Vendredi avait lieu l’Hommage au lieutenant-colonel Charles-Gilbert de La Chapelle à Orange et le baptême du giratoire de la RN7 à sa mémoire. Chef de corps du 1er régiment étranger de cavalerie en 1960 en Algérie, il entraîna son régiment dans le putsch des généraux en 1961. Lors de son procès, il se présente ainsi :
« fils et petit-fils de soldats, né en 1914 en pleine guerre, je peux dire que j’ai appris sur les genoux de ma mère les sentiments de l’Honneur et de la Patrie… Pour moi il n’y a aucun doute, j’ai suivi la voie de l’honneur. Cette voie passe aujourd’hui par les prisons ».
Il est décédé le 15 avril 2000 à l’âge de 86 ans.
Extrait du discours de Jacques Bompard, en présence de l’épouse du lieutenant-colonel :
[…] Tout d’abord, il faut que je rende à César ce qui est à César, et dise que l’initiative première de ce baptême revient à une suggestion du Souvenir français, association patriotique extrêmement impliquée dans la vie publique orangeoise. Ensuite, il faut que je raconte que ce modeste giratoire n’est pas celui qui aurait dû porter l’auguste nom. Le rond-point sur lequel trône le char un peu plus en aval d’ici devait se nommer ainsi, mais le départ du 1er REC en 2014 a chamboulé ces prévisions, et c’est un autre chef de corps qui reçut prématurément les honneurs. Attachés à tenir notre parole, nous avons enfin pu, 5 ans plus tard, réaliser le vœu de nombreux Orangeois en décidant d’inscrire le Lieutenant-Colonel à la nomenclature de la Ville.
Je remercie les légionnaires du Régiment présents en ce jour. Ils démontrent que leur devise « Honneur-Fidélité » n’est pas un vain mot. Ils nous rappellent aussi le lien indéfectible qui unit notre Ville au Royal Etranger qui fit d’Orange sa garnison de 1967 à 2014. Se souvenir du chef de corps de La Chapelle, c’est aussi témoigner de notre affection pour le 1er REC.
Dès lors, j’en viens au devoir de préserver le souvenir et la mémoire. Je sais que ces mots sont aujourd’hui galvaudés tout à la fois par les fleuristes de Toussaint et les commémorations protocolaires. J’attache une grande importance à redonner leur plein sens aux mots, et particulièrement à ceux-ci.
Jamais nous n’avons connu autant de journées commémoratives inscrites à l’agenda de la République, et jamais les dites journées n’ont eu moins d’écho dans les cœurs et les esprits. Quel sens cela a-t-il d’honorer le sacrifice de ceux qui sont morts pour la patrie à l’heure où l’invasion et la vente du pays sont encouragés par ceux-là mêmes qui ont la charge de le défendre ?
Les trois couleurs sont hissées en haut des mâts, quelques airs militaires retentissent encore dans les cimetières, la population est de moins en moins présente, et bientôt tout cela s’assoupira dans l’ignorance et le mépris, derniers refuges des veules et des cyniques. Or, j’ose croire, Madame, que vous n’attendez pas cela de nous.
Nous ne sommes pas là en effet pour faire comme si, pour faire semblant, pour nous croire encore un peu Français alors que tout nous dit le contraire. « Ce que vous attendez de nous – comme aussi beaucoup d’autres hommes en beaucoup de lieux de la terre – ce sont les idées libératrices qui porteront partout le signal de l’insurrection de l’esprit. Lorsque nous aurons – à Dieu ne plaise ! – déçu cet espoir, nous ne mériterons plus de porter le nom de nos pères, nous ne mériterons plus d’être appelés Français. » Cet avertissement de Bernanos date de 1946, mais comme tout ce qui est universel, il est d’une brûlante actualité.
Alors aujourd’hui, nous voulons encore, à l’image du baron, mériter du nom de Français. Nous voulons par la transmission de sa mémoire vivifier, incarner, montrer la permanence de ce qui a fait la grandeur de notre Nation, la valeur de notre Civilisation. Notre devoir de mémoire n’est pas une obligation desséchée. Nous n’appartenons pas aux sépulcres blanchis des bienséances préfectorales. Nous sommes ici parce que nous croyons. Nous sommes ici, devant vous, parce que nous osons.
Le chancre des mauvais rêves attaque encore les derniers pieds sains et vigoureux. Veut-on rappeler ce qu’est l’honneur français, ce qu’est la noblesse d’un nom, ce qu’est la responsabilité d’un acte et le sens d’une parole donnée ? Voilà l’immense troupeau des traîtres se lever comme un seul homme, montrer les crocs pour salir l’Histoire et la mémoire de ceux qui ont maintenu. Derrière ces atavismes demeure l’irréductible volonté démoniaque de s’attaquer à ce qui est pur et droit, de diviser les cœurs nobles, de renverser les hiérarchies de l’esprit, d’abattre la morale qui caractérise un honnête homme. Creusez, approfondissez, et vous trouverez toujours derrière le mensonge le même auteur, le Malin qui se repaît des âmes viles et des esprits trompés.
