est oublié. Je parle sur le plan politique. Pourquoi ? Parce qu’il y a eu de la manipulation par d’autres Etats. Il n’y a pas une responsabilité directe et unique », répète-t-il.

Il évoque Israël : « Oui, il faut qu’Israël cesse leurs frappes. Ils n’ont pas respecté le cessez-le-feu du 27 novembre 2024. Aujourd’hui même, ce matin (NDLR : du 1er avril), ils bombardent… »

Nous terminons cet entretien sur « l’espérance qui est la base » sur laquelle le nouveau Liban va se (re)construire. Et, il espère en la paix. Il conclut sur la tragédie de Gaza qui semble le miner de l’intérieur : « Israël n’a pas raison ».

A Tyr, avec Mgr Georges Iskandar

A près de deux heures de Beyrouth, dans le sud, à 83 km, Mgr Georges Iskandar, l’archevêque de Tyr de l’Eglise grecque-melkite-catholique. Il reçoit ses fidèles après la messe. Dans le grand salon d’accueil, aux murs de pierres voutés, une partie de sa famille est là, dont Hélène sa sœur. Un juge qui a réussi le tour de force, avant de prendre sa retraite, de déposer de nouvelles plaintes contre l’ex-gouverneur de la Banque du Liban, la BDL, Riad Salamé.

Son frère évêque (évêque depuis 2022) s’exprime sur la paix : « Pour parler de la paix, il faut parler de la justice, car sans justice, il n’y aura pas de paix durable. Les guerres, jamais, ne donnent de solutions. Ce qui donne la paix, c’est comment être de vrais hommes, comment vivre en vérité. » L’archevêque, comme le patriarche, appelle à retenir les leçons de l’histoire.

Il termine en évoquant la réconciliation : « Il s’agit dans un premier temps de se réconcilier avec soi-même et avec Dieu. Il n’y a pas de changement possible, il n’y a pas de réconciliation envisageable sans conversion du cœur. » Et, il conclut, lui-aussi, en évoquant le Pape Jean-Paul II : « Le Liban est plus qu’un pays, c’est une mission ! ». Une mission de paix…

De notre envoyé spécial Antoine Bordier, consultant et journaliste indépendant. Auteur de la trilogie Arthur, le petit prince (d’Arménie, du Liban, d’Egypte).

Pour aider l’association Arc-en-ciel qui dépend de l’Eglise grecque-melkite-catholique et qui vient en aide aux démunis, contactez le père Antoine Assaf : [email protected]

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