Monseigneur Tony Anatrella est interrogé par Zénit sur la Relatio finale du synode. Extraits :
"[…] On a d’ailleurs vu apparaître chez certains Pères synodaux une attitude parfois anti-intellectuelle et anti-juridique en voulant opposer les idées et les lois de l’Église aux personnes. L’Évêque ne devrait plus être le pasteur qui gouverne son diocèse selon les concepts et les lois de l’Église mais avant tout, être proche des personnes et des situations particulières. Une attitude qui est à l’image de ce qui se faisait, il y a quarante ans, lorsque des pères de famille voulaient davantage être le « copain » de leurs enfants que l’adulte qui représente la loi symbolique permettant à la famille de se structurer. À ne voir que la relation aux personnes, on risque de passer à côté des idées qui mènent le monde et structurent les psychologies individuelles. En agissant de la sorte, les pasteurs sont sans doute très gentils et seront gratifiés par le monde, mais ils ne font pas leur travail pour éduquer l’intelligence de la foi et des mœurs qui en découlent.
Le travail de discernement est un projet très délicat qui nécessite, répétons-le, des prêtres particulièrement formés au sens de l’écoute, du discernement et de l’évaluation morale des situations particulières. Il est difficile de séparer ces trois attitudes conjointes. Ce qui est une ancienne pratique d’évaluation pastorale de l’Église qui s’inspire de la théologie morale et des règles de droit (cf. Code de droit canonique) pour le salut des personnes, mais qui a souvent été oubliée. Le risque est de vouloir écouter pour écouter. Or l’écoute n’est jamais une fin en soi ! Elle s’effectue toujours en vertu d’un objectif précis. L’écoute du prêtre, du directeur spirituel ou du confesseur, l’écoute du commerçant, l’écoute de l’agent d’une administration ou encore l’écoute d’un psychothérapeute n’est pas la même et n’a pas le même but. Au nom de l’écoute on peut simplement s’arrêter à la demande, voire à la plainte du demandeur sans se croire autorisé à dire une parole qui incline à prendre telle ou telle décision morale dans le domaine qui nous concerne ici et qui est pastoral.
Les Pères synodaux n'ont-ils pas été guidés par l’anxiété de la non-discrimination et le refus de tout jugement ?
En psychiatrie sociale nous étudions l’impact des idées, des faits et des clichés sociaux sur les psychologies et sur les pathologies. Tout le monde est concerné par ce type d’influence qui induit les raisonnements et les comportements. À l’issue de ce Synode, il y a une sorte d’euphorie journalistique à dire « enfin, nous sortons du permis et du défendu » parfois à l’image du désir des adolescents qui sont dans l’illusion de vouloir s’émanciper de toutes les lois. Les pasteurs de l’Église doivent-ils être pris au piège de cette méprise ? Certes, pour revenir à votre question, il ne s’agit pas de juger pour condamner, mais de juger pour discerner et faire œuvre de compréhension. La perspective de l’écoute est sans doute généreuse, elle n’en demeure pas moins très exigeante de la part des pasteurs et implique une formation très singulière. Nous avons à découvrir ce que représente le sens du discernement à travers la casuistique, l’une des disciplines classiques de l’Église où chaque cas est retenu pour lui-même, par exemple afin de préciser les modalités de son accès aux sacrements.
Il a également été dit à propos des divorcés remariés qu’ils doivent « être intégrés dans les communautés chrétiennes selon les divers modes possibles, en évitant toute occasion de scandale… Il faut discerner quelles formes d’exclusion actuellement pratiquées dans le domaine liturgique, pastoral, éducatif et institutionnel peuvent être dépassées » (cf. les n. 77, 84, 85).
Là aussi, comment prendre ce type de décision sans être enfermé dans telle ou telle situation et en oubliant que la rupture avec l’économie des sacrements implique de ne pas être en mesure d’exercer des responsabilités ecclésiales ? Vaste question que l’on ne peut pas résoudre sentimentalement pour simplement faire plaisir aux uns et aux autres, voire en sacrifiant à l’air du temps qui ne supporte ni « discrimination », ni exclusion. Il y a des situations objectives qui provoquent cet état de fait et qui n’est pas l’expression d’un rejet de la part d’un prêtre ou de l’Église. Le risque ici est de s’abandonner au subjectivisme et encore davantage lorsqu’on fait référence au « for interne » qui serait le lieu des ultimes décisions du sujet face aux exigences de l’Évangile et lui permettrait ainsi de décider intérieurement, par lui-même, de la validité de son mariage.
Le recours au « for interne » (n. 86) a encore besoin, là aussi, d’être travaillé car dans les mentalités actuelles il risque d’être compris dans le sens où chacun fait ce qu’il veut. Un principe qui est cher aux conférences épiscopales d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse qui cherchent une voie de passage, relativement démagogique, face à la sortie de l’Église de personnes divorcées qui ne paient plus l’impôt religieux. […]"