Jean-Didier Lecaillon, professeur émérite de l’université Paris-Panthéon-Assas, a consacré une partie de ses travaux à la dimension familiale de la vie économique. Dans cet ouvrage sur La Famille au coeur de l’économie, il examine le rapport entre la famille et la vie économique du pays, son importance, son coût, ses apports matériel et immatériel. En effet, la famille, premier lieu de sociabilisation et d’apprentissage de l’être humain, est aussi celui d’interactions dépassant le cadre des échanges commerciaux. Unité économique de base, elle est indispensable au bon fonctionnement de l’économie.
Si l’Église catholique lui accorde une attention privilégiée dans sa doctrine sociale, la considérant comme la cellule de base de la société, sa place centrale dans l’organisation de la société semble remise en question depuis plusieurs décennies. Privilégiant une approche économique, appuyé sur un travail de recherche effectué au sein de l’Association des économistes catholiques, cet ouvrage souligne que la société ne peut fonctionner durablement sans soutenir l’institution familiale. A l’heure du développement durable, il est primordial de favoriser la famille, plutôt que de se concentrer sur des politiques de court-terme. Ce raisonnement permet de clarifier les enjeux et de les mettre en perspective, pour ouvrir la voie à une refondation moderne et ambitieuse de ce qu’il est convenu d’appeler la politique familiale, qui doit être perçue comme un investissement.
L’auteur se penche notamment sur l’importance de la démographie comme moteur de l’économie. Au vu du nombre de naissances actuelles, nous pouvons prédire le nombre de nouveaux actifs dans 25 ans, et cela n’est pas très enthousiasmant, notamment quand on sait que le système de retraites est payé par les actifs… Mais 25 années, c’est très long pour nos politiciens, habitués des échéances électorales à 5 ans.
Il peut paraître surprenant de devoir rappeler une telle évidence, mais il faut bien reconnaître que, dans les faits, les êtres humains sont souvent plus négligés que d’autres espèces : que diraient les écologistes si depuis plusieurs décennies le taux de fécondité des baleines s’était effondré pour se situer en deçà du seuil de renouvellement ? Ils alerteraient certainement l’opinion publique sur cette catastrophe écologique planétaire ! Mais les mises en garde sont beaucoup plus discrètes s’agissant de l’espèce humaine…
Pourtant, le développement durable étant celui qui garde l’avenir ouvert pour les générations futures, il ne peut être assuré si l’on oublie les êtres humains. Le principe de précaution ne devrait-il pas s’appliquer aussi à l’économie et à la société notamment en ce qui concerne la troublante corrélation entre croissance ou récession économique et dynamique ou régression démographique ?
L’idée principale à développer peut être illustrée de la façon suivante : si le progrès technique est largement évoqué pour expliquer les écarts de taux de croissance du revenu par tête et de là les différences de richesse sur le long terme, n’y aurait-il pas également un effet de “multiplicateur démographique” ? Une telle hypothèse permet de mieux comprendre pourquoi la croissance, et surtout les gains de productivité des années 1950 et 1960 par exemple, ont été en moyenne deux fois plus élevés que dans les années 1980 et 1990 marquées pourtant par des révolutions techniques importantes, sources théoriques de gains de productivité.
Sur le plan immatériel, l’auteur se penche aussi sur les bienfaits du travail domestique, difficile à évaluer sur le plan économique, en soulignant notamment les coûts induits par son absence, lorsque les parents sont séparés par exemple.
[L]’activité parentale est également performante du point de vue économique. Certains diront “qu’elle n’a pas de prix” ce qui se traduit souvent par “cela ne vaut rien”. Cette façon d’échapper à une difficulté certaine n’est pourtant pas adaptée à une vision d’avenir et, surtout, elle ne permet pas de faire des choix justes et efficaces. Constater que la comptabilité nationale ainsi que beaucoup d’économistes font de redoutables impasses est une chose, tronquer sciemment notre perception de la réalité et en conséquence nos choix en est une autre. La plus grosse de ces impasses, c’est la prise en compte du travail accompli au sein de la famille. Communauté de base de la société, la famille assure gratuitement des prestations vitales pour celle-ci, même considérées sous l’angle économique concret : outre la solidarité et les services mutuels de ses membres, elle est le lieu de la naissance et de l’éducation des enfants, donc de la reproduction de la société ; c’est l’endroit où se fait l’investissement le plus vital pour elle. Or ce travail n’est comptabilisé nulle part, et donc n’est pas considéré. L’impasse va même plus loin car, à bien des points de vue, l’unité de base économique réelle n’est pas l’individu, mais la famille : les “agents économiques” ne prennent-ils pas en effet leurs décisions de dépense et d’investissement dans ce cadre ? C’est donc en prenant en compte cette dimension essentielle que la science économique devrait examiner leur comportement ; trop souvent, c’est l’individu seul qui est considéré.