En nous souvenant du Lieutenant-Colonel de La Chapelle, cavalier et légionnaire émérite, nous ne poursuivons pas une idéologie. Nous ne mettons pas en avant un parti ou une matrice politique. Nous promouvons en revanche une certaine conception du monde, celle des hommes d’honneur, celle des derniers chevaliers… Là où l’esprit chagrin ne voit qu’exaltation de l’impérialisme colonial, nous désignons un type d’homme en exemple et non de fausses idées. Nous ne théorisons pas. Nous contemplons l’homme d’action. Nous nous souvenons de celui qui a préféré à sa carrière sa parole de soldat, celle de ne pas abandonner une nouvelle fois les populations pour lesquelles il s’était battu.
Il est important de saisir à quel point ces officiers et ces hommes, à peine sortis de la fournaise de la Seconde guerre mondiale, ont été projetés dans le chaos des guerres fratricides excitées par la subversion marxiste et les jeux de pouvoirs des grandes puissances. Au milieu de ce chaos, des hommes ont tenté de maintenir la gloire des armes françaises, mais aussi l’esprit civilisateur qui les a toujours menées. La volonté de ces hommes n’a jamais été d’asservir les peuples, mais au contraire de servir ceux qui leur avaient donné leur confiance.
En Indochine, cela se termina par les abandons, les camps du Viet-Minh et au terrible sentiment de la défaite, l’impression d’avoir été sacrifié pour rien. Deux ans après, les mêmes hommes sont envoyés en Algérie, et la plupart des survivants se promettent de ne pas tomber dans les mêmes erreurs. Ces anciens résistants et soldats des Forces Françaises Libres croient la parole d’un homme qui prétend se placer au-dessus des partis et du désordre politique de la République. Finalement, la terrible réminiscence de l’Indochine ressurgit dans les Aurès, et l’ordre est donnée de livrer des Français, terres et sang compris, à la lame des moudjahidines. Français européens ou Français indigènes, tous, sans distinction de classe ou de foi, sont abandonnés à leur sort malgré la présence et la victoire militaire. Face à cela, une petite minorité d’officiers suivis par des soldats fidèles à leurs chefs exemplaires ont choisi la voie risquée et difficile de l’insubordination pour sauver ce qu’il demeurait de l’honneur.
« Avez-vous bien compris dans quelle erreur des aventuriers vous ont fait tomber ? » demanderont les juges calculateurs et carriéristes au baron de La Chapelle, lequel répondra : « On juge une politique à ses résultats. On ne juge pas l’honneur sur des résultats. »
J’attire l’attention de tous pour préciser que le Lieutenant-Colonel a été rétabli par la suite dans son grade et qu’il put de nouveau porter ses décorations. Notons ses trois citations pour la Croix de Guerre 39-45, la Croix de Guerre des Territoires d’Opérations Extérieures, et ses deux citations de la Croix de la Valeur militaire. Ajoutons son élévation au grade d’Officier de la Légion d’Honneur pour la campagne d’Indochine et la Médaille des Blessés. Que ceux qui trouvent à redire au vécu d’un tel homme ait l’honnêteté intellectuelle d’en évoquer toute l’envergure. A travers des hommes qui ont connu la gloire des héros et l’opprobre des parias, la chaleur des victoires et le froid des geôles, à travers la mémoire de Charles-Gilbert de La Chapelle, si semblable à son compagnon Hélie Denoix de Saint-Marc, nous avons le souvenir de l’honneur. Que leurs mânes ensemencent les esprits des nouvelles générations qui ont pour devoir et mission de se dresser contre l’esprit de trahison et la peur des résignés.
Ce ne sont pas ceux qui veulent vivre, dont l’Histoire se souvient, ce sont qui vivent pour ce qui les dépasse. Il n’y a pas d’aboutissement plus logique à la haine que la détestation de soi. L’enfer se hait lui-même faute d’être capable d’aimer. Pour comprendre le destin de ce chef de corps du 1er Régiment Etranger de Cavalerie, il faut être capable d’imaginer ce que peut représenter d’amour et de don de soi l’engagement d’un militaire prêt à mourir au feu et à la société. Je sais, Madame, que vous l’avez assisté dans cette épreuve et je vous dis ici toute mon admiration. Je sais que Charles-Gilbert de La Chapelle a mené sa vie durant le bon combat, et qu’il n’aurait sans doute pu le faire sans une telle femme à ses côtés.
J’espère, Madame, que le souvenir de l’honneur de votre mari ensemencera les futurs mérites de notre nation. Nous n’en aurons été alors que les humbles passeurs, et nous vous remercions de nous l’avoir permis.”