De l’abbé Danziec dans Valeurs Actuelles, à propos du synode sur l’Amazonie :
Face à un incendie, deux attitudes passent pour totalement irresponsables. Soit rajouter de l’huile sur le feu. Soit dire qu’il n’y a pas de feu. Dans les deux cas, le drame est identique. L’incendie progresse, ravage et détruit. Or ce que suscitèrent les flammes estivales de la forêt amazonienne chez les écologistes, permet de comprendre l’émoi des « catholiques observants » devant le spectacle des propositions inflammables du Synode sur l’Amazonie, supposées répondre à la crise de l’évangélisation catholique, et qui risquent bien de l’aggraver.
Cette réunion à huis-clos, qui s’est tenue à Rome du 6 au 27 octobre, et qui a rassemblé 184 prélats, dont un bon nombre choisi par le pape François lui-même, était censée réfléchir sur les problématiques locales du catholicisme en Amazonie. Elle fut bien plutôt le théâtre d’idées dites novatrices mais au modernisme pourtant éculé qui n’est pas sans rappeler « l’esprit » du concile Vatican II, âgé de plus d’un demi-siècle. On y retrouve la vieille lubie d’ordonner prêtres des hommes mariés ou celle d’offrir aux femmes une plus grande place dans le gouvernement de l’Eglise, avec notamment l’éventualité d’un diaconat féminin. Isabelle de Gaulmyn dans La Croix dresse, pour s’en réjouir, le tableau de ces semaines romaines : « Ne nous y trompons pas ; ce qui s’est passé à Rome, avec le Synode pour l’Amazonie marque une véritable révolution pour l’Église catholique. Certes, le pape François n’est pas obligé de suivre inconditionnellement les avis des pères synodaux. Cela dit, on voit mal qu’il s’en exonère, d’autant que c’est le résultat d’un processus qu’il a assez largement encouragé. » Ainsi, les propositions du Synode, si elles étaient confirmées par le pape François dans les prochains mois, pourraient signer le début d’un nouveau monde pour la fonction ecclésiastique.
Je dois l’avouer, la rédaction de ces lignes me place dans une situation tout à fait embarrassante. Jeter de l’huile sur le feu m’est interdit. Affirmer qu’il n’y a pas de feu m’est impossible. Les lecteurs de mes chroniques, et qui m’honorent de leurs clics semaine après semaine, l’auront bien compris : suite à l’appel du Seigneur, je reste profondément attaché au message du Christ et de son Eglise à qui j’ai donné ma vie. J’appartiens à la catégorie des prêtres qu’on appelle « classiques », certains diraient conservateurs. Mais au-delà des étiquettes, toujours faciles à coller, j’essaie surtout de transmettre ce que j’ai reçu. Jésus. La Foi. Le Credo. Le plus simplement du monde. Comme beaucoup d’autres de mes confrères. Eux et moi, nous savons qu’avant d’être un frein éventuel aux vocations, le célibat sacerdotal est surtout, et avant tout, un formidable signe de la radicalité de notre engagement. Il est aussi l’assurance auprès de tous d’une disponibilité sans borne. En effet le prêtre est avant toute chose un pasteur qui conduit un troupeau. Pas seulement un spécialiste des textes sacrés comme un rabbin ou un conducteur de prières et un juriste comme un imam. Or le décalage des propositions synodales avec la discipline multiséculaire de l’Eglise, il faut l’avouer, déconcerte, attriste et laisse perplexe.
Imagine-t-on un monde où Don Camillo se ferait houspiller par sa femme, cette dernière lui reprochant de perdre son temps avec Peppone au lieu de s’occuper de leurs enfants ? Ou encore, que donnerait la réécriture des Misérables en supposant que l’épouse de Monseigneur Myriel avoue finalement aux gendarmes que Jean Valjean est bel et bien le voleur des chandeliers d’argent ? La question du mariage des prêtres soulevée lors de ce Synode souligne chez ses supporters une réflexion théologique inexistante, une rupture avec la spiritualité sacerdotale enseignée jusqu’alors dans l’Eglise, mais aussi une réelle déconnexion quant aux réalités de la vie conjugale… Qui peut ignorer que ceux qui s’engagent dans la fondation d’une famille s’engagent dans une tâche qui demande beaucoup de soin et de temps ? Les conflits entre vie de famille et vie professionnelle sont suffisamment fréquents : combien de couples de prêtres mariés sauront résister ? Plus prosaïquement, un couple s’engage, parmi d’autres choses, à transmettre un patrimoine à sa descendance : que se passerait-il pour un prêtre ayant des enfants ? Le détachement des biens de ce monde fait partie de son arsenal apostolique. Dans une situation maritale, il s’exposerait soit aux frustrations de sa famille, soit aux comparaisons dévastatrices de ses fidèles…
Soyons clairs : certes les catholiques doivent un respect filial au pape. Bien entendu le Saint-Père est le chef de l’Eglise visible. Mais cela n’empêche pas les fidèles du rang d’avoir le droit d’exercer leur sens critique. L’Eglise catholique n’est pas l’Eglise de Pie, de Jean-Paul ou de François. Elle est l’Eglise du Christ dont le pape n’est que le Vicaire. Laisser entendre que les catholiques sont tenus de s’aligner béatement sur toutes les positions du pape François, même celles qui proposent une sérieuse inflexion par rapport à la tradition, c’est donner au mot catholique un sens inexact. En vérité, l’Eglise – son chef comme ses membres – n’a pas pour rôle de se mettre à la page ou de répondre aux attentes de ceux qui, par ailleurs, se moquent pas mal de son message…Satisfaire une majorité, fut-ce au détriment de l’unité, est affaire de calcul électoral. Proclamer la vérité en garantissant l’unité, une question d’impératif pastoral. La première option peut être une tentation pour tous les hommes. Il appartient au pape François d’y renoncer pour répondre à la deuxième. En redoutant les schismes.