L’IREF sonne l’alarme :
On sait que l’État n’a plus d’argent et c’est sans doute l’une des raisons majeures qui a obligé le Haut-Commissaire des Retraites à rappeler que la réforme à venir devrait se faire à enveloppe pratiquement constante (encore que les prévisions du Conseil d’Orientation des Retraites, qui, depuis des années et au gré des échéances électorales, souffle alternativement le chaud et le froid ne soient pas précisément faites pour nous rassurer !). Or, sagement, plusieurs Caisses de retraites des Professions libérales avaient pris la précaution durant les années de collecte favorable des cotisations de constituer des provisions pour faire face à leurs engagements actuariels et mettre en place une régularisation anti-cyclique dans la crainte d’évolutions démographiques et conjonctures économiques moins porteuses. Fruit de plusieurs décennies d’efforts, ces provisions ne sont pas des réserves malgré l’abus de langage qui altère la plupart des publications, tout comme les propos du Haut-Commissaire, lui-même. Elles atteignaient déjà à fin 2015 quelque 27 milliards d’euros (Recueil statistique CNAVPL) pour l’ensemble des Caisses des professions libérales (hors Avocats).
Les caisses privées tous secteurs confondus craignent de se voir prochainement ponctionnées de quelque 130 milliards d’euros à titre propre, cependant que le Fonds de Réserve des Retraites serait dépouillé par ailleurs des quelque 35 milliards supplémentaires en sa possession. Mais pourquoi présente-t-on donc comme des réserves (c’est-à-dire des excédents en attente d’affectation), des sommes qui n’étaient et qui ne demeurent d’ailleurs que des provisions (c’est-à-dire des sommes consignées pour faire face à des probabilités de charges déjà sérieuses à la fin de l’exercice, même si l’on ne peut alors encore les évaluer avec une parfaite précision) ?
En effet, sauf à le dénaturer complètement, il est rigoureusement impossible de constituer des réserves dans un système par répartition, puisque précisément sa vocation est de restituer immédiatement ou le plus rapidement possible aux retraités le fruit de la collecte des cotisations. Si ces provisions étaient réellement des réserves, comment donc les multiples organes de contrôle qui sévissent sur les caisses de retraites auraient-ils pu laisser se perpétuer de telles dérives ? En réalité, les prétendues “réserves” présentées par les Caisses privées sont tout simplement et comptablement des provisions constituées pour faire face notamment à des aléas démographiques (baisse constante du taux de couverture cotisants/retraités notamment) ou économiques (crise économique, chômage endémique etc) que le fonctionnement brut de la répartition ne permet ni d’éviter, ni d’anticiper, ni de couvrir.
Or à l’inverse des réserves qui sont des éléments de bénéfices ou d’excédents définitivement acquis, qui émargent à ce titre parmi les capitaux propres et dont on reporte l’affectation définitive pour l’avenir, les provisions correspondent à des charges parfaitement prévisibles et offrant un degré de probabilité suffisant lors de la clôture de chaque exercice pour que leur dotation puisse être – sans abus – considérée comme une charge propre à l’exercice. Par ailleurs au plan comptable, les provisions figurent au bilan parmi le passif exigible et pas parmi les capitaux propres. Enfin la comptabilité d’engagement et le principe de prudence obligent à provisionner les charges dont la survenance est probable, même si elles ne sont pas encore parfaitement connues, ni précisément évaluables à la clôture de l’exercice.
