Le 29 mars 2025 avait lieu en Vendée, dans les bois du célèbre Logis de la Chabotterie, une très belle et émouvante cérémonie à la Croix de Charette, lieu où fut arrêté le Généralissime des Armées Catholiques et Royales, il y a 230 ans. Cérémonie organisée par les Amis de la Chabotterie avec le soutien de l’association Jubilé de la Vendée.
En exclusivité pour le Salon Beige, voici l’allocution prononcée au nom du généralissime :
« Moi, François Athanase Charette de La Contrie, je garde un souvenir précis de ce lieu même où vous êtes ici fidèlement rassemblés. Cela fait précisément 229 années. Ce lieu où mon cher garde du corps, Pfeiffer, m’enlève de force mon couvre-chef pour s’en coiffer, puis pour courir dans les bois, juste ici, devant vous. Pour, en se signalant ainsi aux bleus, aller à une mort certaine. Sacrifice accepté de sa personne, pour que je vive. Ou tout au moins pour que je vive encore un peu, le temps de terminer mon épopée avec panache, puisqu’il ne m’est resté plus que lui à défendre.
Mais que vois-je venir là ? Oui c’est bien lui mon vieux panache tout écorné, tout cabossé. Il revient, il témoigne toujours d’une foi, d’une espérance (le panache est déposé au pieds de la croix).
Mais, jadis, comment suis-je arrivé ici même, moi qu’on a appelé le « Roi de la Vendée », pour finir abandonné par presque tous, traqué comme une bête sauvage, alors qu’il y a peu encore nous étions si près de la victoire ? Moi qui ai combattu souvent, qui fut battu parfois, mais qui ne fut jamais abattu.
Je me souviens de la chute de ce tyran, Robespierre, qui voulait régénérer l’humanité, faire un homme nouveau ! Il lui fallait donc pour cela éliminer l’homme ancien, l’homme de nos bocages et de nos marais qui voulait tout simplement continuer à vivre paisiblement sa foi. Je me souviens de cette Convention atterrée face à notre puissance que rien ne semblait pouvoir arrêter. Je me souviens de ces généraux craintifs de l’armée de l’Ouest, à bout, et qui nous ont proposé la paix.
J’ai voulu cette paix. Beaucoup de mes proches craignaient que ce ne fut qu’un piège pour tuer notre résistance. Mais contre ces avis prudents et inquiets, j’ai espéré. J’ai gardé un immense espoir grâce à une clause secrète. Clause qui devait tout changer, mais que je ne pouvais confier à mes proches tant elle était fragile et risquée.
J’ai accepté à la Jaunaye un traité aux conditions vivement négociées. Que notre religion soit libre, d’abord. Que le territoire insurgé soit érigé en un corps de nation. Que l’armée vendéenne devienne une garde territoriale. Et, suite à sa tentative d’extermination, que notre peuple reçoive une juste indemnisation afin qu’il puisse revivre autant que possible, mais aussi pour confirmer cette infamie aux yeux des générations à venir.
J’ai bâti tout près d’ici, vers le midi à guère plus de trois lieues, une demeure qu’on appellera « Palais royal ». Cela m’a fait bien rire tant elle était accueillante mais modeste. Mon dessin politique était ambitieux. Je l’ai estimé crucial. Je voulais ériger sur notre terre ainsi protégée un petit royaume destiné à recevoir notre tout jeune roi. Voilà cette clause secrète : on m’avait promis le retour de Louis-Charles de France et de sa sœur Marie-Thérèse de France, les deux orphelins innocents maintenus ignominieusement dans la Tour du Temple.
Mais ce 20 juin 1795, à midi, coup de tonnerre. La foudre me tombe dessus. J’apprends que le petit roi, Louis le dix-septième, n’est plus. Le Palais royal restera vide, à jamais ! Mes sentiments sont violents, confus, atterrés. J’ai pleuré la mort du roi. Je voulais pour lui une couronne d’or et de pierres précieuses, il n’eut qu’une couronne d’épines. Je voulais pour lui un royaume sur terre, je compris d’un coup que son vrai royaume ne serait pas de ce monde.
