Comme chaque été, Viktor Orbán a fait un important discours, le 27 juillet, à l’« université d’été de Bálványos », rendez-vous des jeunes nationalistes hongrois qui se déroule en Transylvanie, donc en… Roumanie. Cela fait 30 ans que cette université d’été existe, et cela fait 30 ans que Viktor Orbán y prend la parole.
Extrait de la traduction d’Yves Daoudal :
L’interprétation internationale peut être résumée de la manière suivante : le monde doit fonctionner sur la base des démocraties libérales, principalement en Europe, ces démocraties doivent bâtir et mettre en œuvre une sorte d’internationale libérale, dont un empire libéral doit sortir. L’Union européenne n’est rien d’autre que l’incarnation de cette idée, mais du temps de l’administration démocrate les Etats-Unis réfléchissaient aussi à quelque chose de comparable à l’époque du président Obama, à l’échelle mondiale. Vu sous cet angle, il est clair que ce qui se passe en Hongrie ne correspond pas à ce schéma. C’est quelque chose d’autre. La Hongrie fait autre chose, elle donne le jour à autre chose. Oui, mais à quoi ? A cette question, l’on peut donner une réponse philosophique – nous nous y essaierons – mais aussi une réponse de politique concrète. Je choisirai maintenant cette dernière. C’est à partir de là que l’on peut comprendre ce qui s’est passé et ce qui se passe en Hongrie, quelle était la situation que les forces citoyennes, nationales et chrétiennes ont reçue en héritage en 2010, après avoir gagné les élections avec une majorité parlementaire des deux tiers. Cette situation peut être résumée autour des points suivants. Le premier est que la part prépondérante des charges de la Hongrie était portée par moins de la moitié de la population active. Traduit en chiffres, cela voulait dire que sur les 10 millions de Hongrois, il y en avait 3,6 millions qui travaillaient, sur lesquels 1,8 million payaient des impôts. C’étaient eux qui portaient sur leur dos les charges du pays. Il est clair que c’était là une forme longue et pénible de suicide. Je signale entre parenthèses qu’aujourd’hui 4,5 millions de Hongrois sont au travail, et que tout le monde paie des impôts. Le second problème que nous devions résoudre était que l’endettement avait lentement enseveli sous lui les individus, les familles, les entreprises, et aussi l’Etat. Nous avions hérité d’une situation d’endettement sans espoir. Nous avons constaté en 2010 que l’identité culturelle de notre communauté, de la Hongrie était en pleine décomposition. Nous avons constaté que la conscience de l’appartenance à la nation était en voie de disparition. Nous avons constaté que nos communautés d’au-delà des frontières étaient soumises à une pression assimilatrice constante, à laquelle elles n’étaient pas en mesure de résister. Et nous avons constaté que les capacités physiques préposées à la défense de notre souveraineté : la police, l’armée, étaient sclérosées. Comme Gyula Tellér l’avait écrit à l’époque, la Hongrie était en 2010 en train de se vider matériellement, spirituellement et biologiquement. Le premier ministre et le gouvernement devaient donc répondre à la question de savoir si la solution de ces problèmes hongrois était envisageable dans le cadre de la démocratie libérale ? A cette question, nous avons résolument répondu non. Ce n’était pas envisageable. Ce cadre-là ne permet pas de trouver les bonnes réponses à ces questions. Il fallait donc trouver autre chose. Nous avons déclaré qu’il faut conserver le cadre de l’économie de marché libérale qui subsistait du changement de régime libéral, qu’il faut conserver les institutions démocratiques, juridiques et politiques, mais qu’il faut modifier radicalement le mode de structuration de la société et de la communauté. En d’autres termes : démocratie oui, libéralisme non.