Donc le classement ou la qualification en fausses réserves d’authentiques provisions sont parfaitement coupables et l’on voit qu’ils tendent à l’État (qui n’en demandait pas tant) une perche pour tenter de récupérer des sommes qui de toute manière ne lui appartiennent pas. En toute équité, ces sommes devraient être partagées (ou bloquées) entre les retraités et les cotisants actuels aux frais desquels elles ont été constituées, alors que leur “captation” par le prochain système universel serait en toute hypothèse une arnaque, une sorte d’impôt honteux et illicite qui n’ose pas dire son nom. Et ce, même si, au vu d’exemples récents et de la dépréciation continue du droit de propriété, on peut craindre que le Conseil Constitutionnel (où les retraités privés ne sont pas vraiment prédominants…) acquiesce à ce nouveau hold-up. Il reste que ces sommes devraient rejoindre au bilan des caisses constituantes le passif exigible qu’elles n’auraient jamais dû quitter. Politiquement en sus et comme on verra, cette menace de hold-up sur leurs réserves pousse toutes les caisses concernées à insister sur le maintien de l’indépendance du monde libéral, qui a su montrer sa capacité à gérer bien et à moindre coût l’ensemble des régimes de base comme complémentaires qui lui ont été confiés.
Pourtant le Haut-Commissariat s’est mis en tête d’enquêter pour savoir si – et aussi comment ! – il pourrait capter ces provisions pour les orienter vers Dieu seul sait quel gouffre commun : par exemple financer une partie des déficits abyssaux de ces régimes spéciaux pour lesquels il a les yeux de Chimène et au profit desquels rien n’est trop beau, rien n’est trop cher (cf. retraites EDF et consorts qui font encore éructer la Cour des comptes !). Or toutes les provisions ont été parfaitement individualisées Caisse par Caisse lors de leur constitution et il n’y aucune raison qu’elles soient mutualisées, ni détournées de leur vocation. Surtout que les Caisses libérales ne sont pas seules en piste et qu’avec l’Arrco, l’Agirc, le RCI et quelques autres, ce sont en réalité quelque 130 milliards d’euros privatifs qui sont en jeu en représentant quasiment cinq mois de retraite tous régimes confondus, mais plusieurs années de pensions pour la plupart des régimes ayant effectivement constitué lesdites provisions. En se référant aux 71 milliards d’euros que cumule désormais la nouvelle entité Agirc-Arrco, le négociateur du Medef, Claude Tendil, a été extrêmement clair sur le sujet “Les efforts consentis par les entreprises et les salariés du privé ne doivent pas bénéficier au laxisme d’autres régimes”. Et les 35 milliards d’euros du Fonds de Réserve des Retraites ne posent pas moins de problèmes.
Par ailleurs, admettons-même – durant un instant d’égarement- que ces provisions puissent être des réserves excédentaires. Cette qualification n’est pas une raison suffisante pour que l’État ou ses affidés prétendent se les approprier et les redistribuer comme bon lui semble aux trop nombreuses cigales qui les convoitent. Or cette attitude de basse prédation n’est pas celle qu’on attend d’un arbitre impartial et intègre chargé de prôner la justice et l’équité. Mais un passé récent a parfaitement montré – notamment avec le rattachement précité en 2005 d’EDF à la CNAV que la Cour des comptes a fustigé à plusieurs reprises – que l’État n’était jamais tant à l’aise que lorsqu’il s’agissait de faire main basse sur de l’argent qui ne lui appartient pas ou de verser avec retard des soultes dérisoires lors du transfert au secteur privé de régimes précédemment publics lourdement obérés. Pourtant, il est probable qu’avec un Haut-Commissariat constitué – comme il aurait dû l’être, si on avait pris en compte les effectifs respectifs du secteur privé et du secteur public – aux trois quarts de Commissaires privés, de telles “tentations” auraient été aisément évitées. Alors certes, le hold-up n’a pas encore eu lieu, mais il y fort à craindre, s’il doit avoir lieu, que ce ne soit pas la menace d’une censure improbable du Conseil constitutionnel devenu très tolérant au fil des ans (il est vrai que son profil sociologique le rapproche davantage des “gagnants” que des “perdants” !) qui dissuadera le pouvoir de commettre un tel forfait.