A l’instant même j’ai compris intensément la parole d’un vieux prêtre, un sage : « l’Espérance se construit sur les ruines de l’espoir ». Et lors, il ne m’est resté plus qu’une dernière mission à accomplir : sauver l’honneur ! Transmettre une fierté. Transmettre un panache, pour encourager, pour fortifier l’âme de générations de combattants à venir, tant les épreuves futures resteront nombreuses, je le savais bien.
Panache relevé avec fierté par ceux de ma lignée, ces chers Athanase, Pair de France et Zouave pontifical, qui ont continué les combats de leurs époques. Je les avais prévenus : « tant que la Charette aura une roue, la Charette roulera ! ». Panache porté aussi par bien d’autres, pour défendre Dieu, le Roi et la France, tant Dieu est profondément inscrit dans la destinée de notre pays.
Je contemple aujourd’hui ces cérémonies, ces commémorations, ici même où je fus capturé, à Nantes où mon âme fut rendue à Dieu, ou encore, pas loin, dans ce grand théâtre du Puy-du-Fou. Ils ne sont parfois que quelques poignées de fidèles, deux ou trois pelotons, au mieux une grosse compagnie. Mais qu’ils ne perdent pas courage, avec guère plus j’ai battu des régiments entiers de bleus.
Il y a peu avec ma chère sœur Marie-Anne nous sommes allés à dix lieues d’ici, vers le Levant, sur notre « colline inspirée » de la Vendée, le Mont des Alouettes. Un Jubilé pour commémorer une chapelle de la réconciliation voulue par notre chère Marie-Thérèse. J’ai entendu le chant grégorien monter vers le ciel avec la fumée de l’encens. J’ai ouï la messe du père abbé bénédictin, famille séculaire qui comme toutes les familles bien vivantes engendrent des enfants, et essaiment vers de nouvelles fondations.
Et c’est avec beaucoup d’émotion que j’ai honoré les parents de nos enfants du Temple, en saluant Louis, l’aîné de notre longue lignée capétienne. Et toute sa famille car là aussi la famille est bien vivante, et donne des enfants qui représenteront toujours les piliers de notre patrie, les murs fondateurs. Et c’est avec un immense respect que je lui ai remis mon fier panache, celui-là même que je voulais remettre jadis à notre petit Louis-Charles.
J’ai vu récemment de grandes affiches qui parlent gaillardement du « dernier panache »… Le dernier ? Ils me font bien rire ! Pourquoi le dernier ? Ils auraient dû dire le premier panache ! Je vois surgir dans mon petit royaume de Vendée toute une jeunesse qui sans bruit, comme la forêt qui pousse, se forme, entreprend, monte des spectacles, remplit les églises, fonde des familles et donne des vocations. Une jeunesse qui plus que jamais marche avec allégresse, avec fierté. Une jeunesse qui a la Foi et l’Espérance. Le panache est toujours bien vivant.
Et je vois, comme la modeste rivière Vendée serpentant aux confins du département, qui serait sortie puissamment de son lit pour couvrir des régions entières, que mon petit « royaume de Vendée » est devenu une « Province de l’esprit », rayonnant dans la France entière. Je vois que les cœurs unis de Jésus et Marie, qui, à la suite de mes épopées marines, font fièrement le tour des mers du globe au grand étonnement du monde entier. Je me rappelle alors des premiers mots de celui qui m’a capturé, mais qui m’a respecté, le commandant Travot : « Que d’héroïsme perdu ! ». Je lui ai répliqué vivement, je me souviens bien : « Non Monsieur. Rien ne se perd, jamais ! ».
Et c’est en contemplant cette résurrection que j’ai compris le vrai sens de ma vie. Quand mon cher Pfeiffer m’a arraché mon couvre-chef pour partir à une mort certaine, à la place de la mienne, ici même, il m’a donné ces quelques jours de répit, de marche méditative vers Nantes. Six jours, pas plus. Cette ville qui m’avait tant acclamé, presque avec des rameaux, pour me conduire ensuite sur un chemin de croix. Ces jours de répit si nécessaires pour consciemment offrir ma vie entière. Et là j’ai compris que mes valeurs, que nos valeurs ne seraient véritablement transmises que si avec le panache nous y ajoutons le sacrifice offert. »
Pascal Théry,
Pour l’Association Jubilé de la Vendée