Et c’est alors qu’est arrivé le débat : qu’est-ce donc que cette démocratie illibérale, une démocratie chrétienne à l’ancienne ou un système basé sur la nation ? Il est peut-être utile de rappeler ici en quelques mots la différence entre le premier changement de régime, que nous avons appelé changement de régime libéral, et le second, que nous pouvons appeler changement de régime illibéral ou fondé sur la nation. Nous avons revisité et placé sur de nouvelles bases la relation qui s’établit entre la communauté et l’individu. Dans le système libéral, la société et la nation ne sont rien d’autre qu’une masse d’individus en concurrence les uns avec les autres. Ce qui les rassemble, c’est la constitution et l’économie de marché. Il n’y a pas de nation, ou s’il y en a tout de même une, c’est seulement une nation politique. Je voudrais ici ouvrir une parenthèse et rendre hommage à László Sólyom, qui a fait œuvre définitive pendant sa présidence quand il a étudié et précisé, à la fois juridiquement et philosophiquement, le concept de la nation culturelle par opposition avec la nation politique. Fin de la parenthèse. Puisque donc il n’y a pas de nation, il n’y a pas non plus de communauté, ni d’intérêt communautaire. Voilà, en gros, ce qu’est la relation entre l’individu et la société dans la conception libérale. Face à cela, la conception illibérale ou d’inspiration nationale affirme que la nation est une communauté déterminée par son histoire et sa culture, une organisation qui s’est formée au cours de l’histoire et dont les membres doivent être protégés et préparés à faire face ensemble aux défis du monde. Dans la conception libérale, la performance individuelle, ce que fait chacun, s’il vit une vie productive ou une vie improductive, est une affaire strictement personnelle et ne peut pas faire l’objet d’un jugement moral. Face à cela, dans un système d’inspiration nationale, la performance individuelle qui mérite en premier lieu la reconnaissance est celle qui sert en même temps le bien de la communauté. Il faut l’entendre au sens large. Voilà par exemple nos patineurs qui ont gagné une médaille d’or : une performance sportive d’excellence est aussi une performance individuelle qui sert en même temps le bien de la communauté. Quand nous les citons, nous ne disons pas qu’ils ont gagné une médaille d’or, mais que nous avons gagné l’or olympique : leur performance individuelle a bien clairement servi aussi les intérêts de la communauté. Dans un système illibéral ou d’inspiration nationale, la performance digne de reconnaissance n’est pas une affaire personnelle et revêt des formes bien définies. Il en est ainsi de l’auto-responsabilisation et du travail, de la capacité à créer et à subvenir à sa propre existence, de l’étude et d’un mode de vie sain, du paiement de l’impôt, de la fondation d’une famille et de l’éducation des enfants. Ou encore de la capacité à s’y retrouver dans les affaires et dans l’histoire de la nation, et de la participation à la réflexion sur le devenir de la nation. Ce sont des capacités que nous reconnaissons, que nous valorisons, que nous considérons comme de rang supérieur et que nous soutenons. Voilà en quoi ce qui est arrivé en Hongrie en matière de relation entre l’individu et la société diffère totalement de la situation qui prévalait en 1990, au moment du changement de régime libéral.
Et de la même manière, nous avons replacé sur de nouvelles bases notre réflexion et notre culture en matière de relations entre individus. Pour simplifier tout en gardant l’essentiel, dans un système libéral la règle est que tout ce qui ne porte pas atteinte à la liberté d’autrui est permis. C’est la boussole de l’action individuelle. Parenthèse, petit problème : qu’est-ce qui, au bout du compte, ne porte pas atteinte à la liberté d’autrui ? Quelque chose qui en général est défini par les plus forts. Mais laissons cela entre parenthèses. Au lieu de cela, ce qui se passe maintenant chez nous, ou ce que nous essayons maintenant de mettre en place, suit une autre boussole et déclare – en revenant à une vérité bien connue – que la bonne définition de la relation entre deux individus ne consiste pas à dire que tout le monde a le droit de tout faire qui ne porte pas atteinte à la liberté d’autrui, mais que tu ne dois pas faire à autrui ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse à toi-même. Et même plus : ce que tu voudrais que l’on te fasse, fais-le à autrui aussi. C’est une base différente.