Cette épineuse question des “réserves” explique d’ailleurs que cinq Caisses de professions libérales (réunissant notamment notaires, pharmaciens, experts-comptables et commissaires aux comptes) aient récemment crée une entité intitulée “Pro’Action Retraite”, afin de convaincre les pouvoirs publics de la nécessité de maintenir l’autonomie des retraites libérales. Elles font valoir qu’elles ont su prendre en leur temps des initiatives fructueuses et qu’elles sont les seules à fonctionner par points aussi bien en régime de base qu’en régime complémentaire. Elles rappellent aussi que leur gestion prudente et avisée a permis de servir aux professionnels libéraux des retraites satisfaisantes, avec des taux globaux de cotisations-vieillesse nettement inférieurs à ceux applicables aux salariés. Enfin elles soulignent que dans la plupart des pays étrangers, les régimes libéraux demeurent autonomes, en fonction à la fois des spécificités des professions concernées et de l’esprit de responsabilité qui y est attaché. Elles sont également favorables au maintien d’une forme de gestion paritaire au plus près du terrain et des évolutions professionnelles. Enfin si les régimes spéciaux semblent bien près de pouvoir arracher le maintien d’un grand nombre de spécificités le plus souvent fort coûteuses pour le contribuable, pourquoi donc refuserait-on le maintien d’une autonomie de bon sens aux professionnels libéraux qui s’auto-financent quasi-intégralement avec des taux globaux de cotisations nettement inférieurs à ceux en vigueur dans tous les autres régimes ?
Car derrière l’image rassurante de l’État de droit qu’on nous vante complaisamment à toute occasion, se profile beaucoup plus discrètement la silhouette menaçante de l’État de proie, aux appétits quasiment sans limites pour accroître sans cesse le poids et le périmètre de prélèvements publics devenus insensés. Chez nous, sous couvert d’un intérêt général qui dissimule trop souvent de puissants intérêts catégoriels, les exemples abondent d’un tel État qui réussit à la fois et entre autres à être :
– celui qui perçoit couramment et sans vergogne l’impôt sur l’impôt,
– celui qui rétablit illico et sous une forme à peine différente l’impôt de plusieurs milliards d’euros que le juge vient tout juste d’annuler,
– celui qui, au bout de 22 ans, exonère de l’impôt les plus-values immobilières, tout en continuant à les assujettir 30 ans durant aux prélèvements sociaux ;
– celui qui profite de ses instructions pour infléchir la loi dans un sens préjudiciable au contribuable,
– celui qui ne réévalue pas automatiquement de l’inflation ses barèmes fiscaux et sociaux,
– et enfin celui qui fait main basse, de manière directe ou détournée à chaque fois que l’occasion est bonne, sur tel ou tel pactole dont il sait très bien qu’il ne lui appartient pas.
Et comment ne pas déplorer que notre époque fournisse davantage de rappels de l’exemple sinistre de Philippe le Bel s’appropriant dans la honte, le crime et l’abjection le trésor des Templiers que de la vertu d’un État rigoureux respectant scrupuleusement avec le bien d’autrui les principes de la Déclaration des droits de l’Homme ? Puissions-nous nous tromper quant à ces sombres pressentiments ! Puisse aussi l’autonomie des caisses des professions libérales, qui fonctionnent quasiment à la satisfaction générale, être opportunément préservée, tout comme leurs provisions, dont une croissance atone risque fort de renforcer rapidement le bien-fondé. Mais avouons-le : l’histoire récente n’est pas vraiment là pour nous rassurer !
C.B.
Habituellement, ma pension civile est versée le 28 de chaque mois. Cette année, pour avril, le 28 étant un dimanche, elle a été versée non le 29 mais le 30. (Pourtant, lundi 29 n’était pas le lundi de Pâques férié). C’est toujours deux jours de trésorerie de gagné pour l’état, qui s’est pourtant octroyé une belle avance de trésorerie avec la retenue à la source … (et qu’on ne me dise pas qu’un ordinateur ne peut pas être programmé pour passer un ordre de virement le 28 quand ce 28 est un dimanche! Du temps où les mouvements bancaires étaient lancés par des êtres humains, j’aurais considéré comme normal le repos du dimanche, mais ce temps est révolu depuis belle lurette, non?)