Les encarts publicitaires et la propagande médiatique enjoignant à célébrer Halloween, à grimer nos enfants en zombies et autres monstres devraient nous interroger sur le message de vie que propose notre société. Plus que les vampires, le père Danziec rappelle dans Valeurs Actuelles que nos modèles civilisationnels sont les héros et les saints.
« Tous les hommes meurent un jour, mais peu parmi eux vivent vraiment ». Cette sentence, je la cite quasiment à chaque homélie d’obsèques. Son auteur n’est pourtant pas un auteur mystique ou un père de l’Eglise des premiers siècles. C’est William Wallace qui l’adresse, avant de mourir, à la belle Sophie Marceau dans le film Brave Heart de Mel Gibson. Mourir, issue en effet inéluctable pour nous tous. Et le mois de novembre s’attache justement à nous le rappeler en nous invitant durant ces prochains jours à honorer nos anciens déjà entrés dans leur éternité. Fiché entre l’automne et l’hiver, entre un froid qui devient plus mordant et un soleil qui, par contraste, nous offre un éclat nouveau, l’Eglise ne s’est pas trompée en choisissant cette saison pour nous maintenir dans cette vérité crue : un jour, il s’agira de notre tour. « J’ai été ce que vous êtes, vous serez ce que je suis », « Aujourd’hui moi, demain toi » insistent certaines épitaphes dans les cimetières. A cet égard, dans La Fin d’un Monde (Albin Michel), livre fouillé, précis – et qui est appelé à devenir majeur – Patrick Buisson souligne bien que l’expansion du christianisme fut d’autant plus rapide que les mentalités païennes, tournées vers le culte de l’au-delà, familiarisées avec la résurrection cyclique de la vie et rompues à la toute-puissance d’une divinité protectrice, formaient un sol propice à recevoir la semence chrétienne.
La dictature de l’utile a pris le pas sur la civilisation de la gratuité.
Mais qu’est-ce que veut dire “vivre vraiment” en 2021 quand l’étalage de la laideur envahit notre quotidien ? La dictature de l’utile a pris le pas sur la civilisation de la gratuité. Sans que le commun n’y prête attention, alors qu’un tel changement le mériterait, c’est notre rapport à la vie lui-même qui se trouve profondément bouleversé. Les vertus du don, du beau et de l’oblation se sont étiolées en se conjuguant inexorablement à une volonté mercantile prête à piétiner, sans scrupules, les repères et les valeurs qui ont pourtant fondé notre identité. Mettre en parallèle les photographies des nouveaux palais de justice qui ont fleuri dans plusieurs grandes villes de France ces dernières années avec les anciens qu’ils ont remplacés, ou celles des bancs parisiens à la Belle Epoque avec ceux de la consternante mandature d’aujourd’hui, permet en un coup d’œil de mesurer le changement de paradigme. Antoine de Saint-Exupéry avait bien raison :
« Rien qu’à entendre un chant villageois du 15ème siècle, on mesure la pente descendue ».
Comme toujours, les premières victimes du drame de la laideur et de la marchandisation de la vilénie, sont les simples et les purs. Parmi eux, au premier chef, on trouve évidemment les enfants. La fête d’Halloween, avec son escalade dans le morbide, cristallise à elle seule toutes les incohérences d’une société en perte de vitesse parce qu’en perte de repères. Alors que le discours officiel tend à faire de l’enfant l’objet de toutes les protections, de la condamnation de la fessée à la défense exacerbée de la diversité, comment ne pas voir la tartufferie d’une démarche qui ne va pas jusqu’au bout ? Les marques en tout genre, se fichant pas mal du développement harmonieux des plus innocents et de leur élévation spirituelle, n’hésitent pas à profiter d’une fête, quoiqu’étrangère et initialement bon enfant, pour plonger nos têtes blondes dans un univers de laideur. Si pour Balzac, « le vrai, c’est le beau bien habillé » alors oui, on comprend mieux que notre époque se plaise à célébrer Halloween avec un tel faste de disgrâces.
Jean de Brem et son testament
A force d’habituer les âmes à la médiocrité, on finit par leur faire perdre le goût de la grandeur. Comme l’écrivait Jean de Brem dans son Testament d’un européen (La Table Ronde) :
« Des géants nous précèdent, des héros et des savants, des explorateurs de la terre et des explorateurs de l’âme, des César et des Antoine, des monarques et des capitaines, des silhouettes sévères en robe de bure, de belles courtisanes ou des brutes implacables. Tout un cortège de grandes figures, resplendissantes de splendeur et de puissance, se déroule à nos yeux, immense fardeau pour nos contemporains dérisoires ».
Faute de transmission, et en raison d’un renoncement qui ne dit pas son nom, les petits garçons ne rêvent plus de Bayard ou de Duguesclin mais de Stromae ou de Benzema. De Blanche de Castille à Geneviève de Gallard, nous sommes passés à Ursula von der Leyen et Greta Tunberg. Les lycéennes s’envisagent davantage en Nabilla qu’en Mère Teresa. Et nous devrions nous réjouir d’un tel spectacle ? Rester les bras ballants et ne rien dire ?
Halloween, avec ses vampires et ses zombies, participe de ce déclin et de cette culture de mort. La culture de la vie, c’est Rolland à Roncevaux ou Arnaud Beltrame à Trèbes. C’est Blanche de la Force dans Le dialogue des carmélites ou Thomas More emprisonné dans la Tour de Londres mais moralement libre dans sa demeure intérieure. La civilisation véritable fournit les armes morales qui empêchent la décadence et protègent la vertu d’espérance. Plus que des starlettes qui seront vite oubliées, et plutôt que des zombies propres à polluer le sommeil des enfants, nos héros et nos saints sont en mesure de redonner à notre quotidien la plénitude qu’il mérite. Ils nous donnent l’appétit de la vie et le sens de la mort. Ils nous disent que ce pourquoi nous sommes capables de mourir, c’est cela seul dont nous pouvons vivre. Vivre, vraiment.