Mgr Ravel, évêque aux armée, est intérrogé par Famille Chrétienne sur l'engagement français en Afghanistan. Extraits :
" (…) En Afghanistan, la question de la mort n’est pas théorique. Nous avons peut-être un peu oublié que la guerre était un lieu où la mort planait constamment (…) Les familles de militaire en ont pleinement conscience, elles qui tremblent à l’idée qu’un mari ou un enfant parte là-bas et ne revienne pas (…)
Il faut rappeler la pensée de l’Église sur le sujet : pour elle, il n’y a pas de guerre intelligente, pas plus qu’il n’y a de belles et bonnes guerres. Nous avons aussi parlé de guerre juste, même si le terme est difficile à employer et d’ailleurs certains théologiens ne trouvent pas pertinent d’accoler ces deux mots. Car en parallèle, l’Église a toujours dit que la guerre était un pis-aller, un cauchemar, elle nous met toujours au milieu de la folie et de l’irrationnel. Il faut extirper de la tête de quelques personnes un peu exaltées l’idée que la guerre ressemble à une belle charge de cavalerie. La guerre est un extrême, qu’il faut éviter à tout prix car, même si elle est parfois nécessaire, nous savons qu’elle laissera toujours des cicatrices profondes.
L’homme n’est pas fait pour la guerre, il est fait pour habiter en paix ; il n’est pas fait pour donner la mort, mais au contraire la vie. Celui qui donne la mort, même s’il est légitime qu’il le fasse, en gardera toujours une blessure profonde. Ainsi, les militaires qui partent en Afghanistan ont bien conscience que ce conflit doit s’arrêter et que le plus tôt sera le mieux (…)
N’oublions jamais que le militaire est un homme. Et dans la pensée chrétienne, l'homme n'est pas fait pour la mort. La mort, même si nous sommes remplis d’espérance, reste quelque chose de rude et d’anormal. Elle ne fait pas partie du projet initial de Dieu.
Ainsi, quelle que soit la nature de la mission du militaire, la mort reste rude. Nous ne pourrons donc jamais nous y habituer, dans l’armée comme ailleurs. Nous avons ainsi le devoir de ne pas nous y résigner, et c’est pour cela que les corps des militaires sont protégés par tous les moyens.
Ceci dit, quand un militaire accepte sa mission, la perspective de la mort pèse sur ses épaules. De même, le militaire peut à son tour faire peser cette menace sur l’adversaire à travers ses propres armes. Et s’il peut donner la mort, c’est aussi parce qu’il est susceptible de la recevoir."
Sibuet
Je ne suis pas sûr que l’Eglise ait “toujours” parlé comme cet évêque. Ce dernier aurait peut-être intérêt à (re)lire saint Bernard :
Pour les chevaliers du Christ, au contraire, c’est en toute sécurité qu’ils combattent pour leur Seigneur, sans avoir à craindre de pécher en tuant leurs adversaires, ni de périr, s’ils se font tuer eux-mêmes. Que la mort soit subie, qu’elle soit donnée, c’est toujours une mort pour le Christ : elle n’a rien de criminel, elle est très glorieuse. Dans un cas, c’est pour servir le Christ ; dans l’autre, elle permet de gagner le Christ lui-même : celui-ci permet en effet que, pour le venger, on tue un ennemi, et il se donne lui-même plus volontiers encore au chevalier pour le consoler. Ainsi, disais-je, le chevalier du Christ donne-t-il la mort sans rien redouter ; mais il meurt avec plus de sécurité encore : c’est lui qui bénéficie de sa propre mort, le Christ de la mort qu’il donne.
Car ce n’est pas sans raison qu’il porte l’épée : il est l’exécuteur de la volonté divine, que ce soit pour châtier les malfaiteurs ou pour glorifier les bons. Quand il met à mort un malfaiteur, il n’est pas un homicide, mais, si j’ose dire, un malicide. Il venge le Christ de ceux qui font le mal ; il défend les chrétiens. S’il est tué lui-même, il ne périt pas : il parvient à son but. La mort qu’il inflige est au profit du Christ ; celle qu’il reçoit, au sien propre. De la mort du païen, le chrétien peut tirer gloire, puisqu’il agit pour la gloire du Christ ; dans la mort du chrétien, la générosité du Roi se donne libre cours : il fait venir le chevalier à lui pour le récompenser. Dans le premier cas, le juste se réjouira en voyant le châtiment ; dans le second, il dira : “Puisque le juste retire du fruit de sa justice, il y a sans doute un Dieu qui juge les hommes sur la terre.”
Pourtant, il ne convient pas de tuer les païens si l’on peut trouver un autre moyen de les empêcher de harceler ou d’opprimer les fidèles. Mais, pour le moment, il vaut mieux que les païens soient tués, plutôt que de laisser la menace que représentent les pécheurs suspendus au-dessus de la tête des justes, de peur de voir les justes se laisser entraîner à commettre l’iniquité.
Saint Bernard, “De laude novae militiae”, cité par Jean Richard,
dans L’Esprit de croisade, Paris, 1969
PK
@ Sibuet
Saint Bernard ne parle pas de la guerre en général mais de la croisade pour la reconquête du tombeau du Christ…