Pierre Brochand, ambassadeur français, ancien directeur général de la Sécurité extérieure de 2002 à 2008, déclare dans Valeurs Actuelles :
Les derniers chiffres de l’immigration laissent entrevoir un phénomène plus massif que jamais. Vous qui avez appelé à un contrôle strict de l’immigration, comment réagissez-vous ?
Avec consternation, mais aussi exaspération. Car, après cinquante ans d’inaction, la déploration finit par lasser. Si je suis sorti de la réserve qu’imposaient mes fonctions antérieures, c’est
parce que j’estimais de mon devoir, au nom de l’expérience accumulée, d’avertir mes concitoyens des périls non pas de l’immigration en général mais de celle que nous subissons actuellement.
C’est pourquoi, à mes yeux, constater que le phénomène se poursuit et s’amplifie défie l’entendement alors même que le recul est désormais suffisant pour dresser un bilan, globalement très négatif. Au moment, aussi, où, sondage après sondage, une grosse majorité de Français (des deux tiers aux trois quarts) partage ce jugement. Car les statistiques ne concernent pas seulement les arrivées irrégulières mais également les titres de séjour légaux et semi-légaux (demandes d’asile), délivrés – théoriquement – en pleine souveraineté et dont l’accroissement est encore plus stupéfiant. Comment ne pas déceler, dans cet aveuglement, une pulsion suicidaire, que rien ne semble vouloir contrarier ?
Que manque-t-il à nos dirigeants ? De la lucidité ? du courage ? des moyens ?
Je ne crois plus au manque de lucidité. Au long de mon parcours, j’ai eu l’occasion de converser, en privé, avec nombre de responsables de tous bords : leurs propos sur l’immigration, quand ils ne se sentent pas surveillés, vous étonneraient par leur sévérité. Force est, donc, de dénoncer une absence de courage, car la carence des moyens n’est qu’une conséquence. Pour expliquer ce double jeu, il convient de remonter aux causes. Car, avant la satisfaction d’intérêts économiques, ce qui nous arrive découle d’une idéologie, hégémonique depuis un demi-siècle, qui donne la priorité absolue aux droits des individus, d’où qu’ils viennent, sur les institutions, censées les réguler, désormais en voie de déconstruction. À commencer par la plus éminente, l’État national, réduit à garantir et promouvoir des prérogatives privées, au rebours de sa mission d’intérêt général : la protection de la collectivité, sur un territoire, délimité par des frontières. Soit, de fait, un désarmement unilatéral, que le reste du monde se garde bien d’imiter.
Puisque ce nouveau dogme exclut d’emprisonner les corps, il use, pour régner, de la manipulation des esprits. Avec, pour sanction suprême, l’excommunication, c’est-à-dire la mort sociale de ceux qui osent récuser le mythe de la bienveillance universelle. Le nouvel évangile est “l’État de droit”, florilège de principes abstraits, décrétés supérieurs à la volonté populaire. Le paradoxe veut que nos “dirigeants”, issus de cette volonté, endossent son abaissement. D’après ce que j’ai observé, leur hantise est d’échapper aux anathèmes, briseurs de carrières (racisme, extrême droite). Pourtant, dans la pratique, rien ne leur interdit de modifier “l’état du droit” tout en préservant “l’État de droit”, distinction capitale que la doxa s’emploie à gommer. En bref, si nos élites ne sont pas au rendez-vous, c’est, avant tout, par terreur du bannissement, hors du “cercle de la raison”, ce petit village où l’on se blottit, bien au chaud, et dont il ne fait pas bon sortir. […]