Partager cet article

Liberté d'expression

“Il faut se méfier lors d’une interview au moins autant que lors d’une procédure policière”

“Il faut se méfier lors d’une interview au moins autant que lors d’une procédure policière”

Michel Houellebecq a été interrogé dans le JD News :

[…] Mon pire procès a été le sous-produit d’une interview. Il faut se méfier lors d’une interview au moins autant que lors d’une procédure policière. Déjà, dans les feuilletons américains, au moment de votre arrestation. on vous dit que vous avez le droit de garder le silence ; cela est contraire au principe même de l’interview. Par la suite, lorsque vous êtes en garde à vue, vous avez le droit à la présence d’un avocat. Pour en revenir au chapitre « conseils aux jeunes auteurs », je pense qu’ils devraient demander à leur éditeur l’assistance d’un avocat pendant toute la durée de leurs interviews.

Je parle sérieusement ; nous en sommes là, et le budget pour l’éditeur ne serait pas considérable, une interview est moins longue qu’une garde à vue, c’est d’ailleurs son seul avantage. Il me semble aussi qu’à la fin d’une garde à vue, on doit relire et signer sa déposition. Là je viens de faire une interview avec le Financial Times, ils m’ont carrément refusé le droit de me relire. Je crains le pire.

Vous avez notamment été attaqué en 2001 après vos propos au sujet de l’islam dans le magazine Lire…

L’interview de Lire ne portait pas principalement sur l’islam, pas davantage que mon livre d’ailleurs. Il y avait trois phrases qui pouvaient choquer, mais qui seraient passées inaperçues si le directeur de la publication de l’époque, Pierre Assouline, n’avait pas consacré son éditorial à dénoncer le scandale. Mais à l’époque les gens étaient moins prompts à la censure, ils réagissaient plus lentement. Les dénonciateurs, aujourd’hui, se sont multipliés.

Plus de vingt ans après, pour d’autres propos dans Front populaire, vous êtes à nouveau menacé. Quelle est la différence entre ces deux époques ?

Là, c’est de ma faute, parce que j’ai été autorisé à relire mes propos, mais l’interview était très longue, j’ai dû avoir un passage à vide. De fait, j’ai l’air de dire dans la version originale que l’islam favorise la délinquance, alors que je pense à peu près le contraire, je pense qu’un islam rigoriste et pieux protège les jeunes de la délinquance.

Le combat contre la liberté d’expression se joue-t-il désormais avec ces cabales dans les médias et sur les réseaux sociaux ?

Ça s’est développé, certainement. Le moindre tweet est surveillé. Internet réveille ce qu’il y a de pire chez les gens, on le voit déjà lorsque des articles sont ouverts aux commentaires : ce sont toujours les plus bêtes, les plus vulgaires et les plus haineux qui s’expriment. La lie de l’humanité.

Parfois, il n’y a pas besoin d’interview pour connaître ce type de procès.

En effet, parfois, il suffit de parler en public. Je me souviens de John Galliano, il était complètement saoul dans un bar, il dit : « Il faudrait tuer les gens comme vous », on ne sait même pas de qui il parle. Ça lui a coûté sa carrière. Une fois, j’étais avec mon ami Benoît Duteurtre, disparu récemment, au 25e anniversaire de L’Atelier du roman. On bavardait au milieu d’une foule dont nous nous sommes écartés. À un moment donné, je vois un micro au-dessus de nous. Il y a un type au bout du micro, au bout de la perche, qui était journaliste à France 2. Il me semble même que c’était l’émission qui a fait chuter Depardieu, je ne sais pas comment ça s’appelle.

Complément d’enquête.

Voilà. Je lui ai dit : « Vous nous enregistrez ? C’est une blague ? » Eh bien oui, ils font ça. Ils guettaient le dérapage, j’imagine.

Et au bout de la polémique, il y a souvent la mort sociale…

Dans le cas de Galliano c’est certain, et dans le cas de Gérard j’ai bien peur que ce ne soit la même chose. Je vais vous dire ce qui m’a vraiment choqué dans l’affaire Depardieu. Il est accusé d’un crime grave, de deux viols ; dans un des cas il y a eu un non-lieu, mais la fille a fait appel, c’est son droit. La justice, comme on dit, doit faire son travail, mais elle n’a pas encore rendu son verdict. S’il est coupable, il doit être condamné – à titre personnel je ne crois pas qu’il soit coupable, mais ce que je crois c’est sans valeur.

Ce que j’ai trouvé horriblement, profondément choquant, c’est que ces accusations m’ont semblé peser moins lourd dans son lynchage que quelques propos graveleux prononcés dans une télé à la con, et sans doute montés en exergue par un montage fallacieux. Que des paroles puissent vous discréditer davantage que des actes, là ça ne va vraiment plus du tout. J’ai toujours trouvé que les capacités prédictives d’Orwell étaient surévaluées, mais en l’occurrence, quand même, on s’approche du crime parole. […]

Partager cet article

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services