Et nous voici arrivés à la question politique la plus délicate et la plus sensible : le mot « illibéral ». Chaque fois que j’observe ce pitoyable et précautionneux débat, le film emblématique de notre génération, Monty Python et le Saint Graal (en hongrois : Gyalog Galopp, « galop à pied », NdT) me vient à l’esprit, où lorsque les chevaliers « chevauchent », qu’ils se trouvent dans la forêt face aux géants, il y a un mot qu’il ne faut pas prononcer. Et là ils restent figés sur place dans le film pendant des minutes entières, parce qu’il ne faut pas prononcer le mot dont tout le monde sait qu’il faudrait le prononcer. C’est ce qui se passe en politique internationale avec le mot « illibéral ». La raison en est que les libéraux, qui sont tout sauf incompétents, ont créé de toutes pièces l’interprétation à lui donner, à savoir qu’elle n’est qu’une expression dotée d’un sens privatif, une démocratie déguisée. Un système qui se déguise en démocratie, mais qui en réalité ne l’est pas. Les libéraux ont donc créé ces deux affirmations : la première, que la démocratie est nécessairement libérale, et la seconde, que la démocratie chrétienne est elle aussi nécessairement libérale. Ces affirmations sont à mon avis toutes deux erronées, car il est certain que c’est le contraire qui est vrai : la démocratie libérale n’aurait jamais pu voir le jour sans le substrat culturel chrétien, car la vraie situation – celle qui paraît invraisemblable à première vue – est celle où dans les décisions les plus importantes pour un pays, lorsqu’il s’agit de déterminer dans quelle direction il faut aller et à qui devra être confié le soin de la mise en application de la décision prise, les suffrages de deux individus – dont l’un, disons, n’a même pas son certificat d’études et l’autre est le président de l’Académie – ont la même valeur. L’un a plutôt besoin d’assistance, l’autre paie d’énormes d’impôts, et malgré cela leurs voix respectives ont la même valeur. L’un comprend le monde, l’autre ne manifeste aucun intérêt vis-à-vis du monde. Et malgré cela, leurs voix respectives ont la même valeur. Il n’est possible de créer une construction politique qui s’appelle démocratie – et qui, par voie de conséquence, est à la base de la démocratie libérale – que si l’on trouve un concept particulier qui fait en sorte que ces individus clairement différents les uns des autres soient tout de même égaux, et que l’on puisse donc prendre leur opinion en compte avec la même pondération. Et cela ne peut pas être autre chose que la proposition chrétienne, qui nous enseigne que nous avons tous été créés à l’image du Bon Dieu.
La démocratie libérale ne peut donc exister dans le monde que là où une culture chrétienne a préalablement existé. Cela est géographiquement et historiquement démontrable. L’affirmation selon laquelle toute démocratie est nécessairement libérale et que la démocratie chrétienne doit elle aussi être libérale est tout simplement fausse. La démocratie libérale n’est restée viable que tant qu’elle n’a pas abandonné ses bases chrétiennes. Elle a exercé une influence bénéfique sur l’humanité tant qu’elle a protégé la liberté individuelle et la propriété. Mais quand elle a commencé à démanteler les liens qui unissent l’homme à la vie réelle, qu’elle a mis en question l’identité de genre, qu’elle a dévalorisé l’identité confessionnelle, qu’elle a considéré comme inutile l’attachement à la nation, le contenu de la démocratie libérale s’est radicalement modifié. Et la vérité est que sur les vingt à trente dernières années, c’est cette tendance qui a marqué l’esprit public européen. […]
sivolc
Magistral, clair, lumineux comme la Vérité chevauchant le Courage. Merci à SB et YD.
Meltoisan
Grâce à vous, je découvre Orban sous un jour que je ne connaissais pas. Il y a une vision gaullienne chez lui.
Cela me change de ceux qui veulent le faire passer pour un imbécile et qui ne lui arrivent pas à la cheville, à commencer par un certain Macron…. et la majorité des journalistes de France qui ont la parole.
AFumey
Cher Robert Marchenoir, vous êtes tellement prévisible dans votre refus du christianisme et des corps intermédiaires qu’il faudrait vous inventer si vous n’existiez pas. Vous tentez avec vaillance de défendre les positions totalitaires gauchistes, moralement indéfendables, et provoquez ici un renforcement de la compréhension des mécanismes en œuvre. Pour cela nous vous devons de chaleureux remerciements.