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Il faut faire très attention à la rhétorique des deux camps

Alors que la dernière représentation de Golgota Picnic a lieu demain, avec, comme chaque soir, des catholiques en prière devant le théâtre (y compris hier, dans la tempête), et alors que Jean-Michel Ribes refuse tout dialogue avec le collectif Culture et Foi, deux réflexions dépassionnées viennent dresser un premier bilan. D'abord celle de Jean-Marie Guénois, qui termine :

C"A première vue, ces « utras-catholiques » ont médiatiquement pris le pas sur les catholiques. Car en refusant de se mouiller frontalement – pour ne pas faire de publicité aux spectacles et pour ne pas faire le jeu de certains lefebvristes et du Front national – l'Eglise catholique s'est effectivement retrouvée au second plan, sur un strapontin médiatique. A ce titre, les 7 000 personnes massées, le 8 décembre, à Notre Dame de Paris, soir de la première au théâtre du Rond Point, pour vénérer la couronne d'épines sont presque passées inaperçues contrairement aux 2 000 « ultra-catholiques » qui manifestaient. Dans la grammaire médiatique et dialectique courante, ces derniers étaient considérés comme les « vrais » opposants. […]

Quant à la supposée réussite médiatique de Civitas, saluée par beaucoup, depuis une semaine, elle me parait très discutable. Ce mouvement peut avoir l'impression d'être entré sur la scène publique. Il s'est fait un nom. Mais réalise-t-il qu'il a joué un rôle à son insu dans cette affaire et qu'il a été largement utilisé comme faire valoir ? Loin d'être normalisé il est donc déjà marginalisé. Son audience n'existe et n'existera que par rapport à l'objet de ses protestations, ces spectacles ou d'autres scandales à venir. Et non par ses propositions totalement irrecevables dans le cadre de la laïcité française et formellement rejetées par l'Eglise catholique.

En ayant couvert cette polémique, j'ai eu l'impression que la pièce était souvent autant à l'extérieur du théâtre qu'à l'intérieur. Chacun a joué son rôle remarquablement, certains sans en avoir conscience. Une fois les lampes éteintes, il reste peu de choses. Ceux qui pensent avoir gagné une notoriété seraient bien inspirés de méditer sur la vanité et l'illusion de cette notion surtout quand elle s'obtient dans l'instantané d'un conflit violent et médiatique. La notoriété durable et la crédibilité obéissent à d'autres critères.

La seconde, plus longue, de Gérard Leclerc, qui a toujours cherché à éviter la division entre catholiques :

"Je n’ai aucune indulgence pour les productions artistiques perverses et j’ai explicitement dénoncé «  les exhibitionnistes  » qui nous imposaient leurs fantasmes. La difficulté pour moi ne consistait pas à désavouer des spectacles pénibles et troubles mais à trouver les réponses adaptées à la nature de la provocation. Et celles-ci ne pouvaient consister en un appel à «  la croisade  ». Qu’on me pardonne ce raccourci, sur lequel il me faut m’expliquer sérieusement. Il s’agit d’un vrai désaccord qu’il convient d’aborder avec toute la franchise possible. J’espère que la fraternité n’y perdra pas ses droits. Je dois en priorité à ceux dont je conteste les positions l’élémentaire courage de dire les choses.

CLe mieux pour poser les termes de la discussion est de se référer à un texte en vis à vis. Un texte pensé, écrit, proclamé dans le but d’exprimer la cohérence d’une position avec les conséquences qui s’en suivent. J’ai cru avoir trouvé cette référence indispensable dans l’intervention que l’abbé Régis de Caqueray a faite au terme de la procession des fidèles de Saint Nicolas du Chardonnet, en la fête de l’Immaculée Conception. […] C’est là que l’abbé de Caqueray a prononcé devant une assistance imposante cette «  homélie  » que j’ai lue avec beaucoup d’attention. J’avoue même qu’elle m’a «  bluffé  » par sa belle tenue, la conviction qui la portait et surtout la démonstration rigoureuse qu’elle menait a un degré supérieur de précision. Je ne puis évidemment en analyser tous les termes, toutes les implications théologiques dont certaines nous sont absolument communes. Je ne reprocherais sûrement pas à l’abbé un certain radicalisme évangélique fondé sur la certitude que le Christ est notre seul Sauveur. J’adhère aussi à cette proposition selon laquelle il faut prier pour tous nos frères les hommes, y compris pour ceux avec lesquels nous sommes en plein combat […].

Mon objection concerne l’axe principal autour duquel est construite cette homélie et que l’on pourrait résumer en une proposition  : « Ne croyons donc pas qu’il existe trois camps. Il n’en existe que deux, celui de Jésus-Christ et de la Sainte Église catholique d’une part  ; celui du diable qui cherche à dévorer les âmes, comme un lion rugissant, pour les faire tomber dans le péché, les y maintenir et les précipiter en enfer, d’autre part. » En soi, cette proposition n’est pas scandaleuse, si elle se réfère à la thématique johannique du «  monde  », qui appartient à l’ennemi, celui qui hait les disciples du Christ «  Si le monde vous hait, sachez qu’il ma haï avant vous  ». (Jn. 15,14) On pourrait aussi alléguer la thématique des deux cités de saint Augustin. Oui mais attention  ! L’augus­tinisme politique a pu donner lieu à de graves équivoques. S’il y a entre la Cité de Dieu et la Cité des hommes une distance qui ne sera pas abolie avant la consommation des siècles, c’est qu’elle correspond à l’indécision d’un monde qui demeure en proie à des sollicitations multiples. C’est pourquoi il faut se rapporter également à la parabole du bon grain et de l’ivraie (Mt. 13,24-36). Ici-bas les choses sont mêlées. C’est pourquoi il faut faire très attention à la rhétorique des deux camps. Cette transposition belliqueuse des deux Cités peut déraper dans la désignation d’un ennemi univoque, chargé de toutes les fautes. Et certes, l’abbé de Caqueray n’est pas en peine de désigner chez l’adversaire tous ses vices, ses erreurs funestes et plus encore des affinités gnostiques, voire lucifériennes.

De ce point de vue, on devrait prêter attention à certains aspects nullement anodins de Castellucci, lorsqu’il blasphème délibérément  : « L’ange de l’art c’est Lucifer. » De même l’analyse esquissée de la pièce de Garcia est pertinente. Il y a tout un jeu perfide pour exalter la transgression, la chute et le péché. Cela suffirait à légitimer la protestation de chrétiens qui ont plus que raison de dénoncer cette opération blasphématoire. Alors, où est le désaccord  ? Il réside dans la tentation de figer le combat spirituel hic et nunc entre deux camps irréconciliables et de concevoir l’ensemble sur un modèle homogène campé sur un front immuable. […] Oui, il y a un combat spirituel à mener. Non, il ne se déroule pas forcément dans des conditions simples et manichéennes, d’autant qu’il nous concerne nous-même avant de définir l’ennemi. C’est pourquoi il ne suffit pas de dénoncer à bon escient. Il faut tenter aussi l’attestation de la foi et l’évangélisation de terres incertaines ou se poursuit le combat de l’homme et de l’ange. Il faut protester, mais il faut aussi expliquer, persuader sous le mode pascalien. Cela implique de trouver d’autres moyens d’expression que les postures guerrières. Sans doute faut-il parfois reprendre les exorcismes nécessaires contre les forces infernales. Mais il faut aussi annoncer la beauté du Royaume selon les Béatitudes et la gloire du Ressuscité. Quant au monde, il est à aimer en ce qu’il est aimable et en ce qu’il y a encore de lui à sauver."

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