Récit des obsèques du Professeur Hervé Coutau-Bégarie à l’Ecole militaire le jeudi 1er mars 2012 (photos et vidéo), écrit par le Lieutenant-Colonel François-Régis Legrier :
« Subvenite sancti dei, occurite Angeli domini » « Venez à son secours, Saints de Dieu ; accourez à sa rencontre, Anges du Seigneur » la supplication, grave et confiante, s’élève dans la chapelle Saint Louis de l’Ecole militaire alors que le cercueil d’Hervé Coutau-Bégarie, porté par huit officiers de l’Ecole de guerre, remonte lentement l’allée centrale pour être déposé au pied de l’autel en ce jeudi 1er mars 2012. L’assemblée est nombreuse, trop nombreuse pour ces murs vénérables. Plus qu’une assemblée, c’est une réunion de famille. Famille des proches bien sûr dont il faut saluer l’admirable dignité mais aussi famille de tous ceux, civils et militaires, français et étrangers, qui se reconnaissent une filiation intellectuelle et morale avec le professeur Coutau-Bégarie. Une vraie réunion d’amitié française comme on aimerait qu’il y en ait plus souvent…
La messe est célébrée selon le rite saint Pie V, la forme extraordinaire du rite romain selon la formule consacrée mais la forme habituelle pour Hervé Coutau-Bégarie. Il ne s’en dégage aucune nostalgie d’ailleurs mais une ferveur et une émotion profonde. Elle est célébrée par l’abbé de Langalerie, ancien vicaire de Saint Eugène, et l’homélie, prononcée par l’abbé Chanut.
Quelques mois avant sa mort, Hervé confiait à celui qui l’avait marié, ses dernières volontés : « si par hasard on vous fait le mauvais coup de vous demander de prononcer l’homélie à ma messe de funérailles, ne parlez pas de moi mais de Dieu »
Le serviteur de Dieu s’exécute donc ; s’il parle de la justice divine ; celle du Dies irae interprété magnifiquement par la schola Sainte Cécile – la trompette au son terrifiant jetant l’appel parmi les tombes et qui nous poussent tous devant Dieu – c’est pour évoquer aussitôt la miséricorde du Christ - rappelez-vous O doux Jésus que je suis cause de votre œuvre ; ne me perdez pas en ce jour – et la piété de son serviteur dont jamais l’immense savoir n’a desséché le cœur ou rendu arrogant envers ses semblables et qui a su si parfaitement allier une foi profonde à la raison la plus exigeante. En écrivant ses lignes, nous pensons spontanément à Jérôme Lejeune. Au-delà de leurs disciplines respectives, la stratégie pour l’un, la médecine pour l’autre, il y a ce même rayonnement intellectuel d’envergure internationale, une puissance de travail inégalable mais aussi une foi intense et un amour de l’Eglise chevillé au corps ; enfin, il y a la maladie. La maladie contre laquelle on se bagarre puis que l’on offre lorsque se produit l’inéluctable : « Par Hervé et sa famille, il nous a été donné de voir le Christ en croix » s’exclamera Martin Motte dans son éloge funèbre prononcé dans la cour d’honneur de l’Ecole militaire à l’issue de la messe. Hervé Coutau-Bégarie est mort au début du carême ; Jérôme Lejeune le 3 avril 1994 au matin de la Résurrection.
L’un et l’autre sont la démonstration que la science loin de s’opposer à la foi est au contraire fécondée par elle. A nous à qui il a été donné d’entendre de nombreux orateurs prestigieux dans l’amphi Foch de l’Ecole militaire, nous pouvons témoigner que la puissante attraction des cours d’Hervé Coutau-Bégarie repose certes sur son savoir prodigieux et son humour parfois féroce mais aussi sur la philosophie classique : celle d’Aristote et de Saint Thomas ; celle qui recherche en toutes choses la Vérité.
Vient le moment de l’absoute. Juste avant, la sœur du professeur prend la parole pour retracer le parcours hors norme de son frère. Elle le fait avec humour et une délicatesse exquise ; son propos est émaillé d’anecdotes – l’argent prévu pour l’essence dépensé dans l’achat de livres avec les conséquences que l’on devine – qui nous font partager l’espace de quelques instants leur vie de famille et donnent à ceux qui sont présents le sentiment d’en être un peu. Paul-Marie Couteaux, l’ami de toujours, lui succède et, citant Victor Hugo, rappelle avec talent et à-propos le savoir « océanique » de celui qui fut un fin connaisseur de l’histoire de la stratégie, spécialiste de la chose maritime mais aussi un grand patriote et un homme véritablement libre, détaché du politiquement correct et des vanités terrestres ; toujours soucieux de transmettre ce que lui-même avait reçu.
Après avoir béni le cercueil, l’assistance s’écoule lentement vers l’extérieur. Sous un ciel maussade, les honneurs militaires sont rendus à celui qui enseigna pendant des années dans plusieurs écoles militaires dont l’Ecole de guerre. La marche funèbre retentit dans la cour d’honneur puis la sonnerie aux morts. Martin Motte, à qui il revient la lourde tâche de succéder au Professeur dans son enseignement, prononce un hommage remarquable à ce père de famille héroïque dans son combat contre la maladie et dans son acceptation du sacrifice puis c’est le tour du général Valentin directeur de l’Ecole de guerre. A travers lui, c’est l’institution militaire qui rend un dernier hommage – profond et sincère - à celui qui l’a si bien servie comme officier de marine dans la réserve et come professeur.
La marche funèbre retentit à nouveau, le cercueil s’éloigne vers la grille où l’attend une voiture noire, suivi de près par la famille et les proches. L’assemblée des « disciples » reste en retrait un moment puis envahit les pelouses pour mieux apercevoir le cortège qui lentement sort de la cour d’honneur. C’est un moment d’émotion intense et d’une pureté extraordinaire.
Le sentiment d’avoir perdu un grand homme est palpable mais la douleur quoique poignante n’est pas envahissante. Dans cet instant solennel, chacun sait ou sent que le Professeur continuera à vivre par sa pensée qui ne manquera pas de faire des émules mais aussi par son exemple car s’il n’est pas donné à tout le monde d’avoir une intelligence et une mémoire aussi exceptionnelles, en revanche, chacun est appelé à conduire sa vie en homme libre et à développer ses qualités morales.
Une famille vient de perdre un mari, un papa, un fils ; l’Ecole de guerre et le monde universitaire, un professeur hors du commun ; la France, un grand patriote mais le paradis y gagne un chrétien fervent et il nous plait d’imaginer l’armée des anges avec à leur tête Saint Michel, réunie dans la cour céleste, écoutant religieusement le Maître leur expliquer – l’œil amusé – les grandes stratégies déployées par les saints au cours des siècles pour repousser les assauts du Malin."