Il y a des choses intéressantes dans cet article du Monde sur le sexe et les jeunes. Serait-ce la fin du Mai 68 libertaire ?
Plus de quatre jeunes de 15 à 24 ans sur dix n’ont pas eu de rapport sexuel en 2021. Les confinements n’ont certes pas aidé. Mais cette abstinence est aussi une manière de résister à la dictature de la performance : une révolution asexuelle est en marche. […]
Loin des clichés sur les jeunes – si tant est que la jeunesse soit une catégorie – bourrés d’hormones dont les interactions sociales seraient régies par un désir pas encore contraint par les impératifs professionnels et conjugaux, les ados et post-ados semblent en pleine récession sexuelle. Autour de nous, la statistique de l’IFOP surprend les générations d’après, mais pas les premiers concernés. Les plus de 30 ans fantasment la fête du slip chez les moins de 25, comme une période de liberté regrettée. Ils s’en affolent même : « Tu te rends compte, presque un jeune sur deux ne fait pas l’amour ! », là où les premiers concernés semblent répondre : « Et alors ? » […]
Gawayn, 22 ans, étudiant en école d’ingénieur à Lyon, est encore vierge. Au départ, il parle de sa « peur de mal faire », et de la pression – encore – qui entoure ce rite de passage. Mais très vite se dessine, surtout, l’absence d’envie. Sa virginité semble encombrer les autres plus que lui-même. Par-dessus tout, il aimerait « qu’on [lui] foute la paix ». A l’école d’ingé, où « c’est encore super tabou ce genre de chose », en soirée, on lui montre des filles de loin. « Elle, elle est open. » Mais lui n’a pas envie de brader la chose. D’autres, plus proches, tentent de le rassurer en lui disant « que ce n’est pas grave », ce qui l’énerve : « A force de répéter que ça va, ça va, ça devient suspect. Les gens ont peur que j’aie peur de rater quelque chose, mais en fait, ça ne m’intéresse vraiment pas tant que ça. » […]
Ainsi, il se passerait sous la couette la même chose que dans les grandes entreprises : les étudiants récusent les modèles professionnels et sexuels préétablis pour eux, et démissionnent pour prendre le temps d’inventer autre chose. […]
La récession sexuelle entraîne des batailles générationnelles, car les parents d’aujourd’hui sont ceux qui croient à cette fameuse « révolution sexuelle » post Mai 68, avec la légalisation de la pilule et de l’IVG.
Mais pour Tal Madesta, c’est une chimère. Militant féministe trans et journaliste indépendant, il est l’auteur de Désirer à tout prix (Binge Audio, 160 pages, 15 euros), un essai percutant sur le sexe devenu un marché, et la non-sexualité une maladie à guérir. Il écrit : « Qui a-t-elle libéré, cette soi-disant “libération sexuelle” ? Personne. Qu’a-t-elle de révolutionnaire, cette autoproclamée révolution sexuelle ? Rien. » Il cite ensuite Michel Bozon, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques : « On pourrait plutôt décrire les transformations contemporaines comme le passage d’une sexualité construite par des rôles et des disciplines externes aux individus à une sexualité reposant sur des disciplines internes. Il ne s’agirait pas d’une libération mais d’une intériorisation et d’un approfondissement des exigences sociales. Aujourd’hui, pas plus qu’hier, il n’y a d’autonomie de la sexualité. » […]